Blues Roots Festival Meyreuil 2024
02.10.2024
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Vendredi 5 juillet : Adam Naas, Tower of Power, PV Nova.
Coup de folie. C’est loin du centre-ville et du luxuriant théâtre de verdure, cœur battant de Cognac Blues Passion, que démarre notre aventure compilée sur deux jours. La raison de ce petit écart ? Le cadre magique offert par la scène du “1715 Avenue du Blues”, installée au pied de la maison Martell, la plus ancienne des grandes fabriques de cognac. Particularité des lieux : une vue imprenable sur la ville et ses bâtisses en pierre du XIXe siècle. L’autre raison – principale et musicale – se nomme Adam Naas. Un garçon plutôt surprenant qui avait croisé notre route l’an passé à Toulouse avec il faut le dire, beaucoup d’étonnement à la faveur d’un premier album rempli de sentiments, et d’une voix qui hérisse les poils autant que les sens.
Quelques mois plus tard, le cheveu est devenu plus blond (visible sous la casquette), mais l’effet “cœur fragile sur pop-soul agile” fonctionne toujours autant, au son de petits cris maîtrisés qui acoquineraient presque avec Prince. Une influence que l’on devine majeure chez le chanteur parisien, désormais bien à son aise guitare entre les mains pour donner le change à des musiciens qui ne tiennent pas en place (quand le clavier s’amuse à la guitare, c’est la bassiste qui le remplace). Petite nouveauté : la boîte à rythme et les pads numériques ont disparu au profit d’un batteur de chair et de sang, qui sans atteindre des sommets de technicité, apporte une véritable assise à des compositions en total déséquilibre. Ça parle d’amour, de mort. En un mot : de la vie.
Cette fois-ci, c’est la bonne. D’un pas décidé et rectiligne malgré la chaleur titubante, direction le théâtre de verdure pour une soirée qui s’annonce caniculaire. Le – énième – faux bon de Macy Gray (remplacée quelques semaines avant le Jour-J par Louis Bertignac) n’a pas entaché la soirée et son plateau au parfum de nostalgie : riffs de guitare de l’ancien membre de Téléphone, combinés au country rock de Rickie Lee Jones. Mais c’est surtout Tower of Power, formation légendaire plutôt rare en France, qui a remué les foules avec son demi-siècle de funk dans les pattes et sa section de cuivres à couper le souffle.
L’occasion aussi d’apprécier et de mesurer l’apport incroyable de Marcus Scott, signature vocale – tendance Stevie Wonder – du groupe californien depuis 2016. Originaire de Memphis, terre de soul par excellence, le garçon a de l’énergie à revendre (son t-shirt anthracite rempli de sueur au bout de trois morceaux peut en témoigner), de belles dispositions scéniques, et un véritable charisme, sourire en prime, sans jamais faillir au micro. Un authentique performer, à l’aise aussi bien dans un registre percutant et funky (le Mother popcorn de James Brown a pris un sacré coup de jeune) que sur des tempos plus lents où il laisse exprimer une belle sensualité, revisitant sans vaciller le répertoire extra-large du groupe d’Oakland, toutes périodes confondues : du toujours fringant What is hip aux pistes du récent “Soul Side Of Town”, en passant par le groove eighties de Good credit.
Il fallait au moins ça pour terminer la soirée et tenir jusqu’à la performance plus qu’approximative de PV Nova. Un Youtuber français confirmé, tout récemment sorti de l’écran pour aller diffuser sa musique sur scène avec son groupe pop funk Internet Orchestra. Au final, une prestation à très bas débit : recyclage de tous les poncifs du genre, manque de liant, mollesse des attaques (la reprise de Last night a DJ saved my life a eu du mal à s’en remettre), textes de collégien (YOLO mérite à peine la moyenne), et un agacement certain à chaque prise de parole du trentenaire, tchatcheur facile mais chanteur malhabile. Quelques tutos en ligne devraient pouvoir l’aider.
Samedi 6 juillet : Kaz Hawkins, Mighty Mo Rodgers, Terry Harmonica Bean, Sarah McCoy, Fantastic Negrito.
At last! Etta James a enfin eu droit à son hommage à Cognac, festival qui a toujours regretté de ne pas avoir pu convier la chanteuse américaine disparue en 2012. Dès lors, quelle belle idée que cette création d’un soir, magnifiquement interprétée par Kaz Hawkins, soul surviror nord-irlandaise à la vie cabossée, à la voix incarnée, qui rugit plus qu’elle ne minaude, mais qui dispose de tous les atouts, puissance, technique et nuances pour mettre à l’honneur les nombreux morceaux de bravoure de l’interprète de Something’s got a hold on me, reprise dès l’ouverture. Un toast porté verre à la main – quand résonnent les accords de Tell mama – à l’une des plus grandes dames de la musique noire.
Pour se rafraîchir, Mighty Mo Rodgers a lui choisi une bonne vieille glace. Instant gourmand qu’il savoure à la nuit tombée, en plein anonymat, au milieu d’une foule disparate qui ne semble pas le reconnaître. C’est pourtant lui qui a fait vibrer ces mêmes spectateurs, jeunes et moins jeunes, quelques heures plus tôt avec son “Griot Blues”, emballant métissage né de sa rencontre avec le musicien et conteur malien Baba Sissoko avec qui il a partagé la scène, les mots et les notes.
Rattaché au Mississippi et à sa tradition musicale, le delta blues sans fioriture de Terry “Harmonica” Bean s’est lui téléporté entre les murs immaculés d’un lieu unique : la Salle des Gardes du Château François 1er. Là où l’histoire du festival a commencé, et là où elle perdure en programmant des sessions acoustiques assez prodigieuses. Avec ses plans d’attaque près du manche et son timbre voilé, Harmonica Bean se serait bien vu jouer pendant au moins 6 heures (performance déjà réalisée par le passé et dont il s’est vanté au micro), mais les impératifs de l’organisation ont eu raison de son immense générosité.
Deux moments de grâce pour clore ces deux jours passés en terres de blues : le piano-voix étourdissant de Sarah McCoy. Dans un français plein d’humour et de sarcasme, l’Américaine a brillé seule face au soleil, racontant les plus beaux instants de sa vie qu’elle avait déjà enregistrés dans un premier album “Blood Siren” tout en désespoir.
Et puis magique, dithyrambique, volcanique comme la prestation de Xavier Amin Dphrepaulezz, alias Fantastic Negrito. Un détonant chanteur-guitariste d’Oakland, sorte de croisement très réussi entre la puissance des riffs de Rage Against The Machine et le blues rock énervé d’Hendrix, avec ce qu’il faut de personnalité – crête iroquoise et pantalon vert pomme – pour affirmer le tout. Totalement hors de contrôle et donc profondément génial, même si on regrettera l’absence d’un vrai bassiste pour donner une coloration plus funk à son groupe, déjà bien survolté.
Texte : Mathieu Bellisario
Photo © Frédéric David