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Brèves / 14.02.2017

Al Jarreau, 1940-2017

Ni fleurs, ni cadeaux : c’est par des dons à la Wisconsin Foundation for School Music que l’entourage d’Al Jarreau a demandé à ses admirateurs de lui rendre hommage après son décès au matin du 12 février, symbole parfait de la relation particulière que l’artiste avait avec la musique et avec sa dimension sociale.

Né le 12 mars 1940 à Milwaukee dans le Wisconsin, fils d’un pasteur et d’une pianiste d’église, Alwin Lopez Jarreau baigne dans la musique dès son plus jeune âge, se produisant enfant avec sa mère pour des évènements religieux. Diplômé en psychologie à l’université, il commence à se produire à partir du milieu des années 1960 à San Francisco et dans les environs avec le trio du pianiste George Duke ou en duo avec le guitariste Julio Martinez, sans que sa réputation dépasse réellement les limites de la Côte ouest, malgré quelques apparitions télévisées et des enregistrements ponctuels (Shake up, sur Raynard, en 1964) qui passent inaperçus.

 

 

 

Bien qu’il décide de passer professionnel et de se consacrer à la musique à temps plein dès la fin des années 1960, il doit attendre 1975 pour que sa carrière prenne son envol, après des années à se produire dans les clubs chics de Los Angeles. Paru cette année-là, alors qu’il a déjà 35 ans, l’album “We Got By”, son premier, fait découvrir au public sa technique vocale très particulière, faisant une large part aux improvisations scattées et aux acrobaties spectaculaires, mais c’est avec le disque suivant, “Glow”, que vient vraiment le succès, et son premier titre classé dans le hit-parade R&B de Billboard. “Look To The Rainbow”, enregistré en public, lui permet de décrocher son premier Grammy, pour la meilleure performance vocale jazz, en 1978.

 

 

 

Mais la composante jazz de son travail tend progressivement à laisser place à une orientation plus pop teintée de R&B, qui devient dominante au tournant des années 1980. “Breakin’ Away”, en 1981, atteint le sommet des classements jazz et R&B – et une très honorable neuvième place pop –, tandis que We’re in this love together devient un tube grand public cette même année, ouvrant la voie à une série d’albums dans ce même format. Sans perdre totalement sa singularité mais avec des prétentions artistiques revues à la baisse, la voix de Jarreau devient un des sons les plus reconnaissables de la décennie, présente aussi bien au générique de la série Clair de Lune (avec Bruce Willis !) qu’à celui du film Out of Africa. Symbole du statut acquis par Jarreau, Brenda Russell lui consacre une chanson qui porte son nom, et il fait partie de l’élite pop choisie pour une partie solo sur We are the world.

 

 



 © Maria Chavez

 

Après avoir enchaîné les succès tout au long des années 1980, il délaisse quelque peu les studios dans la décennie suivante, se concentrant plus sur les tournées. Les années 2000 le voient se rapprocher à nouveau du jazz dans une série de disques à succès, dont un en duo avec George Benson, tout en restant une figure régulière dans les programmes des festivals. Des problèmes de santé, à partir de 2010, l’avaient contraint à ralentir quelque peu le rythme, mais son apparition, en novembre dernier, à Paris dans le cadre du festival Blue Note (Soul Bag y était, récit ici) confirmait que, à 76 ans passés, même visiblement diminué physiquement, il restait un interprète hors du commun et un homme de scène capable d’enthousiasmer son public en chantant… Boire un petit coup c’est agréable – en français, bien sûr ! Si une partie de son œuvre n’a pas très bien vieillie, Jarreau a été, pendant une grosse quarantaine d’année, une des voix les plus reconnaissables des musiques populaires afro-américaines, respecté aussi bien par le public et par ses collègues – la liste de ceux avec qui il a collaboré est éloquente. Il est mort quelques jours à peine après avoir fait annoncer qu’il renonçait définitivement à la scène, et il n’est pas interdit d’y voir un lien de cause à effet.

Frédéric Adrian

 


© Joe Gordon