Cet album de la série “Rocks” de Bear Family réunit 29 titres du parcours phonographique de Gatemouth Brown, surtout ceux qui mettent en relief l’énergie et les fulgurances de ce musicien texan certes marqué par T-Bone Walker, pionnier de la guitare électrique dans le blues d’après-guerre, mais tout aussi pressé d’échapper à son influence. À T-Bone, trop peu imaginatif pour son goût, on sait que “Gate” préférait des musiciens comme Basie et Louis Jordan ou diverses figures de la country. 

Bien que les deux titres Aladdin et les 27 faces Peacock de 1947-1960 sélectionnées par Bill Dahl consistent pour la plupart en variations sur le blues et le boogie, ce sont des qualités d’invention, de dynamisme et de dextérité qui s’y déploient. Le guitariste, connu pour utiliser un capodastre mais aucun médiator et quasiment pas l’index de la main gauche, cultive une interaction constante avec les saxes dont il adopte les riffs ou le phrasé avant de s’échapper dans des solos qui relèvent parfois d’une rapidité confondante, avec un timing d’une rigueur toute texane – ce qu’on retrouve chez ses disciples Johnny Watson et Albert Collins. 

De cet ensemble très égal ressortent des instrumentaux irrésistibles comme Okie Dokie stomp, Boogie uproar, Swingin’ the Gate ou encore l’impressionnant et très jazzy Gate walks to Board, qui comporte un chase guitare-sax. Dans She walks right in, riffs et contrechants de sax ténor (Bill Harvey) stimulent le chanteur, qui, dans You got money, s’appuie sur le piano martelé de Jimmy McCracklin pour se faire incisif et mordant. Il faut citer plusieurs blues de premier ordre (Dirty work at the crossroads, Depression blues) et tout particulièrement le superbe Just before dawn, joué au violon avec une section rythmique qui swingue en douceur, ainsi que Rock my blues away, l’un des fleurons de celui qui se souciait d’abord d’envoyer “un message positif” à ses auditeurs.

Philippe Bas-Rabérin

Note : ★★★★★ (Le Pied!)
Label : Bear Family
Sortie : 2021