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Brèves / 23.02.2017

Clyde Stubblefield, 1943-2017

« Faites place au batteur ! » L’improvisation collective dure déjà plusieurs minutes, avec une série de solos, quand James Brown se tourne vers l’homme assis à la batterie et déclare : « Tu n’as pas à faire de solo, frangin, continue avec ce que tu as… Ne le laisse pas partir, parce que c’est une tuerie. » Et c’est exactement ce que fait Clyde Stubblefield : pendant huit mesures, il répète, sans accompagnement, la petite figure rythmique qu’il joue depuis le début du morceau. Après que ses collègues ait repris le riff de base, Brown, visiblement impressionné, déclare que « le nom de ce morceau est Funky drummer » et répète en boucle le titre. Enregistré le 20 novembre 1969 aux studios King de Cincinnati, c’est à cette vingtaine de secondes que Clyde Stubblefield devait son titre de « batteur le plus samplé de l’histoire » – à défaut d’en avoir eu les revenus, l’improvisation collective ayant été signée du seul nom de Brown. Très discret à sa sortie – le 45-tours reprenant le morceau en deux parties n’atteint que la vingtième place dans le classement R&B et la cinquante-et-unième dans le Hot 100 lors de sa sortie courant 1970 –, Funky drummer et son légendaire break doit sa popularité aux producteurs de hip-hop qui, à partir du milieu des années 1980, en font un des samples les plus utilisés dans leur musique, sinon le plus utilisé – le site whosampled.com en recense 1367 utilisations  à partir de The classy M.C.'s par MC Quick Quintin and MC Mello J. en 1985. La rythmique improvisée ce jour-là par Stubblefield se retrouve ainsi chez Public Enemy (Fight the power), Dr. Dre (Let me ride), Mos Def (Mathematics), N.W.A. (Fuck tha police), LL Cool J (Mama said knock you out), les Beastie Boys (Shadrach) et De La Soul (The magic number), mais aussi, en dehors du hip-hop, chez Sinead O’Connor (I’m stretched on your grave), George Michael (Freedom! ’90) ou dans le générique du dessin animé Les Super Nanas ! Même James Brown ne résiste pas à la tentation de le sampler plusieurs fois sur des titres ultérieurs…

 


© DR

 

Né le 18 avril 1943 à Chattanooga dans le Tennessee, Clyde Stubblefield avait fait ses débuts musicaux à l'orée des années 1960 à Macon en Georgie, en particulier au sein de l’orchestre d’Eddie Kirkland avec lequel il lui est arrivé d’accompagner Otis Redding. Courant 1965, il rejoint l’orchestre de James Brown au sein duquel, pour les six années suivantes, il forme une paire rythmique unique en son genre avec Jabo Starks, un ancien de chez Bobby Bland recruté deux semaines avant lui. Pendant cette période, il contribue à révolutionner la base rythmique des musiques afro-américaines par ses contributions à des titres emblématiques de Brown comme Cold sweat, There was a time, I got the feelin, Say it loud – I'm black and I'm proud, Ain't it funky now, Mother popcorn, Get up, get into it, get involved et bien d’autres.

À son départ de l’orchestre de Brown, il s’installe à Madison dans le Wisconsin, et se produit dans une certaine obscurité avec des musiciens locaux. Le retour de popularité du son brownien classique au milieu des années 1980 lui permet de lancer une sorte de carrière personnelle, publiant quelques albums solos et participant aux enregistrements de certains de ses anciens collègues comme Pee Wee Ellis et Fred Wesley. Malade depuis plusieurs années, il avait dû ralentir ses activités avant son décès le 18 février. Bien qu’il n’ait jamais atteint la notoriété de certains de ses collègues comme Maceo Parker ou Bootsy Collins, il a laissé une marque majeure – bien au-delà des vingt seconds fatidiques – sur les musiques populaires afro-américaines, au point que Questlove, le batteur des Roots, considère que « c’est lui qui a défini le funk ».

Frédéric Adrian