;
Live reports / 03.11.2022

Delvon Lamarr Organ Trio, New Morning, Paris, 2022

28 octobre 2022.

Quatre ans après sa première venue parisienne (Soul Bag y était), c’est avec une certaine excitation qu’on allait rue des Petites Écuries revoir le trio de Seattle devenu en une poignée d’années (et deux albums studio supplémentaires au compteur) l’un des combos soul jazz funk les plus demandés des scènes internationales.

Des quelques dizaines de spectateurs du Duc des Lombards à un New Morning archicomplet, la notoriété du trio a elle aussi connu l’inflation. Rumeur montante et trépignement d’un public agglutiné comme dans une rame de métro un lundi matin, c’est dans une atmosphère chauffée à blanc que les musiciens, tout en décontraction et sourires en coin, se présentent sur scène, mâchouillent quelques mots dans un anglais West Coast haché menu et attaquent avec un bel élan leur premier set qui approchera le tour de cadran. 

Si le son de ce trio instrumental (quelque part entre les JB’s débarrassés des cuivres, Jimmy Smith, les Meters et Ivan “Boogaloo Joe” Jones) reflète avec brio les vibrations chaleureuses  des combos soul jazz qui pullulaient dans les années 1960-70 que les étiquettes Blue Note et Prestige ont largement contribué à populariser, il y a dans sa façon d’être et de faire quelque chose d’infiniment naturel, sincère et étrangement contemporain. Zéro posture, zéro costume, zéro crânerie et même zéro selfie. Nos trois mousquetaires du groove sont là pour une seule et unique chose, jouer une musique électrique et vibrante, sans mises en scène, sans filtre et presque sans escale (une mini-pause entre les deux sets, pas plus).

Sans surprise, le combat des chefs se fait avec le même matériel qu’au premier jour : un imposant orgue Hammond B-3 au trémolo aguicheur (Delvon Lamarr). Un guitariste capable de convoquer dans un seul et unique morceau 50 ans d’histoire de guitar heroes (Jimmy James), et ce tout nouveau batteur Julian MacDonough qui semble faire l’arbitre (ou le régulateur de vitesse) durant le ping-pong constant des deux solistes. 

En deux sets de 50 minutes plus quelques prolongations dues à une salle qui ne voulait pas aller se coucher, le match est plié. Les morceaux joués ce soir n’ont pas été notés sur mon petit calepin comme je le fais occasionnellement. Il y en a eu beaucoup. Des courts et funky, brefs et concis, et d’autres aux rallonges de circonstances, inspirés voir parfois même enragés (les 10 ou 12 minutes d’un génial Don’t worry ‘bout what I do, la montée en puissance de ce jouissif Tacoma black party). Un bon pourcentage était malgré tout tiré du dernier LP (“Cold As Weiss”). Mais d’autres compos maison et covers tirées d’albums ou singles précédents ont également résonné dans la moiteur de ce New Morning devenu caniculaire.

Delvon Lamarr
Jimmy James et Julian MacDonough

Power trio comedy club 

Pour les novices, les non avertis ou même celles et ceux qui douteraient encore en hésitant à prendre son ticket pour le prochain round, Delvon Lamarr Organ Trio en live, c’est voir Jimmy James faire corps avec sa guitare sans jamais être prétentieux ou poseur, l’homme est plus fanfaron que flambeur. C’est s’esclaffer à l’unisson devant cette géniale complicité pleine d’humour qui unit James et Lamarr. C’est deviner quels riffs (tantôt à l’orgue, tantôt à la guitare) de “tubes” d’hier ou d’aujourd’hui ils sont capables de glisser au milieu d’une de leurs propres compositions (de Cream à… George Michael, oui madame).

C’est aussi rester bouche bée devant les mimiques et le flegme naturel de Jimmy James alors qu’il déroule un solo funk rock à tout faire péter (sors de ce corps Hendrix !). Ou qu’il rompt soudainement le rythme avec une approche iconoclaste qu’on a envie de qualifier de theloniousmonkienne.

Et puis un show de ce power trio, c’est se rendre compte en s’approchant de la scène que Lamarr est en chaussette pour pouvoir assurer ces lignes de basse ronflantes qui font chalouper la salle. C’est ce truc qu’on aime avec le direct, qui vous touche presque physiquement parlant parce que sans échappatoire. On ne fait pas de pause pour aller pisser, on se retient. C’est aussi se demander comment le batteur (le septième en 6 ans !) réussit à suivre les deux compères qui se taquinent, se tournent autour comme des gamins, se défient constamment en improvisant à tout moment.

Bref, Delvon Lamarr Organ Trio live, c’est tout simplement se prendre en pleine poire un énorme shot de groove et de feel good music. Ce genre de moment sans prétention qui vous nourrit pour un bout de temps, où tout le monde ressort avec la banane et l’envie d’y replonger d’emblée. C’est pour tout ça que Soul Bag y va… et vous y croisera la prochaine fois.

Texte : Julien D.
Photos © J.C. Claye

Delvon Lamarr Organ TrioJC ClayeJulien DNew Morning