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Hommages / 01.05.2021

John Dee Holeman (1929-2021)

En décembre 2019, il faisait la couverture de notre numéro 237 qui contenait un dossier sur les vingt-cinq ans de la Music Maker Relief Foundation. Et c’est justement la fondation de Tim Duffy qui nous apprend la disparition de John Dee Holeman, le 30 avril 2021 à l’âge de quatre-vingt-douze ans.

Holeman est né le 4 avril 1929 Hillsborough en Caroline du Nord, dans une famille où la musique est très présente. Son enfance fut rurale : « Vers 1935, on s’est installé dans une ferme sur un terrain de cinquante hectares au nord d’Orange County. On marchait 6,5 km pour aller acheter des bonbons à Timberlake. On jouait le samedi et le dimanche, on accrochait une balançoire à un arbre, on se servait d’un pneu ou de trucs du genre. (…) Je suis allé à l’école jusqu’à neuf ans puis j’ai arrêté. L’école n’était pas obligatoire à l’époque. Je n’y suis pas allé longtemps car mon père avait besoin de moi à la ferme, et je devais faire ce qu’il demandait. Je manque d’instruction mais ça ne m’a pas empêché de gagner ensuite ma vie. » (1)

À quatorze ans, il s’achète une guitare pour quinze dollars et vient vite au blues : « Je le tiens d’un cousin qui lui-même avait appris avec un oncle. » Il apprend aussi en écoutant les disques de Blind Boy Fuller, l’émission de radio Grand Ole Opry et quelques musiciens locaux. Progressivement, il commence à se produire lors de soirées et autres house parties autour de sa ville natale. Il chante et joue de la guitare, mais excelle également en buck dance, proche d’autres versions dont la Juba dance (on dit aussi hambone), qui consiste à danser en se frappant à mains nues différentes parties du corps pour imiter des percussions. En 1954, il part vivre à Durham, environ vingt kilomètres au sud-est d’Hillsborough, où il s’accompagne du pianiste Fris Holloway.

Pour Holeman, la danse comme la musique relèvent avant tout des loisirs et il ne cherche pas à en vivre. Il travaille dans la culture du tabac, très répandue dans cette région de la Côte Est (essentiellement Virginie, Georgie, Caroline du Nord et du Sud). Mais le gouvernement change les règles de l’agriculture. Alors que les fermiers pouvaient jusque-là récolter tout ce qu’ils voulaient, on leur impose des quotas à ne pas dépasser : « En 1954, j’ai eu deux cents dollars pour toute l’année pour ma parcelle de tabac. Je suis donc parti travailler chez Liggett and Myers Tobacco Company. On trouvait des maisons de trois pièces de type shotgun houses pour six dollars la semaine. » Holeman travaillera aussi dans le bâtiment.

© Tim Duffy

Sa réputation dans le monde de la musique grandit véritablement à partir des années 1980, et il signe ses premières faces en 1982, puis d’autres en 1986 et 1991, rassemblées sur l’album “Bull City After Dark” (Silver Spring, 1991), nommé pour un W. C. Handy Blues Award. Entre-temps, en 1988, il est récompensé d’un National Heritage Fellowship du National Endowment for the Arts, et réalise avec Fris Holloway un album live (mais qui ne paraîtra qu’en 1993) chez Mapleshade, “Country Girl”. En 1992, il enregistre un disque en France à la Maison des cultures du monde pour le label INEDIT. Parallèlement, il est au programme d’importants festivals et participe à des tournées. Il s’exprime alors dans un Piedmont blues issu de l’école de Blind Boy Fuller.

La rencontre avec Tim Duffy et Music Maker survient au cours de la décennie suivante, et un premier opus voit le jour en 1999, “Bull Durham Blues”, suivi de “John Dee Holeman & The Waifs Band” (2007) et “You Got To Lose You Can’t Win All The Time” (2009), ce dernier paraissant donc l’année de ses quatre-vingts ans. Depuis qu’il travaille avec Duffy, Holeman a fait évoluer sa musique, s’éloignant de son East Coast blues originel pour se rapprocher d’un style plus dur, plus rageur, qui emprunte au Chicago blues, au blues texan, au Hill Country blues… Il compose d’ailleurs assez peu, se contentant souvent de reprises. Mais, comme je l’écrivais dans ma chronique de son dernier “Last Pair Of Shoes” (2019) dans notre numéro 236, « il les pèle, les dépouille et les hache menu pour les faire siennes ». Car oui, en 2019, l’incroyable monsieur Holeman a donc sorti un quatrième album pour Music Maker, qui est sans doute son meilleur ! Ainsi, il aura tiré sa révérence sans avoir jamais donné l’impression de vieillir…

Daniel Léon
Photos © Tim Duffy

1. Les extraits d’interview et certains éléments biographiques utilisés pour ce texte proviennent d’un article à lire dans son intégralité sur le site de Music Maker, que nous remercions.

Daniel LéonJohn Dee HolemanMusic MakerSoul Bag 237Tim Duffy