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Hommages / 26.12.2022

Freddie Roulette (1939-2022)

Trop souvent assimilé à un gimmick, son instrument de prédilection, la lap steel guitar, l’a parfois empêché d’être pris au sérieux pour les amateurs, mais le parcours de Freddie Roulette et sa musique, dans toute sa singularité, en font sans contestation un bluesman majeur. 

Né le 3 mai 1939 à Evanston, une banlieue de Chicago, dans l’Illinois, Frederick Martin Roulette découvre la lap steel au lycée. Bien que l’instrument soit, dans l’esprit de beaucoup, naturellement relié à la country, il ne tarde pas à se faire remarquer dans les clubs blues de Chicago, ni à faire ses débuts en studio, aux côtés Big Moose Walker, Herb Kent (sur Chess, sous le nom Jackie & Tut), Oscar Coleman (sous le pseudonyme Bo Duddley), Luther Allison et Big Mojo Elem.

Au milieu des années 1960, il intègre l’orchestre du guitariste Earl Hooker, qu’il accompagne sur scène comme sur disque, notamment sur l’album “2 Bugs And A Roach” et sur différents singles, en particulier pour Cuca. Il le quitte en 1969 pour rejoindre l’ensemble Charlie Musselwhite, avec qui il enregistre plusieurs albums sous le nom de celui-ci (“Tennessee Woman” et “Memphis, Tennessee”) et au sein des Chicago Blue Stars avec les Aces (“Coming Home” sur Blue Thumb). C’est d’ailleurs dans cette configuration qu’il participe au festival d’Ann Arbor en 1969.

Au début des années 1970, il s’installe à San Francisco, où il ne tarde pas à s’intégrer dans la scène blues locale, jouant en particulier régulièrement avec Luther Tucker et avec John Lee Hooker ainsi qu’avec le guitariste Harvey Mandel, qu’il accompagne sur deux albums, “The Snake” et “Shangrenade”, et qui produit son premier disque sous son nom, “Sweet Funky Steel”, qui sort en 1973 et auquel participent le violoniste Don “Sugarcane” Harris et le guitariste Bruce Conte de Tower of Power. Cette nouvelle visibilité reste cependant éphémère. Tout en continuant à se produire régulièrement dans les clubs locaux, il travaille à temps complet comme gérant d’immeuble. 

Il faut attendre les années 1990 pour qu’il retrouve le premier plan, d’abord aux côtés d’Harvey Mandel et des guitaristes Steve Kimock et Henry Kaiser pour le projet “Psychedelic Guitar Circus” (un album en 1996) puis sous son propre nom avec “Back In Chicago”, qui l’associe à Willie Kent And The Gents, et “Spirit Of Steel” avec les Holmes Brothers, sur lequel son blues, qui n’a jamais versé dans l’orthodoxie, se teinte de jazz. Les années de silence discographique n’ont pas nui à son jeu, mais il peine à attirer l’attention des labels importants. C’est donc sur de petites marques que paraissent ses deux derniers albums personnels, “Man of Steel” et “Jammin’ With Friends”, sur lequel il retrouve notamment le très fidèle Harvey Mandel, qui publie l’album sur son propre label. Eric Lindell, Roy Rogers mais aussi Benoît Blue Boy – qui en profite pour l’inviter au New Morning – l’accueillent sur leurs disques. Il participe également en 1998 au projet “Yo Miles!” de Frank Kaiser, aux côtés notamment de John Medeski, Elliot Sharp et Wadada Leo Smith.

San Francisco, 2004 © André Hobus
Écaussinnes, 2005 © Alain Jacquet

Il se produit à plusieurs reprises en Europe dans les années 2000, en particulier en 2005 avec Frank Goldwasser et Sugar Pie De Santo et en 2008 avec un Steel Guitar Trio monté par Claude Langlois avec également Ken Emerson. Plus discret par la suite, il continue à se produire à San Francisco, où notre camarade André Hobus a la chance de l’entendre un soir de 2018 (soulbag.fr/rencontre-au-saloon/). Roulette avait répondu aux questions de Soul Bag en 1998, à l’occasion de notre numéro 152, et Nick Toshes, grand amateur de figures marginales, lui consacre quelques lignes élogieuses dans son livre Country: The Twisted Roots Of Rock ‘n’ Roll

Jamais associé durablement au courant principal de la scène blues, Freddie Roulette – qui est, avec L.C. Robinson, Doug Quattelbaum et les musiciens de la scène sacred steel un des rares Afro-Américains à avoir gravé un disque complet à la lap steel – mérite pourtant bien son appartenance au panthéon du genre. 

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © Brigitte Charvolin

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