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Live reports / 29.09.2022

Jazz à la Villette 2022, The Fearless Flyers + DOMi & JD Beck

10 septembre 2022.

Déjà le dernier week-end pour Jazz à la Villette et une double première pour cette soirée qui se tient dans une Grande Halle aussi remplie qu’impatiente : la première date sur la scène d’un grand festival français pour le duo DOMi & JD Beck, quelques semaines à peine après la sortie de son premier album, et le premier concert français du all-star The Fearless Flyers ! 

C’est à DOMi & JD Beck qu’il appartient d’ouvrir la soirée. Malgré le changement d’échelle, conséquence logique de la sortie très remarquée de leur album, le dispositif scénique n’a pas changé depuis l’époque où le duo mettait le feu à La Gare, le club de jazz “hors circuit” situé à deux pas de la Grande Halle : les deux musiciens se font face, la batterie de JD Beck étant quasiment posée contre les claviers de DOMi. L’attitude n’a pas non plus évolué, et l’humour très “slacker” du duo, à base de blagues qui ne peuvent que difficilement être transcrites dans un journal à vocation familiale, passe très bien avec un public très jeune.

Mais le côté décontracté du duo ne s’étend pas à sa musique. Les morceaux de l’album – Whatup, Smile, Duke… – sont joués dans des versions globalement assez proches du disque, sans utiliser la liberté de la scène pour les développer plus longuement (même si Not tight est présenté sous l’élégant titre alternatif Pussy with balls, généreusement traduit en français par DOMi). Pour Two shrimps, DOMi invite le public à compenser lui-même l’absence de l’invité de l’album Mac DeMarco. JD Beck regrette d’être aussi éloigné du public, mais le duo semble tout à fait à l’aise, et compense son immobilité forcée par l’intensité des interprétations qui, dans leur brièveté relative, donnent un grand dynamisme au show.

Les deux musiciens s’éloignent ponctuellement du répertoire de leur disque pour quelques reprises audacieuses : un medley Madvillain (le groupe composé par les rappeurs et producteurs MF DOOM et Madlib), le Raise it up de Slum Village (sorti l’année de la naissance de DOMi, histoire de mettre les choses en perspectives), le Havono composé par Jaco Pastorius pour Weather Report et le très complexe Endangered species emprunté à Wayne Shorter – dont la brillante interprétation devrait faire taire tous les doutes des grincheux sur leur inscription naturelle dans le jazz.

Festival oblige, le temps est compté – un peu plus de 45 minutes –, et le duo invite le public à choisir entre Whoa et Snif pour le morceau final. C’est le second qui l’emporte et vient donc clore une prestation tout à fait remarquable, qui donne envie d’entendre le duo sur une plus longue durée.

DOMi & JD Beck

C’est sans doute plus sur les CV de ses membres que sur sa discographie (deux albums et quelques EP parus depuis 2018) que le groupe The Fearless Flyers attire son public. Souvent considéré comme un “satellite” de Vulfpeck, le quatuor comprend en effet deux membres de sa galaxie (le bassiste Joe Dart, membre à temps plein, et le guitariste Cory Wong, qui mène par ailleurs une carrière solo à succès), un Snarky Puppy historique (le guitariste Mark Lettieri) et le batteur le plus coté du moment, Nate Smith (vu à Paris avec son groupe avant l’été).

Souvent présenté comme un groupe de funk instrumental, l’ensemble fait penser à une version des Ventures – mais si, le groupe de guitares du début des années 1960 connu notamment pour son Walk don’t run ! – revu et corrigé pour le XXIe siècle. Là aussi, le dispositif scénique est original : toutes les guitares sont installées sur des socles, et les musiciens ne peuvent donc pas se déplacer avec leur instrument. Cette absence de jeu de scène – à l’exception du toujours spectaculaire Nate Smith – oblige à se concentrer sur la musique, soit une série de thèmes instrumentaux plutôt simples joués rapidement, voire très rapidement, et qui servent de prétexte à des successions de solo des différents participants. La plupart sont des titres des albums du groupe, auxquels s’ajoutent, à la plus grande joie du public, quelques classiques de Vulfpeck (Hero town, Lost my treble long ago, Barbara), une reprise de Steely Dan (Reelin’ in the years) et un morceau en solo pour chaque musicien – Mark Lettieri s’attaque ainsi au Everybody wants to rule the world de Tears for Fears, qu’il avait enregistré il y a quelques années. 

The Fearless Flyers
Joe Dart
Nate Smith

Cela pourrait virer à la démonstration stérile, au numéro de virtuosité pure – et dieu sait que les quatre musiciens sont des techniciens hors pair –, mais ça n’est pas le cas : l’ensemble se caractérise par une musicalité de chaque instant, une féroce envie de jouer – deux des membres du groupe enchaîneront d’ailleurs avec l’after ! – et un plaisir communicatif à échanger avec ses collègues, au point que l’heure et quart du concert passe comme un instant, malgré une communication très limitée avec le public.

En rappel, le quatuor fait un sort au Signed, sealed, delivered, I’m yours de Stevie Wonder – toujours en instrumental – avant de finir avec un de ses titres, laissant le public absolument stupéfait de ce qu’il vient d’entendre. La réussite artistique de la soirée, combinée avec le succès commercial d’une salle comble en l’absence de vedette “grand public”, confirme la pertinence des choix de programmation audacieux du festival.

Texte : Frédéric Adrian
Photos © Frédéric Ragot

Mark Lettieri
Cory Wong
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