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Brèves / 02.03.2015

Une chronologie dans le détail

Après le lancement il y a huit jours, voici une présentation détaillée (et remise à jour par rapport à notre première description publiée fin 2014) du livre De Christophe Colomb à Barack Obama – Une Chronologie des musiques afro-américaines. Par Jean-Paul Levet, avec la participation de Daniel Léon. Préface de William R. Ferris. Il est également utile de rappeler que Soul Bag est l’éditeur de cette publication en ligne. L’ouvrage comprendra quatre tomes. Les trois premiers correspondent à trois grandes périodes : 1492-1919, 1920-1942 et 1943-2014. La chronologie se décline en quelque trente rubriques qui apparaissent selon les informations retenues pour chaque année considérée. Elle est par ailleurs ponctuée de textes explorant des thèmes répartis dans les trois tomes. Elle se distingue également par l’intégration d’éléments relatifs aux contextes économique, social et politique de l’histoire des Afro-Américains. Enfin, un quatrième tome se composera de deux chronologies spécifiques, l’une consacrée à Robert Johnson, « Robert Leroy Johnson : de l’homme au mythe », l’autre traitant des musiques afro-américaines par des artistes non issus de la communauté noire, « You Done Taken My Blues and Gone : les autres interprètes des musiques afro-américaines ».

Tome I (photo ci-dessus): 1492-1919. Paru depuis peu, ce tome I est d’ores et déjà disponible à cette adresse. Il compte 538 pages (estimation) et coûte 9,50 euros. Vers l’an 1000, Leif Erikson, un Viking parti du Groenland, aborde les côtes de l’actuel Canada ; il est suivi par Thorfinn Karlsefni et son fils Snorri (qui serait donc le premier Européen né au Nouveau Monde), c’est du moins ce que transmettent deux sagas, celle d’Erik le Rouge et celle dite des Groenlandais. Ce sont des récits transmis par voie orale, transcrits par des lettrés islandais à partir du xie siècle ; leur véracité pouvait être mise en doute jusqu’en 1960, quand deux archéologues norvégiens ont mis à jour le site de l’Anse aux Meadows, sur la pointe nord de Terre-Neuve. Il abrite les plus anciennes traces de la présence d’un Européen, probablement celles de Thorfinn Karlsefni. Pour autant, c’est l’année 1492, tant elle est unanimement et officiellement admise, que nous avons retenu comme date de départ de cette chronologie : le 12 octobre 1492, Christophe Colomb pose le pied sur un îlot des actuelles Bahamas. Sur le plan de la musique, ce tome I s’arrête sur l’industrie naissante (création des premiers studios, évolution des techniques d’enregistrement) et sur les courants précurseurs dont les work songs, les danses et airs traditionnels, les spectacles itinérants (minstrel et tent shows), les spirituals, le ragtime, etc. Ce tome intègre également deux articles thématiques : « Cultures amérindiennes et afro-américaines : des influences ? » et « I got stones in my passway : hoodoo & blues ».

Tome II : 1920-1942. 1920 est une année charnière à plusieurs égards. C’est bien sûr la date d’enregistrement de ce qui est généralement considéré comme le premier disque de blues, Crazy Blues, que gravent Mamie Smith et ses Jazz Hounds le 10 août à New York. Les années 1920 voient en outre les pionniers réaliser leurs premiers titres dans le domaine du gospel, mais aussi dans les différents styles du blues rural fondateur : Delta Blues, Texas Blues, East Coast Blues, Memphis Blues. Les compagnies discographiques fondent en outre des catalogues avec des disques spécialement destinés aux Noirs, les fameux race records. Mais cela correspond également à la création de la première radio commerciale des États-Unis, KDKA à Pittsburgh. Plus que le disque, ce nouveau vecteur de diffusion va radicalement transformer le rapport à la musique, aussi bien des auditeurs que des musiciens et des autres acteurs de la chaîne de production et de promotion de la musique. Rappelons que jusque-là, le moyen essentiel de diffusion était la partition. Enfin, avec les années 1920, les États-Unis s’affirment comme la première puissance économique, politique, et bientôt culturelle, du monde ; face à des pays européens décimés et rendus exsangues par la Première Guerre mondiale, ils ont développé leur production, étendu leurs marchés extérieurs, renforcé leur marine marchande et supplanté Londres comme centre de la finance mondiale. Dans le même temps, avec quelque huit millions de morts et un déficit de naissances équivalent, la population de l’Europe retombe à son niveau d’avant 1900. Dégâts matériels et perte de production atteignent près de vingt fois le PIB de la France.

