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Live reports / 27.04.2022

ExpéKa Sextet, La Marbrerie, Montreuil

9 avril 2022.

C’était en octobre 2018. De passage à Dijon, pour le Tribu Festival, on se prenait en plein cœur la force du ExpéKa Trio : les mots de Casey (rappeuse d’origine martiniquaise) sur les blessures issues de l’héritage de l’esclavage, les roulements du tambour ka (guadeloupéen) de Sonny Troupé et la spiritualité de la flûte de Célia Wa. Cueillie par la force que ce format minimaliste charriait, on s’était mise à noter à toute vitesse les paroles sur notre carnet. « Le matin au lever j’accomplis mes corvées, et ma vie est rivée à un sac de sucre. Et si l’argent en Europe coule à flots (…) c’est parce que j’ai un sac qui pèse un massacre sur le dos. » 

Tissant la matière d’un devoir de mémoire, le trio nous avait cueillies une deuxième fois en avril 2019 à Pantin, à la faveur du festival Banlieues Bleues. Une salle remplie, dont une travée entière de lycéens, faisait l’expérience de ce verbe au scalpel, miroir des séquelles du colonialisme, de l’esclavage aux Antilles, des comptes toujours pas soldés et des dégâts sur les descendants : « C’est bien moi que t’as vu passer, le regard noir, la capuche baissée. J’avançais les cheveux tressés, avec ma démarche d’animal blessé. » Des descendants toujours attachés à leurs îles : « Chez moi j’y vais par périodes, c’est une toute petite partie du globe. Tu verras du madras sur les draps, les robes. Et puis sur la table, du crabe, du shrub ». Une flûte soul et une colère contenue, contre l’amnésie collective.

Casey
Sonny Troupé
Célia Wa

Trois ans après, c’est avec impatience que l’on attendait à Montreuil, à nouveau grâce au festival Banlieues Bleues, le retour live de ExpéKa, d’autant que le projet n’a pas encore sorti d’album. ExpéKa en version sextet cette fois, non plus acoustique, mais amplifié, avec une tonalité plus électrique, dans une salle comble et debout. Aux côtés de l’instigateur et directeur musical Sonny Troupé (batterie, tambour ka), de Casey au rap et Célia Wa à la flûte, s’ajoutent Didier Davidas aux claviers, Stéphane Castry à la basse et Olivier Juste au tambour ka. Des artistes dont l’actualité se télescope, en particulier Célia Wa (vue aux côtés de Laurent Bardainne ) et Sonny Troupé (vu au sein du Big In Jazz Collective). 

Scandés à l’envi par la charismatique Casey – à tel point que le public les mémorise et les reprend instantanément – les textes en français appuient là où cela fait mal, au suintement des cicatrices de la mémoire. Lorsque Casey n’est pas au charbon, c’est que Célia Wa chante des textes en créole ou encore qu’une voix échantillonnée énonce un extrait précisément choisi de « la législation de la colonie des Antilles » (« permis de se réjouir chez leurs maîtres sans aucun tambourinage »). En point d’orgue d’une heure de concert, on retient, estomaquée, une psalmodie de Casey, soutenue par la pulsation lente et lourde contrôlée par Sonny Troupé derrière ses fûts, comme une allégorie du poids des chaînes que traînaient pieds nus les forçats. Retraçant le sort d’esclaves, « Quitté ma terre, traversé la mer, couché dans la cale, j’ai porté les fers. Prié les dieux, joué du ka, arraché les herbes, fouillé l’igname », la pièce se conclut par un appel à la rébellion : « Levez la tête, prenez la fuite, mettez le feu. » Un programme hautement recommandé.

Texte : Alice Leclercq
Photos © Maxim Francois

Didier Davidas