;
Chroniques / 16.02.2020

Victim of the Joke? …An Opera”, David Porter

Depuis que Concord a repris la gestion du catalogue Stax, en quasi déshérence pendant plusieurs années, sa filiale patrimoniale Craft a fait le choix d’une politique de réédition plus axée sur la qualité que sur la quantité, à coup de produits “premiums” comme le coffret “Stax ’68: A Memphis Story” ou l’édition “deluxe” de la musique du film Shaft, ainsi que par la mise à disposition sur les plateformes de téléchargement d’albums méconnus.

Fin 2019, le label a choisi de proposer la réédition physique, en LP uniquement, de cinq disques datant de la fin des années 1960 ou du début des années 1970 : “Gotta Groove” des Bar-Kays, “Home” de Delaney & Bonnie, “Melting Pot” de Booker T & the MG’s, “Who’s Making Love” de Johnnie Taylor et “Victim of the Joke? …An Opera” de David Porter. Si tous ces albums ont déjà été réédités, certains d’entre eux n’étaient plus apparus dans les bacs des disquaires – en dehors d’éditions japonaises peu accessibles – depuis des versions CD de qualité médiocre au début des années 1990. 

C’est en particulier le cas de l’OVNI de la bande, l’improbable “Victim of the Joke? …An Opera” de David Porter. Surtout connu pour son partenariat avec Isaac Hayes, à l’origine notamment des principaux tubes de Sam & Dave et de nombreuses perles du catalogue Stax, Porter attend le début des années 1970, alors que son ancien complice consacre désormais son temps à sa propre œuvre, pour se lancer sérieusement dans une carrière personnelle. Après deux albums classiquement soul, “Victim of the Joke?” apparaît, au sein du catalogue de la marque de Memphis et dans la discographie même de Porter, comme une incongruité et une forme d’expérience sans suite. Il s’agit en effet d’un album “concept” dans lequel les passages musicaux, qui mêlent reprises et originaux signés par Porter avec ses collaborateurs habituels, alternent avec des scènes jouées, justifiant la référence à l’opéra du titre et anticipant les “skits” devenus habituels sur les disques hip-hop. Ce sont d’ailleurs ces passages qui sont les moins convaincants du disque, auxquels ils n’apportent rien.

Pour le reste, la musique s’inscrit dans le meilleur de ce que propose le label de Memphis en ce début des années 1970. Porter, qui n’a sans doute jamais accordé à son rôle de chanteur l’attention qu’il méritait, s’amuse à aller chercher Isaac Hayes sur son terrain avec une version à rallonge de I’m afraid the masquerade is over et offre quelques originaux très réussis comme l’accrocheur If I give it up, I want it back avec ses cordes affolées ou la ballade théâtrale Storm in the summertime. Quelques-uns des habitués des studios Stax – les Bar-Kays, la paire rythmique Duck Dunn-Al Jackson, l’arme secrète Bobby Manuel à la guitare… – apportent leur contribution à des arrangements théâtraux à la limite de la grandiloquence qui font la singularité de l’ensemble. Avec ses défauts, une perle baroque qui mérite la (re)découverte…

Frédéric Adrian

Note : ★★★★
Label : Craft
Sortie : 6 décembre 2019

CraftDavid PorterFrédéric AdrianStax