Tome III : 1943-2014. Le 1er août 1942, à l’instigation de l’American Federation of Musicians (AFM) et de son président James Petrillo, s’ouvre une grève illimitée des enregistrements. Motivée par le problème de la rémunération des musiciens, elle va durer jusqu’à novembre 1944, quand les dernières compagnies à céder, Columbia et RCA Victor, finissent par accepter les conditions de l’AFM. Cette date est donc essentielle dans l’histoire des enregistrements ; nombre d’artistes qui enregistraient avant ne retrouveront plus le chemin des studios après 1942, et les principales compagnies de disques seront bientôt concurrencées par une kyrielle de nouveaux labels indépendants. Par ailleurs, les États-Unis, entrés en guerre le 8 décembre 1941 au lendemain de l’attaque de leur base navale de Pearl Harbor (Hawaï), vont conforter leur suprématie mondiale. Au plan culturel, la vogue du jazz – musique associée à la libération – et du cinéma hollywoodien est à replacer dans ce contexte. Le début des années 1940 voit aussi l’émergence des premiers classements des ventes de disques (les charts), une période qui annonce également l’apparition de styles modernes et contemporains que sont la soul et le R&B, et plus près de nous le rap et le hip-hop.

Les rubriques. Elles structurent et ordonnent les informations ; dans le tome I, où ces dernières sont peu nombreuses, elles ne sont pas systématiquement présentes. Les premières rubriques de chaque année concernent le contexte socio-économico-politique, et les suivantes apportent des éléments sur l’objet même de cette chronologie, les musiques afro-américaines et leurs créateurs. Elles apparaissent généralement dans l’ordre ci-dessous, mais quelques variations, nécessitées par la recherche de cohérence du texte, peuvent survenir.

Musique aux Amériques. Indications sur ce qui pouvait être entendu aux Amériques avant que les progrès technologiques rendent possibles l’enregistrement et la conservation des sons. Elle apparaît donc essentiellement dans le tome I.

Sur la scène politique / Économie & démographie. Ces deux rubriques replacent les informations fournies dans leur contexte socio-économique et politique.

Expansion & aménagement du territoire. Elle récapitule l’expansion territoriale des États-Unis jusqu’à la fin de la période de La Frontière à la fin du xixe siècle, et cite certains grands chantiers d’aménagement, notamment quand ils ont eu un impact sur la vie de la communauté afro-américaine et/ou retenu l’attention de blues ou de gospel singers.

Société. Quelques grands phénomènes de société, notamment rattachés aux artistes afro-américains.

Dans l’air du temps. Phénomènes de mode et cas de censure affectant le domaine musical.

Faits divers. Au sens journalistique du terme. Sont spécialement retenus les faits divers à l’origine de ballades célèbres.

Affaires indiennes. Cette chronologie intègre non seulement des données sur les Noirs et leur histoire dans le Nouveau Monde, mais également sur les américains de souche, les Indiens. Ce parti pris peut étonner tant il est presque unanimement admis que les musiques afro-américaines trouvent leurs racines en Afrique. Sur ce point, nous renvoyons le lecteur à l’un des textes présents dans le tome I, « Cultures indiennes et afro-américaines : des interférences ? »

Condition des Noirs. Évolution du statut des Noirs au plan législatif.

Seems Like Murder Here. Phrase tirée de Down the Dirt Road Blues que Charlie Patton enregistre en 1929 ; elle sert de titre à l’un des ouvrages consultés, celui d’Adam Gussow, Seems Like Murder Here: Southern Violence and the Blues. La rubrique recense les violences interraciales. Pour chaque année, le nombre de Noirs lynchés est indiqué, de même que les révoltes et émeutes. Quand un blues singer a été victime/témoin de certains de ces actes, et qu’il en a témoigné lors d’une interview ou dans un livre, sa version des faits est mentionnée.

