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Brèves / 17.02.2015

Musée sur l’esclavage en Louisiane, la controverse

Les maisons de plantation au bord du Mississippi, avec leurs guides en costume d'époque entre la Nouvelle-Orléans et Bâton-Rouge, constituent l'une des attractions touristiques les plus prisées de Louisiane. Si l'opulence qui y régnait est largement décrite et commentée, rien  – ou si peu – sur un système, l'esclavage, principal vecteur de cette prospérité. Mais les choses changent et, depuis décembre dernier, un nouveau musée situé à deux pas des fameuses plantations Laura et Oak Alley  propose un point de vue radicalement (trop ?) opposé. Il aura fallu à John Cummings III,  77 ans, un blanc « libéral » de La Nouvelle-Orléans,  ancien avocat,  richissime propriétaire foncier, sans formation muséographique ou d'historien (ce qu'on lui reproche), quinze ans de travaux pour concevoir et ouvrir au public la plantation Whitney, ex-habitation Haydel, où une centaine d'esclaves récoltaient autrefois la canne à sucre.


© : DR

S'entourant de spécialistes et d'artistes, dont l'universitaire sénégalais Ibrahima Seck, caution académique du projet et historien maison, Cummings a notamment reconstitué les cases des captifs, déménagé sur les lieux une église de bois afro-américaine peuplée de créatures d'argile exagérément humaines et fort troublantes du sculpteur sénégalais Ousmane Sow (auteur en 1999 de la fameuse installation Little Big Horn sur le pont des Arts parisien). Il a également érigé un mur inspiré du mémorial des anciens combattants du Vietnam de Washington où sont gravés les prénoms ou sobriquets (ils n'avaient pas de nom !) de plusieurs milliers d'esclaves louisianais, et des extraits de leurs témoignages recueillis par la Bibliothèque du Congrès durant les années 1930. Au bord d'une mare, plusieurs dizaines de têtes de porcelaine au bout d'une pique, œuvre de l'artiste Woodrow Nash, rappellent la plus grande révolte d'esclaves des USA qui eut lieu à proximité en 1811. Cummings  souhaite ainsi ouvrir le dialogue, mais aussi faire naître l'émotion, l'indignation, voire provoquer : « Ce n'est pas un musée traditionnel où suinte l'ennui. En quittant cet endroit, vous sortirez changé. » La personnalité du personnage et son approche non orthodoxe d'un sujet toujours hautement sensible sont diversement appréciées. De certains Noirs qui se demandent si « ce Blanc ne cherche pas à se faire du fric sur le dos de l'esclavage » aux tenants d'une muséographie plus traditionnelle lui reprochant sa mise en scène sensationnaliste, les critiques fusent. Il ne se démonte pas pour autant et tonne : « Nous avons un gros problème avec l'esclavage et son héritage. Il est plus que temps de s'y attaquer. »
Jean Pierre Bruneau