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Live reports / 04.06.2018

Jazz Sous Les Pommiers (Part. 3/3)

Puisqu'on était présent, on ne s'est pas fait prier pour aller faire un tour au concert des légendaires Renegades Steel Orchestra. Ce groupe originaire des Antilles anglophones (Trinidad & Tobago) est probablement passé maître incontesté du steel-drum aux vues des sollicitations sans répit qu'ils ont aux quatre coins de la planète. Tout aussi impressionnant visuellement que musicalement, les registres joués (classique, calypso, pop, reggae…) n'avaient malgré tout que peu à voir avec les musiques que traite votre revue favorite.

 



Renegades Steel Orchestra

 

 

Même constat final pour l'hommage à Lucienne Boyer par le Grand Orchestre du Tricot, groupe à géométrie variable du label de jazz français Tricollectif. Ce “all stars” (11 musiciens) propose un spectacle malin et musicalement foisonnant (du jazz sous différentes formes : free, chanson, rock…) autour de la chanteuse parisienne d'entre-deux-guerres surnommée La Dame en bleue. Une belle mise en scène et une scénographie inventive qui casse l'idée parfois figée de ces concerts-hommage. N'hésitez pas si cette jeune garde du jazz français passe par chez vous, ça vaut vraiment le coup.

 


Grand Orchestre du Tricot

 

 

Retour à nos petites affaires avec une alléchante affiche, Arat KiloMamani Keïta et Mike Ladd, dont le dernier opus “Vision Of Selam” figure tout logiquement dans les pages du Soul Bag n° 230. Cette redoutable machine aux grooves protéiformes (afro-ethio-jazz-funk) se présente dans son format complet (cuivres, flûtes, claviers, percussions, guitare, basse, batterie) et, grande première, costumé ! Le sextet occupe toute la scène d'un Magic Mirror affichant complet et il ne faudra pas plus d'une paire de titres en ouverture pour que la température grimpe d'un niveau. 

 


Arat Kilo

 

 

On savait déjà qu'elle était en embuscade mais on se régale déjà quand la chanteuse malienne Mamani Keïta grimpe sur scène pour interpréter un premier titre et faire sa première annonce au public sous la forme d'un chantage bienveillant : elle serait prête à venir vivre en Normandie si le public lui montre le meilleur de son soutien ! Un deal qui ne fera que motiver des spectateurs déjà conquis par ces premières vingt minutes.

 


Mamani Keïta

 

 

Vient le tour du deuxième invité d'être appelé sur la petite scène déjà bien encombrée. Surprise ! Soit Mike Ladd a changé de physionomie, soit la journée est trop longue et je m’emmêle les pinceaux. L'explication viendra post concert. Mike Ladd que des obligations familiales ont retenu outre-Atlantique, a passé le relais à une autre connaissance issu de la sphère du slam/rap/poésie. C'est donc Malik Ameer Crumpler, artiste new-yorkais installé à Paris depuis quelques années qui a brillamment assuré cette urgence. Avec un flow beaucoup plus hip-hop que le natif de Boston, les titres comme American JujuChaos Embedded ou Seeds se chargent en live d’une énergie percutante. Car si la diva malienne par la puissance et la particularité de son timbre tend à passer au-dessus du reste, ce n'est pas le cas pour les titres interprétés par Malik Ameer, dont le flow, plus direct que la poésie de Ladd, renforce avec brio certaines compositions.

 


Malik Ameer Crumpler

 

Entre les allers-retours et les chorégraphies improvisés des deux vocalistes, les titres et les interludes instrumentaux aux saveurs dub, vibrations jazz et ressorts funk, maintiennent le haut niveau musical et les corps en mouvement. Des corps qui une heure et quart après les premières notes en redemandent et obligent la formation parisienne à rempiler pour un rappel généreux et une vigoureuse version de Toulo. Un titre à la saveur de single qui a déjà eu la faveur des programmateurs radio et qu'une partie du public fredonnera encore en quittant le parquet flottant du Magic Mirror.

