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Brèves / 02.06.2014

Maya Angelou suspend son vol

Elle naît Marguerite Anne Johnson le 4 avril 1928 à Saint-Louis (Missouri), une ville du Middle West parmi les plus riches des États-Unis sur le plan culturel. Avant de grandir dans les années 1930 en Arkansas, un des pires États ségrégationnistes d’un sud alors profondément ancré dans les tristes affres des lois Jim Crow. Car la future Maya Angelou n’est pas épargnée dès sa plus tendre enfance. Elle n’a que trois ans quand ses parents se séparent, est élevée à Stamps en Arkansas par sa grand-mère, revient à Saint-Louis chez sa mère, le temps de se faire violer par le compagnon de cette dernière. Alors âgée de sept ou huit ans, elle s’enferme dans un long mutisme qui dure au moins cinq années. La danse, la chanson, puis l’art dramatique et bien sûr la littérature la sortiront progressivement de sa prostration. Car entre-temps, elle s’est installée en Californie, où elle étudie tout en exerçant à San Francisco le métier de conductrice de tramway…

À peine sortie du lycée, elle a dix-sept ans quand elle donne naissance à son fils Clyde (qui deviendra Guy Johnson, lui aussi écrivain). Mère célibataire, elle l’éduque et doit se contenter de petits boulots (serveuse, cuisinière, chanteuse et danseuse de cabaret), mais la période lui permet aussi de s’inviter dans le monde du spectacle, d’autant qu’elle épouse en 1950 Tosh Angelos, un Américain d’origine grecque lui aussi passionné de musique. Elle est engagée dans plusieurs clubs dont le Purple Onion à San Francisco et prend peu après le nom de Maya Angelou, légèrement dérivé de celui de son mari et censé être plus en rapport avec sa spécialité d’alors, le calypso. Puis les choses s’accélèrent. Après avoir divorcé au milieu des années 1950, Angelou prend part à une tournée mondiale qui l’emmène dans plus de vingt pays en Europe et en Afrique pour Porgy and Bess, apprend la danse moderne aux côtés des plus grands (Martha Graham et Alvin Ailey) et grave un premier album en 1957, « Miss Calypso ».


Avec Malcom X au Ghana en 1964. © : Alice Windom.

Elle vit ensuite à New York où elle fréquente cette fois les milieux littéraires, mais elle travaille également pour la SCLC (Southern Christian Leadership Conference), une organisation des droits civiques fondée en 1957 qui eut Martin Luther King comme premier président, et dont elle fait la connaissance début 1960. De plus en plus impliquée dans cette cause, Maya Angelou rencontre en 1961 un activiste sud-africain, Vusumzi Make, qu’elle suit avec son fils au Caire en Égypte. Leur relation fait long feu mais elle reste en Afrique : elle habite durant cinq ans à Accra au Ghana, où elle enseigne à l’université, apprend plusieurs langues dont le français et « lit avec voracité » pour reprendre les termes de son site officiel. Toujours à Accra, elle s’associe à Malcolm X qu’elle aide à fonder son Organization of Afro-American Unity en 1964, mais son meurtre l’année suivante la laisse dévastée. L’histoire se répète tristement peu après avec l’assassinat de Martin Luther le 4 avril 1968, le jour des quarante ans de Maya Angelou… Une double tragédie qui va changer le cours de sa vie.

La même année, elle écrit, produit et présente Blacks, Blues, Black!, une série télévisée de dix épisodes sur l’interaction entre le blues et l’héritage afro-américain. Mais surtout, elle initie une période qui va la placer parmi les plus grands auteurs littéraires de son temps avec la première de ses sept autobiographies, I Know Why the Caged Bird Sings, publiée en 1969 (et traduite en français sous le titre Je sais pourquoi l'oiseau chante en cage), qui s’arrête notamment sur sa jeunesse. Parallèlement, elle se révèle également en poète hors pair, signant plusieurs œuvres inoubliables dont Just Give Me a Cool Drink of Water 'fore I Diiie (1971, nominé pour le prix Pulitzer, et dont la structure est celle d’un blues), And Still I Rise (1978, dont s’est inspiré l’Heritage Blues Orchestra pour son formidable CD homonyme en 2012), On the Pulse of Morning (1993, récité lors de l’investiture de Bill Clinton en 1993), enfin The Complete Collected Poems of Maya Angelou (1994), qui rassemble ses poésies écrites entre 1971 et 1990.

Maya Angelou a également contribué à des émissions de telévision, des pièces, des films et même des livres de cuisine ! En tant que réalisatrice, elle nous laisse Down in the Delta, l’histoire d’enfants dont une jeune fille renvoyés vivre dans une famille du Mississippi rural (encore une autobiographie, donc !), avec sur la bande originale des noms d’artistes que nous connaissons bien, dont Stevie Wonder, Luther Vandross, Keb’ Mo’ et Ashord & Simpson. Angelou est d’ailleurs proche de Nickolas Ashford et  Valerie Simpson : en 1996, deux ans avant le tournage du film, elle a sorti avec eux l’album « Been Found », sur lequel sa poésie récitée se mêle à la musique soul du duo. Immensément respectée, elle a été honorée à de multiples reprises, citons simplement ici la National Medal of Arts (2000), la Lincoln Medal (2008), ou encore la Presidential Medal of Freedom, la plus importante distinction civile des États-Unis que lui a remis le président Barack Obama en 2011. Et libre, Maya Angelou le restera toujours.
Daniel Léon