I’m Black and I’m Proud. D’après le titre enregistré par James Brown en 1968. Éléments dont la communauté noire peut être fière, dans les domaines scientifique, économique, littéraire, sportif et autres. Sont notamment retenus ceux qui ont laissé des traces dans les textes des chansons noires.

Technologie & diffusion du son. Évolutions technologiques ayant un impact sur la production, l’enregistrement et la diffusion du son, des premiers enregistrements de la voix humaine en 1860 jusqu’au streaming sur Internet en passant par la radio, la télévision et les différents stades d’évolution du disque.

Industrie du spectacle. Compositions marquantes, création/disparition de labels, ouverture/fermeture de salles de spectacles, tournées… Elle donne également des indications sur l’économie du show business et tout spécialement du disque.

Chasin’ that Devil Music. Du titre d’un ouvrage publié en 1998 par Gayle Dean Wardlow. Parallèlement aux enregistrements commerciaux, les musiques afro-américaines, comme d’autres courants ethniques, ont fait l’objet d’études et de sessions à vocation scientifique ; il s’agissait, pour les ethnomusicologues, de préserver un patrimoine considéré comme en voie de disparition. Sont ainsi recensés les enregistrements de terrain de John et Alan Lomax, mais aussi de Milton Metfessel, Lawrence Gellert, Mack McCormick, Harold Courlander, William Ferris et quelques autres. Quant aux recueils de textes de chants, tels ceux effectués par Thomas W. Talley, Howard Odum & Guy B. Johnson, Henry E. Krehbiel et consorts, ils apparaissent dans la rubrique En librairie. Au milieu des années 1950 et dans la décennie suivante, cette rubrique recense les initiatives de jeunes amateurs, tous blancs, qui se sont lancés sur les traces de blues singers dont on ne connaissait parfois que le nom sur un macaron de 78-tours.

Blues People. Du titre d’un ouvrage publié en 1963 par LeRoi Jones alias Amiri Baraka. Cette rubrique donne des informations sur la vie des acteurs de cette chronologie, notamment (mais pas exclusivement) avant leurs premiers enregistrements. Cela permet de les replacer dans le contexte dans lequel ils évoluaient et développaient leur savoir-faire musical avant qu’il ne soit fixé par le disque.

Black Diamond Express to Hell. D’après le titre enregistré par le révérend A. W. Nix en 1927. Cette rubrique recense les « turpitudes » auxquelles ont pu se livrer certains acteurs de cette chronologie.

Enregistrements remarquables. Enregistrements qui avec le recul du temps ont marqué l’année considérée et qui, pour certains, ont influencé le cours de la musique.

Du côté des hit-parades. Sont listés les titres ayant atteint la première place des hit-parades. Ceux-ci donnent une idée, année après année, du goût des publics (au pluriel car la législation américaine permet la classification des individus selon leur visibilité) ; la rubrique apparaît à partir de 1942, date de la publication du premier Harlem Hit Parade par la revue Billboard. Le poids des Noirs dans le Hot 100 et des Blancs dans les hit-parades noirs, tel que mesuré par le nombre de semaines en numéro 1, varie grandement selon les époques, les modes et l’évolution des relations interraciales ; en 1958, durant la vogue du rock ’n’ roll, les chanteurs blancs occupent durant vingt-neuf semaines la première place du hit-parade R&B, alors que les Noirs n’accèdent que sept semaines à la première place du Hot 100 ; mais avec la montée du mouvement pour les droits civiques, les chanteurs blancs ne vont plus apparaître qu’épisodiquement dans le hit-parade R&B. Les titres et les albums sont listés dans l’ordre de leur accès à la première place.

Sittin’ on Top of the World. D’après le titre enregistré par les Mississippi Sheiks en 1930. Cette rubrique apparaît à la fin du xxe siècle. Elle porte sur les récompenses et distinctions octroyées par différentes institutions : Blues Hall of Fame, Grammy Awards, Gospel Music Hall of Fame, Hollywood Walk of Fame, Kennedy Center Honors, Rockabilly Hall of Fame, Rock ’n’ Roll Hall of Fame, Songwriters Hall of Fame, Vocal Group Hall of Fame, W. C. Handy Awards, Blues Music Awards… Quand une distinction est décernée à un enregistrement considéré comme particulièrement remarquable, elle est notée dans la rubrique Enregistrements remarquables.

