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Interviews / 03.05.2021

Blxst, Los Angeles en force et en finesse

2020, l’année où Blxst (prononcez “blast”) a passé la surmultipliée. Tout simplement en signant un EP majuscule, “No Love Lost”, petite bombe de R&B ciselée dans les rondeurs du rap californien. De quoi propulser l’autodidacte de Los Angeles au-delà de son fauteuil de producteur avisé. Blxst a bel et bien trouvé une façon à lui de faire sonner ses mots, nourrie par une approche mélodique et rythmique affûtée pour marquer en profondeur. Entretien avec un artiste qui sait pertinemment aller à l’essentiel. 

Vous avez grandi à South Central, Los Angeles. Que représente cette ville pour vous ?

Los Angeles, c’est tout pour moi, c’est chez moi. Nous avons une certaine fierté quand on prononce ces deux lettres : LA. Cette ville a fait de moi qui je suis aujourd’hui. 

Votre musique fait la part belle à des beats épais, rebondissants, un groove qui s’inscrit dans la lignée de DJ Quik et de Dr. Dre, notamment. Vous sentez-vous connecté à ces légendes de Los Angeles ?

Complètement. En particulier à DJ Quik, il est l’une de mes plus grandes influences, et il fait partie de ceux à qui je m’identifie, car il est aussi artiste lui-même, pas seulement producteur. Beaucoup de mes secrets de fabrication viennent clairement de lui, et de Dr. Dre. 

Écoutez-vous de la musique des années 1970 et 1980 ? Jusqu’où remontez-vous ?

Non, pas si loin, je suis plutôt dans les ‘90s, c’est mon truc. Mais maintenant que vous le mentionnez, j’irais bien un peu plus loin… 

Quelles musiques écoutiez-vous adolescent ?

Snoop Dogg, G-Unit, beaucoup de trucs gangsta [rires]. Mon père m’a mis à 2Pac, j’ai écouté beaucoup de légendes de la Côte Ouest.

Un de vos oncles était rappeur, n’est-ce pas ?

Oui, il m’a inspiré en ce qui concerne l’écriture, au fait de faire attention aux mots. Il m’a conseillé de chercher des mots dans le dictionnaire pour affûter mon arsenal. J’ai toujours recours à ça aujourd’hui. Si je ne connais pas un mot, je vais tout de suite en chercher la signification dans le dictionnaire.

Quand avez-vous commencé à faire de la musique par vous-même ?

Je dirais juste après le lycée, c’est là que j’ai vraiment commencé à m’enregistrer, à prendre ça au sérieux, à publier des choses pour voir la réaction des gens. 

Avez-vous appris à jouer un ou des instruments ?

Simplement le clavier, en autodidacte, je n’ai jamais pris de cours. En tant que producteur, tu t’y mets naturellement. 

© Bradon Hicks

“Au fond de moi, j’ai toujours voulu être un chanteur, mais au départ je n’étais pas à l’aise avec ma voix, donc je rappais.”

Blxst

Un mal pour un bien

Après une enfance à South Central, vous avez vécu plusieurs années dans l’Inland Empire [large pan du Sud-Est de la Californie]. Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?

Ça m’a vraiment permis de découvrir qui j’étais en tant qu’individu. Avant d’aller y habiter avec mon père, quand je vivais à LA, j’étais souvent dans la rue avec mes amis, alors que dans ce nouvel endroit j’étais plus solitaire, car je ne connaissais personne. Ce fut un mal pour un bien, car ça m’a permis de découvrir de nouvelles choses, comme le skateboard, le graphisme, et puis je suis tombé amoureux de la production musicale : apprendre à travailler le son, à faire fonctionner différents programmes. Des choses que je n’aurais pas pu développer en traînant dehors. 

Vouliez-vous d’abord être un chanteur, un rappeur, un producteur ?

Au fond de moi, j’ai toujours voulu être un chanteur, mais au départ je n’étais pas à l’aise avec ma voix, donc je rappais. Et, au fil des années, j’ai senti ma voix se développer, j’ai ainsi rejoint mon rêve, chanter. 

