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Live reports / 20.09.2022

Jazz à la Villette 2022, Kokoroko + Jacob Banks

Grande Halle de La Villette, 31 août 2022.

Rare festival à être parvenu à maintenir, avec un format adapté, ses éditions 2020 et 2021, Jazz à la Villette s’offre cette année une programmation à nouveau plantureuse, faisant une large part à l’inédit et à la nouveauté, avec une orientation festive et ludique bienvenue en cette période qui reste compliquée pour l’industrie du spectacle vivant. Pour la première soirée, dans une Grande Halle de la Villette très bien remplie, ce sont deux artistes peu vus sur les scènes parisiennes et avec une actualité discographique récente qui sont au programme. 

Découvert en 2017 grâce à un titre irrésistible, Abusey Junction, paru sur l’anthologie “We Out Here” dédiée à la scène jazz londonienne du moment, Kokoroko a pris son temps avant de se lancer dans l’aventure d’un premier album, se concentrant en particulier sur la scène. Si le collectif – déjà à l’affiche de la Villette en 2019 – a beaucoup tourné en France ces derniers mois, il ne s’était pas produit à Paris depuis longtemps, et ces retrouvailles, visiblement très attendues du public, étaient aussi l’occasion de jouer le répertoire du fameux premier album, “Could We Be More”, sorti pendant l’été. C’est la rythmique – entièrement masculine – du groupe qui joue les premières notes avant que les trois principales solistes – toutes des femmes, vêtues de très belles tenues d’inspiration africaine – ne prennent place au centre de la scène, avec la saxophoniste Cassie Kinoshi (dont le projet personnel, seed., faisait ses débuts parisiens sur la scène du Parc Floral deux jours plus tôt !) et la tromboniste Richie Seivwright qui encadrent la trompettiste et leader Sheila Maurice-Grey. 

Comme sur le disque, c’est Tojo qui fait l’ouverture, et le répertoire emprunte quasi exclusivement à “Could We Be More”, quelques plantages mineurs venant confirmer la fraîcheur, pour les musiciens eux-mêmes du répertoire. Ceux-ci sont d’ailleurs visiblement très fiers de leur nouveau bébé, et plusieurs d’entre eux prendront le micro pour demander au public s’il l’a écouté et ce qu’il en pense ! La scène permet au groupe de développer plus longuement les thèmes, au-delà des contraintes du studio. Le très beau Age of ascent est ainsi précédé d’un très intense solo de piano de Yohan Kebede. Chanté par Richie Seivwright avec l’appui de ses deux collègues, Those good times vient introduire une rupture bienvenue dans un set jusqu’ici instrumental, tandis que Caribou, emprunté à Earth, Wind & Fire, qui lui succède, est la seule reprise du set.

Jusqu’ici concentré sur des tempos lents ou moyens, qui permettent d’admirer la qualité des arrangements d’ensemble, le groupe passe à la vitesse supérieure pour le final de sa prestation, et les titres plus dansants comme War dance, Something’s going on et We give thanks sont particulièrement bien accueillis. Même sans le tube Abusey Junction, la prestation de Kokoroko ce soir confirme bien le potentiel scénique du groupe, que la sortie du nouvel album devrait propulser dans une nouvelle dimension. 

Richie Seivwright
Sheila Maurice-Grey
Ayo Salawu 

Comme Kokoroko, Jacob Banks, qui leur succède sur scène, n’a pas joué à Paris depuis plusieurs années, et lui aussi a un nouvel album à défendre, “Lies About The War”, paru quelques jours plus tôt (cf. chronique : soulbag.fr/jacob-banks-lies-about-the-war). Arrivé au son d’un enregistrement de Precious Lord (et sans son iconique bonnet !), c’est avec le premier morceau de l’album, le puissant Just when I thought, qu’il commence sa prestation. C’est cependant une fausse piste : seuls deux autres titres du disque (Aim for my head et By design [Evel Knievel]) sont au programme ce soir, et le répertoire emprunte largement au EP “For My Friends” paru l’an passé (un beau Devil that I know, entamé en mode piano-voix, Found, Too much, Stranger, Parade) et à ses enregistrements plus anciens (Slow up, issu de “Village”). 

Sur scène, Banks est une présence discrète, il parle peu et ne bouge pas beaucoup plus, mais sa puissance vocale et l’intensité de ses interprétations, portées par la réelle ferveur qui anime son chant, seraient absolument bouleversantes s’il ne pâtissait pas des conditions de sa prestation. En effet, Banks n’est accompagné sur scène que de deux musiciens, un batteur et un qui alterne entre la guitare et les claviers. Tout le reste repose donc sur des bandes enregistrées et aboutit au spectacle un peu déroutant d’un chanteur accompagné d’un piano pendant que ses accompagnateurs théoriques jouent de la guitare et de la batterie…

Tout cela serait un peu ridicule si cela n’avait pas d’évidentes conséquences artistiques : corseté par ses bandes, Banks n’a aucune possibilité de se laisser aller, de jouer avec l’enthousiasme du public ou de sortir du cadre en fonction de son inspiration, et le résultat donne une impression un peu frustrante. Si nous avons pris l’habitude, au fil des années, que certains concerts soient “complétés” par des bandes, en particulier pour les chœurs, c’est la première fois, en dehors du circuit nostalgie, que je vois un artiste majeur sur une scène importante se prêter à un tel exercice, qui honnêtement n’a pas grand-chose à voir avec ce que j’attends de la musique live. Cela n’empêche pas le public d’acclamer en final les deux titres les plus connus de Banks, Unknown et Chainsmoking, mais explique peut-être la fin en queue de poisson du show, Banks quittant la scène brusquement malgré les rappels d’une partie du public… 

Malgré ce petit désagrément, c’est en beauté que l’édition 2022 de Jazz à la Villette s’est ouverte, première étape d’un copieux programme sur quasiment deux semaines… 

Texte : Frédéric Adrian 
Photos © Frédéric Ragot

Jacob Banks
Jacob Banks, Daniel Byrne