;
Brèves / 21.06.2016

Chips Moman, 1937-2016

S’il n'avait pas acquis, même auprès des amateurs, une notoriété comparable à celle d’un Willie Mitchell ou d’un Rick Hall, Chips Moman, décédé le 13 juin, au lendemain de son soixante-dix-neuvième anniversaire, faisait partie de ceux qui avaient contribué, au milieu des années 1960, à inventer le son classique de la soul sudiste.

Né à LaGrange en Géorgie, Lincoln Wayne “Chips” Moman se fait remarquer en tant que guitariste dès l’adolescence, sur scène aux côtés de Gene Vincent et des frères Burnette, ainsi que dans les studios de Goldstar Records à Los Angeles. Installé à Memphis à la fin des années 1950, il fait la connaissance d’un jeune banquier passionné de musique country, Jim Stewart, qui a fondé avec sa sœur Estelle Axton un petit label baptisé Satellite. Très vite, Moman se rend indispensable en studio, à la fois ingénieur du son et producteur de fait des différents disques publiés par Satellite sans grand succès. En 1960, c’est lui qui convainc Stewart et Axton de louer un cinéma plus ou moins délabré sur East McLemore Avenue pour le convertir en studio d’enregistrement. C’est là qu’il produit le premier tube du label, Gee whiz, chanté par Carla Thomas. Satellite devenu Stax, il poursuit sa tâche et contribue à quelques-uns des disques fondateurs de l’histoire de la soul locale, comme le Last night des Mar-Keys. Un conflit financier avec Jim Stewart et Estelle Axton le convainc de quitter Stax pour se lancer en indépendant.

Utilisant l’argent qu’il a gagné dans le procès qu’il a intenté à Stax, il crée son propre studio, American, tout en travaillant régulièrement en tant que guitariste pour Rick Hall, apparaissant notamment sur des disques d’Aretha Franklin et de Wilson Pickett. À la même époque, il noue un partenariat créatif avec Dan Penn. Leur collaboration est brève – Moman est connu pour son caractère difficile – mais elle produit deux des chefs-d’œuvre marquants de la soul sudiste : The dark end of the street, sublimée par James Carr, et Do right woman, do right man, créé par Aretha Franklin. À partir du milieu des années 1960 et jusqu’au tout début des années 1970, American s’impose comme un des studios majeurs, produisant de nombreux tubes pour des artistes aussi divers que Bobby Womack, Joe Tex, Petula Clark, Dusty Springfield, Neil Diamond et les Box Tops, bien souvent sous la direction de Moman. C’est à American et avec Moman qu’Elvis Presley enregistre les séances qui constituent le sommet post-Sun de sa carrière, avec des tubes comme In the ghetto et Suspicious mind.

En 1971, cependant, Moman quitte Memphis pour Atlanta puis Nashville, où il débute une carrière de producteur country à succès, travaillant avec les plus grandes vedettes du genre, de Willie Nelson à Tammy Wynette, mais aussi quelques figures moins consensuelles comme Townes Van Zandt. Une tentative de retour à Memphis au milieu des années 1980 se solde par un échec – auquel son relationnel difficile n’est pas étranger –, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre ses activités de producteur jusqu’à la fin de la décennie, retrouvant même à l’occasion Bobby Womack.

Ace a consacré une compilation au studio American (“Memphis Boys: The Story Of American Studios”) et devrait publier dans quelques mois une anthologie spécifiquement dédiée à Chips Moman, bonne occasion de mettre en valeur sa contribution à l’histoire de la soul sudiste.

Frédéric Adrian