Vous êtes un chanteur autodidacte également ? Comment avez-vous appris ? 

Absolument. Je ne pense pas que ce soit quelque chose qu’on apprenne vraiment, c’est quelque chose dans ton ADN, pour moi en tout cas. Et c’est quelque chose que tu peux toujours améliorer. J’ai déjà pris des leçons de chant, c’est super, ça aide vraiment, mais je pense que c’est en toi. 

Vous considérez-vous rappeur ou chanteur ? Cette question a-t-elle encore un sens en 2020 ?

[Rires.] C’est vrai que tout le monde fait les deux ces derniers temps. Je dirais les deux, que je suis plus simplement un artiste, un “créateur de vibration”. 

Vous souvenez-vous quand vous avez trouvé votre propre voix ? Votre propre façon de phraser, de chanter, de rapper ? 

Ça a été progressif, mais je dirais que je suis devenu vraiment à l’aise il y a deux ans environ : j’ai trouvé ma vraie formule, ma sonorité, mon périmètre du grave à l’aigu. Je suis confiant maintenant, je me sens capable d’aborder n’importe quel titre en étant moi-même, en me démarquant. 

Comment avez-vous appris à produire et affiné vos compétences au fil du temps ?

J’ai commencé en essayant d’imiter d’autres beats, je jouais mes beats préférés et j’essayais de les reproduire, de reproduire tous les sons qu’ils contenaient. Après avoir maîtrisé ça, je me suis demandé comment je pouvais être original, avoir mon propre son. J’ai donc expérimenté, jusqu’à ce que je trouve ma formule idéale. 

À vos débuts, vous avez été impressionné par une vidéo du producteur et chanteur Ryan Leslie. Pouvez-vous nous raconter ?

Ryan Leslie m’a beaucoup inspiré parce qu’il avait une série de vidéos sur YouTube dans lesquelles il créait sous vos yeux un beat de A à Z, puis ajoutait les paroles et enregistrait le tout d’emblée. Gamin, en voyant ça, je n’en revenais pas, je ne savais pas que c’était possible d’avoir la main sur toutes les composantes d’une chanson. C’est la première fois que je voyais ça. Ryan Leslie avait plusieurs vidéos sur le même modèle, avec les hits qu’il avait écrits pour Cassie ou pour lui-même. Ça m’a donné envie de faire pareil, avoir la main sur tous les instruments, l’enregistrement, tout le processus. 

Avez-vous étudié d’autres producteurs en particulier ?

Oui, après les vidéos de Ryan Leslie, je tapais dans le moteur de recherche : “producers in studio”. Je me souviens avoir vu une vidéo de Pharrell, qui créait une chanson de toute pièce, qui composait pour un autre artiste. De Kanye West qui faisait la même chose… C’est comme ça que j’ai forgé mon approche. 

Quels sont vos équipements ou instruments favoris pour créer de la musique ?

Je suis de la nouvelle école, FL Studio est mon logiciel préféré et j’aime bien aussi Ableton. 

Vous composez seul la plupart du temps ? 

Oui, j’ai un coin personnel chez moi, j’adore faire de la musique seul. Ça ne m’embête pas de travailler avec d’autres personnes, mais j’aime être dans le confort de ma propre maison. 

Avez-vous une équipe de musiciens à qui vous faites appel ?

Oui, bien sûr, pour certaines chansons sur lesquelles je veux de l’instrumentation live. Sur le projet “No Love Lost” j’ai appelé mon pote Chris O’Bannon qui a fait les parties de guitares, pour capter cette émotion que je recherchais.

Comment avez-vous développé vos capacités de songwriter ?

Je pense que le fait d’être un producteur m’aide aussi à savoir structurer des chansons, car quand tu produis tu dois savoir séquencer pour identifier le refrain, le couplet, le refrain de nouveau. C’est comme ça que j’ai appris à manier les 16 mesures, les 8 mesures, à comprendre comment la musique s’articule autour de quatre temps. Dans un sens, je vois la musique comme des maths. 

