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Hommages / 16.02.2023

Huey “Piano” Smith (1934-2023)

Avec Professor Longhair, il est sans doute celui qui a donné sa forme au piano R&B de La Nouvelle-Orléans, et seul son retrait précoce de l’industrie musicale et son choix de la discrétion expliquent qu’il ne soit pas célébré à la hauteur d’autres pionniers, même si ses disciples, de Dr. John à Allen Toussaint, savaient bien ce qu’ils lui devaient.

Né le 26 janvier 1934 à La Nouvelle-Orléans, dans le Garden District, pas loin du Dew Drop Café, Smith se met au piano dès son enfance et est nourri aussi bien par les musiciens locaux, comme Professor Longhair, que par les vedettes du moment : les pionniers du R&B naissant, comme Louis Jordan ou Nellie Lutcher, mais aussi, comme nombre d’artistes afro-américains, par la country d’Hank Williams. 

Dès le début des années 1950, il devient un habitué de la scène du Dew Drop, sous son nom, souvent avec Eddie Jones, le futur Guitar Slim, ou en tant qu’accompagnateur d’artistes locaux parmi lesquels Earl King, Smiley Lewis ou Shirley and Lee. Dès 1953, alors qu’il a à peine 18 ans, Savoy publie son premier single personnel, You made me cry, mais c’est en tant que musicien de studio qu’il est le plus actif. Bien souvent sous la houlette de Cosimo Matassa, il prête son piano à des enregistrements de Chris Kenner, Smiley Lewis (I hear you knocking), Earl King, Benny Spellman, Guitar Slim, Joe Tex, Lloyd Price… Et c’est lui qui est au piano du J&M studio les 13 et 14 septembre 1955 quand Little Richard y grave, en particulier, Tutti frutti. Sa visibilité lui permet de relancer sa carrière personnelle et il signe un nouveau contrat avec Ace Records, le label de l’ancien “talent scout” de Specialty Johnny Vincent basé à Jackson dans le Mississippi.

De 1956 au début des années 1960, Smith enchaîne les singles et les albums pour Ace, parfois sous son seul nom, parfois crédité avec les Clowns, le groupe vocal emmené par le chanteur Bobby Marchan qui l’accompagne. Deux des disques publiés à cette époque deviennent des tubes nationaux : Rockin’ pneumonia and the boogie woogie flu, chanté par Smith avec deux autres vocalistes, qui atteint la 5e place du classement R&B et la 52e du Top 100, et Don’t you just know it, chanté par Marchan, qui monte jusqu’au 9e rang du Top 100. 

© DR / Collection Gilles Pétard

Huey Smith se fait déposséder par Johnny Vincent d’un autre de ses tubes potentiels, Sea cruise, quand celui-ci décide de remplacer son chant sur l’enregistrement original par la voix du plus jeune et plus blanc Frankie Ford. De façon ironique, le résultat commercial est inférieur à celui de Don’t you just know it – 14e place pop seulement –, mais la démarche insultante de Vincent explique sans doute le départ de Smith, qui enregistre à partir de 1960 pour Imperial (ce qui n’empêche pas Ace de puiser dans les stocks d’inédits pour continuer à publier des disques sous son nom…), sans retrouver le même niveau de succès. 

À la fin de la décennie, il travaille pour Instant, décrochant quelques succès locaux comme Coo-coo over you et produisant une version de I’m your hoochie coochie man par Skip Easterling très populaire dans le Sud. Il publie également une nouvelle version de Rockin’ pneumonia sur Cotillion en 1972. Désabusé par l’industrie musicale, conscient que son approche n’est plus en phase avec le goût du moment – alors même que Johnny Rivers propulse à nouveau Rockin’ pneumonia au sommet des classements – et devenu Témoin de Jéhovah, il se retire progressivement du monde de la musique, gravant quelques faces en 1977 aux studios Sea-Saint Studios et se contentant d’apparitions événementielles, comme lors du Jazz Fest de 1981, qui marque son dernier concert.

Devenu jardinier et installé à Baton Rouge, il répugne ensuite à se replonger dans son glorieux passé, d’autant qu’il considère ne pas avoir reçu les bénéfices financiers de son art – ses chansons ont été reprises entre autres par Gene Vincent, Herman’s Hermits, Jerry Lee Lewis, les Animals, Chubby Checker, Georgie Fame, Chris Farlowe, les Flamin’ Groovies, John Fogerty, Dr. Feelgood et même Johnny Hallyday et Eddy Mitchell – malgré différents procès. S’il accepte de remonter sur scène pour deux morceaux lors d’une cérémonie organisée par la Rhythm and Blues Foundation en 2000, c’est sa dernière apparition publique, et il décline la quasi-totalité des demandes d’interviews, même s’il répond aux questions de John Wit, qui publie sa biographie en 2014. 

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © DR

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