 

Jeudi 10 mai

Ce jeudi férié, début de soirée placé sous des horizons afro-jazz nous dit le programme. C'est l'heure d'aller écouter un groupe instrumental signé sur le label Tramp Records (une écurie bien connue de la rédaction de Soul Bag). KutiMangoes, un sextet scandinave dont les trois cuivres à géométrie variable (trompettes, saxophones, flûtes) se partagent le front de scène, et qui puise l'inspiration dans les musiques d'Afrique de l'Ouest (Ghana, Nigeria, Burkina, Mali…). Sans pour autant se cantonner à jouer des reprises, les compositions rappellent néanmoins les grands courants panafricains de cette région. Avec un sens du live généreux et une introduction explicative systématique de leurs morceaux qui parfois nous coupe un peu l'élan, ces Danois font le job. Sans véritable éclat, mais avec un entrain maîtrisé. Les titres oscillent entre compositions fougueuses et trucs beaucoup plus plan-plan, à la limite du soporifique. Le public, lui, semble apprécier, ce qui est l'essentiel après tout. Une pleine sale qui finira par en redemander une fois le temps réglementaire du concert consommé. Le rappel sera en revanche tonitruant. Peut-être même le meilleur moment du show. Une version décoiffante du Moanin' du génial Charles Mingus… Et on se surprend presque à regretter que ce soit déjà fini.

 



KutiMangoes

 

 

 

 

Le temps de retraverser quelques rues, de passer des contrôles par des bénévoles bienveillants, et nous voilà aux premières loges de la salle Marcel-Hélie et ses 1 500 places. La plus grande capacité d’accueil du festival. Pour notre dernier concert au festival normand, l'honneur revient à Cory Henry, découvert au sein de Snarky Puppy, maestro de l'orgue Hammond et chanteur expressif, de finir en beauté. À voir la configuration mise en place sur la scène, peu de doutes sur le fait que l'équipe soit venue en force et que qu’elle devrait faire du bruit. Bientôt 23 heures, les musiciens envahissent la scène !

Deux choristes (Denise Stoudmire et Tiffany Stevenson) et le clavier (Nicholas Semrad) sur la droite. Taron Lockett aux baguettes, Adam Agati à la guitare côté gauche et enfin plein axe central, l'imposant orgue hammond de m'sieur Henry qui du coup cache un peu Sharay Reed, le bassiste installé derrière lui, à trois enjambées. Un line-up identique au concert qui s’est déroulé à Paris au Trianon quelques jours avant.

 


Cory Henry

 

La mine souriante, Cory Henry déboule en sautillant (déjà), saluant une salle ravie et quasi remplie. Posé, circonspect sur un ton solennel très second degré : « Oui vous avez le droit de taper dans vos mains durant le show, de chanter si vous connaissez les paroles, voire de danser », la brève introduction qu’il délivre juché derrière son orgue boisé a tout d’un prêche. Et le gang de Brooklyn attaque illico avec un instrumental funky enchaîné à une amusante version du méga tube des Bee Gees, Stayin’ alive. Un classique chauffage de salle si j’ai bien suivi. Il n’en fallait pas plus pour qu’une bonne partie du public se lève et investisse les couloirs vides de chaises de la grande salle, puisque le meneur de revue leur en a donné la permission l’instant d’avant. 

 

 

 

À peine le temps de souffler, et de voir filer à l’anglaise quelques spectateurs surpris peut-être par cette bruyante machine lancée à fond sur les chemins d’un funk moderne, urbain et clinquant, et le bouillonnant chef des Funk Apostles attrape un micro pour présenter ses camarades musiciens. En l’absence d’album, le choix du répertoire hormis une ou deux compos originales (dont le très 80s Trade it all) puise dans des grooves bien connus, à la différence du concert parisien évoqué plus haut. Entre autres on entendra You’re all I need to get by de Marvin Gaye et Tammi Terrell et le fédérateur Proud Mary. Des titres réarrangés de manière à ce que chaque musicien trouve l’espace nécessaire pour s’exprimer.

 

 

 

Selon l’inspiration et les réactions du public, les huit ou neuf titres joués ce soir semblent extensibles. Solo de guitare aux frontières d’un jazz avant-gardiste, roulis tout en retenue du bassiste et des envolées vocales directement héritées du gospel. L’heure et quart réglementaire sera à peine dépassée, ce qui malheureusement annulera toute possibilité de rappel. Il est minuit bien passé, rideau (pour nous) sur ce chouette 37millésime de Jazz Sous Les Pommiers.

Texte et photos : Jules Do Mar