Pochette de “No Love Lost”, version initiale parue le 4 septembre 2020.

“Mon but est d’attirer votre attention d’emblée et, quand la chanson se termine, vous inciter à la remettre.”

Blxst

No Love Lost

“No Love Lost” aurait pu s’appeler “No Time Lost” tant vos chansons vont droit au but, sans superflu. Est-ce un choix conscient de votre part ?

[Rires.] Je ne sais pas, c’est comme si je voulais mettre les fans en appétit, avec de la qualité, pour qu’ils en redemandent. C’était intentionnel de sortir un projet court, et de revenir encore plus fort. 

Les chansons en elles-mêmes sont courtes…

Oui, c’est dans la même logique, quand tu goûtes de la bonne nourriture, tu te dis : “Attends, il m’en faut plus !” Et tu vas payer pour le plat suivant. C’est du marketing. Je suis un nouvel artiste, je ne veux pas vous en donner trop, je veux que vous en vouliez davantage. 

On pourrait croire que vous finissez par couper vos morceaux en deux avant de les publier. C’est votre façon d’appliquer l’adage “less is more” ?

Oui, on vit dans une époque où les esprits de chacun sont très sollicités par les réseaux sociaux. Mon but est d’attirer votre attention d’emblée et, quand la chanson se termine, vous inciter à la remettre. Avoir ainsi du “replay value”. Si tu aimes vraiment le morceau, tu vas le rejouer. 

Ce projet a-t-il eu une longue gestation ?

Je dirais une année en tout. 

Était-ce prévu dès le départ de publier une version augmentée de six titres ?

Non, c’est venu après. Pour répondre à mes fans qui en demandaient plus. Je ne veux pas qu’ils se disent : “C’est bon, on en a assez”, ce serait la pire chose à entendre. Cette version deluxe, je la souhaitais, mais elle n’était pas prévue dès le départ. 

Pour la version initiale de “No Love Lost”, vous avez choisi de n’inclure aucun invité…

Oui, ce n’était pas intentionnel, mais je suis ravi que ce se soit fait ainsi, simplement pour montrer que je pouvais me présenter moi-même, arriver dans le game en tant que nouveau nom de qualité. 

Qu’est-ce que ça signifie pour vous d’avoir Ty Dolla $ign sur l’une de vos chansons, dans la version deluxe ?

C’est énorme. Surtout compte tenu d’où je viens, il est l’un des plus grands ici. Partagé une chanson avec lui, avoir son respect, ça m’a suffi pour passer à un autre niveau. 

D’où vient votre “sheee”, cette petite exclamation qui est vraiment une signature sonore ?

[Rires.] C’est fou, personne ne m’avait encore demandé ça. Pour moi, c’est juste une expression. Si je dis quelque chose qui déchire, ou si le beat est dingue, je vais ponctuer avec ce “sheee”. J’utilise ça aussi comme un marqueur, un beat tag

Avez-vous beaucoup de titres inédits, beaucoup de titres en chantier ?

Oui, j’enregistre tout le temps, j’ai des tonnes de musique, mais je n’aime pas publier avant que tout soit bien cohérent, que ça raconte une histoire. Je ne publie rien au hasard, il faut qu’il y ait du sens. 

Qu’est-ce que vous aimez, qu’est-ce que vous recherchez quand vous produisez d’autres artistes ?

J’aime avoir une autre perspective, aussi bien quand j’écris que quand je produis pour d’autres. Je trouve ça génial de voir les choses d’un autre angle. C’est ce qu’il y a de mieux là-dedans, tu apprends quelque chose de nouveau. 

Y a-t-il des artistes que vous souhaitez produire en particulier ?

Bien sûr. D’abord des artistes de ma ville. Je pense avoir les capacités de produire des albums pour d’autres artistes, comme l’on fait Dr. Dre, Pharrell, Kanye West. J’ai envie de suivre cette approche. Je n’ai pas de noms précis, mais je veux commencer par ma ville, avec des artistes émergents.