First Time I Met the Blues. D’après le titre enregistré par Buddy Guy en 1960. Sont listés les artistes ayant effectué leur premier enregistrement dans l’année considérée. Vu leur intérêt historique, jusqu’en 1943, tous les artistes ayant eu un enregistrement publié (même s’ils n’ont gravé qu’un seul titre) sont cités ; le listing – établi à partir de Black Recording Artists 1877-1926 (2013) et de Blues and Gospel Records 1890-1943 (1997) – est donc jusqu’à cette date a priori exhaustif. Ensuite, seuls ceux ayant enregistré au moins quatre faces apparaissent.

Curiosités du disque. Enregistrements remarquables pour des diverses raisons (situations et instruments inhabituels).

Langage. Évolutions et événements affectant le langage susceptibles d’être précisément datés.

Élargissement de l’audience des musiques afro-américaines

Événements ayant contribué à faire accéder les musiques afro-américaines à une popularité qui a bien vite débordé leur communauté. Selon les nécessités, elle se subdivise en zones géographiques, États-Unis, Europe, France… Les rubriques qui suivent (À la scène, En librairie, En salles, Sur le petit écran et Sur les ondes) concourent évidemment à cet élargissement de l’audience.

À la scène. Comédies musicales, pièces et spectacles auxquels ont participé certains des musiciens relevant de cette chronologie.

En librairie. Ouvrages relatifs aux courants musicaux faisant l’objet de cette chronologie. Avec le xxie siècle, elle devient (au moins au plan quantitatif) la plus importante, situation pour le moins paradoxale quand, dans le même temps, la musique s’est dématérialisée… Les ouvrages consacrés aux interprètes autres qu’afro-américains ne sont pas cités dans la chronologie principale, mais dans celle qui leur est spécifiquement consacrée, « You Done Taken my Blues and Gone » (tome IV). Avec cette rubrique, le lecteur va disposer d’une bibliographie très complète sur les différents courants musicaux et leur histoire ; elle recense biographies et autobiographies de musiciens, ouvrages consacrés à des labels, discographies, recueils de paroles, et plus généralement tous les ouvrages ayant un rapport avec l’objet de cette chronologie.

En salles. Apparaissent dans cette rubrique : les films et courts métrages consacrés aux courants musicaux objets de cette chronologie, les participations en tant qu’acteurs de musiciens relevant de cet ouvrage, les compositeurs de musique de films. En revanche, sauf exceptions remarquables, les films ne faisant qu’utiliser des chansons dans leur bande originale ne sont pas répertoriés.

Sur le petit écran. Musiciens ayant eu accès à des émissions de télévision ; elle disparaît logiquement avec la banalisation de cet accès.

Sur les ondes. Sont recensés les artistes afro-américains ayant participé à des émissions radiophoniques, comme interprètes ou comme animateurs. La rubrique disparaît quand leur participation s’est généralisée. S’ajoutent des émissions ayant une importance particulière dans le cadre de cet ouvrage.

Sottisier. Cette rubrique apparaît si nécessaire.

Born to Be Blue. D’après le titre de Mel Tormé (1946) popularisé notamment par Grant Green et Ella Fitzgerald. Liste les artistes nés dans l’année ; leur nom est suivi de leur instrument, puis de la ville et de l’État de naissance, quand ils sont connus. Lorsque l’année est incertaine, leur nom est précédé de ca. (circa) ; quand les dates varient selon les sources, les informations apparaissent sous l’année la plus probable, suivie des moins courantes. Le rubrique se subdivise en catégories musicales : blues, R&B/soul, gospel, hip-hop/rap. Selon les années, les sous-rubriques Personnalités du monde de la musique et Personnalités noires sont également utilisées.

Death Bell Blues. D’après le titre enregistré par Tom Dickson en 1928. Décès survenus dans l’année. Mêmes subdivisions que la précédente.