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Brèves / 03.04.2017

Lonnie Brooks, 1933-2017

Lonnie Brooks s’est éteint le 1er avril 2017 à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Sa famille n’a pas donné de détails sur les raisons de son décès, mais depuis trois ans, le bluesman, “officieusement” à la retraite, avait sérieusement réduit ses activités. C’est une grande perte pour le blues de Chicago dont ce Louisianais de naissance était un représentant essentiel depuis quatre décennies. Révélé au milieu des années 1970, Brooks imposera très vite un blues énergique et vivant dont les sonorités très modernes lui vaudront une popularité qui le conduiront loin des frontières de son propre pays. On ne compte plus les occasions qu’il nous donna de le voir en France, pour des concerts bouillants durant lesquels sa bonne humeur ne le quittait jamais. À partir des années 1990, il s’accompagna régulièrement de ses deux fils Ronnie Baker Brooks et Wayne Baker Brooks, qui devront désormais assurer seuls sa lourde succession.

Lonnie Brooks est né Lee Baker, Jr. le 16 décembre 1933 à Dubuisson, un petit lieu-dit à soixante kilomètres au nord de Lafayette, en Louisiane. Son grand-père joue du banjo mais il n’a pas d’autre lien avec la musique durant son enfance. Après avoir arrêté l’école en quatrième et vécu avec son père, il quitte sa région natale en 1950 et s’installe ensuite à Port Arthur – au Texas mais à la frontière de la Louisiane –, où il se marie peu après. Dans la première moitié des années 1950, il découvre le blues en écoutant notamment de grands artistes texans dont Clarence “Gatemouth” Brown, Long John Hunter et T-Bone Walker, mais il est principalement influencé par Guitar Slim (Eddie Jones), alors très actif dans la région.

À partir de cette époque, Baker commence à envisager une carrière musicale. Il se met au chant et à la guitare, son talent naturel favorisant de rapides progrès, et commence à se produire localement, ayant notamment l’occasion d’apparaître aux côtés de Clifton Chenier. Sans doute inspiré par Guitar Slim, il prend également le pseudonyme de Guitar Jr. Sa réputation lui vaut d’être bientôt remarqué par le propriétaire de la marque Goldband, qui lui permet de graver ses premières faces en 1957. Il obtient le succès dès son premier single avec le titre Family rules. Trois autres 45-tours suivent en 1958 et 1959 pour ce label, puis deux chez Mercury en 1960. Sa musique est alors un mélange de swamp-pop blues, de R&B et de rock ‘n’ roll.

 



Chicago, 1972 © Emmanuel Choisnel / Soul Bag Archives

 

 

Parallèlement, à peu près à la même époque, peut-être marqué par la mort prématurée de Guitar Slim en 1959, il prend la route pour Chicago. Il doit d’abord abandonner son pseudonyme car il est déjà pris, et opter pour Lonnie Brooks. Tout en se produisant entre autres avec Jimmy Reed, il grave sous son nouveau nom deux singles en 1962 et 1964 qui passent inaperçus. Pourtant, les qualités qu’on lui connaît – voix puissante et ample, guitare tranchante et expressive – sont déjà au rendez-vous. Outre d’autres collaborations discographiques – Billy “The Kid” Emerson, Detroit Junior –, la décennie voit évoluer son style vers un blues plus moderne avec des emprunts au West Side Sound.

Curieusement, en 1969, il reprend son ancien pseudonyme de Guitar Jr. pour enregistrer son premier album pour Capitol en Californie, “Broke & Hungry”, dans un registre proche de celui de ses débuts. Toujours sans réussite commerciale. Et justement, dans le sens commercial du terme, sa carrière va prendre de l’élan dans les années 1970. Après une tournée européenne remarquée et soldée par la sortie d’un album réalisé fin 1974 à Paris pour le label français Black & Blue (“Sweet Home Chicago”), sa contribution en 1978 au volume 3 de l’anthologie “Living Chicago Blues” d’Alligator l’installe enfin parmi les excellents bluesmen de son temps.

 

 


mid 70's © André Hobus

 

On découvre alors un artiste également capable de distiller des textes savoureux au service d’un blues original et moderne, auquel les influences texanes et louisianaises donnent une saveur épicée particulière. Les trois albums qui suivent, enregistrés successivement pour la même marque en 1979, 1981 et 1983 (“Bayou Lightning”, “Turn On The Night” et “Hot Shot”) confirment les promesses initiales. Dans les années 1990, Lonnie Brooks continue de tourner abondamment avec des prestations flamboyantes, alors que ses disques s’orientent plus vers le rock, à l’image de “Roadhouse Rules” (1996). C’est sans doute en partie dû à ses deux fils qui l’accompagnent de plus en plus souvent, et cela contribue à élargir son public. Et celui du blues, un mérite qui lui revient.

 

 


Ronnie Baker Brooks, Lonnie Brooks, Peer, 1996 © Dominique Papin

 


Lonnie Brooks, Jean-Pierre Arniac, Le Méridien, Paris, 1990s © DR

 


Long John Hunter, Lonnie Brooks, Phillip Walker, Peer, 2000 © André Hobus

 

 

Toutefois, nous avouons un faible pour le superbe “Lone Star Shootout” (1999), sur lequel il retrouve le temps d’une jam brillante Long John Hunter, Phillip Walker et le trop méconnu Ervin Charles. Leur tournée de promotion du CD restera à jamais dans nos mémoires, tout en nous rappelant cruellement que les quatre protagonistes, tous nés dans les années 1930, ne sont désormais plus de ce monde. La fin d’une époque et d’une génération. S’il n’a plus enregistré d’album sous son nom après cet opus, Lonnie Brooks resta actif jusqu’à ses quatre-vingts ans, arborant ce sourire perpétuel qui lui allait si bien, et dont il faudra apprendre à se passer. Il a été introduit au Blues Hall of Fame en 2010, ce qui est bien la moindre des choses.

Daniel Léon

 


Long John Hunter, Lonnie Brooks, Bayonne, 2000 © Brigitte Charvolin

 


Chicago, 2008 © Brigitte Charvolin

 


Ronnie, Lonnie, Wayne, Chicago, 2010 © Brigitte Charvolin 

 


Eddy Clearwater, Lonnie Brooks, Michael Burks, Chicago, 2011 © Brigitte Charvolin

 


Chicago, 2011 © Brigitte Charvolin

 


Peer, 2000 © André Hobus