© Miguel Garcia

“Un jour, mon fils sera grand et décodera tout ce que je dis dans mes morceaux. Je veux que ça ait du sens, montrer mon intégrité.”

Blxst

La force de l’aigle

D’où vient votre nom d’artiste ?

Gamins on se donnait des surnoms, j’ai inventé celui-là, je trouvais que ça sonnait cool. Plus tard, j’ai pensé à le changer, car il ne se rattachait à rien de particulier. Mais quand j’ai eu mon fils, je me suis dit en le regardant : “OK, maintenant je suis un super héros, je suis Blast”. Et j’ai donc gardé ce nom, je l’aime. 

Et vous avez remplacé le “a” par un “x”, pour en faire une marque ?

Oui, c’est du marketing. Si tu cherches ça, tu tombes sur moi directement. 

En 2015 vous avez créé votre label Eagle [orthographié Evgle], pourquoi ce nom ?

À mes yeux, l’aigle est unique, car il représente la confiance. C’est l’un des oiseaux qui volent le plus haut, mais pas en nuée. Il représente l’idée de voler à ta propre altitude et d’être capable de le faire seul. Et d’un autre côté, c’est l’idée de créer une équipe d’aigles : tu es aussi un aigle si tu peux voler haut. Et quand on se rassemble, c’est vraiment puissant. 

Pourquoi avez-vous signé avec Red Bull Records ?

C’était en mars ou avril 2020, parce que je pensais qu’il était temps de passer à un autre niveau. J’ai mon équipe Evgle, mais je voulais collaborer avec une structure plus développée, pour activer et déployer le projet, diffuser les clips… Parce que je sentais que la qualité musicale devait être raccord avec le visuel. La musique était déjà prête, je voulais la diffuser de la bonne manière. Et puis Red Bull a compris le projet : un jeune artiste mais avec la main sur tout, qui ne connaît pas encore bien le business. Ce fut le coup parfait, on travaille main dans la main, j’adore ça. 

Vous gardez donc un contrôle total sur votre vision artistique ? 

Absolument. Je dois protéger mes arrières, toujours. C’est clair. 

L’un de vos plus proches partenaires musicaux est Bino Rideaux. Que pouvez-vous dire sur votre relation et sur la façon dont vous travaillez ensemble ? 

L’alchimie entre Bino et moi est unique. On a créé un nouveau son pour L.A. Ça a apporté un changement, une nouvelle énergie. Je veux continuer avec lui, on a sorti une tape [“Sixtape”, 2019], on s’apprête à doubler la mise. 

Vous êtes un jeune père. Est-ce que ça a changé la façon dont vous créez votre musique ?

Oui, absolument. Ça m’a fait réfléchir à l’intention, au sens de ce que je dis. Un jour, mon fils sera grand et décodera tout ce que je dis dans mes morceaux. Je veux que ça ait du sens, montrer mon intégrité, ma solidité en tant qu’individu respectable. Je veux lui montrer ça, lui inculquer ça, donc quand j’écris mes paroles, je ne pense pas qu’à moi.

Quelle est la prochaine étape ? Peut-on s’attendre à un album en 2021 ?

Oui, absolument. Après le projet avec Bino, je vais publier un album entier, c’est vraiment en haut de ma liste de priorités. 

Comment gérez-vous votre popularité qui grandit à vue d’œil ? 

[Rires.] J’essaye de rester humble, d’habitude je garde beaucoup de choses pour moi, alors quand j’échange avec des fans, j’essaye de renvoyer l’amour dont ils font preuve à mon égard, car au final je suis reconnaissant. Il y a un an, rien de tout ça n’avait lieu, donc je m’en sers pour nourrir ma motivation. 

Propos recueillis par Nicolas Teurnier le 17 décembre 2020.
Photo d’ouverture © Brandon Hicks
Chronique de “No Love Lost”
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blxst.com

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