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Live reports / 11.11.2012

TREMPLIN BLUES SUR SEINE

Blues sur Seine n’attribue désormais qu’un seul prix lors de son tremplin, intitulé “Révélation Blues sur Seine” et destiné à accompagner un artiste ou groupe prometteur pendant un an, l’aider à se développer artistiquement et professionnellement.

L’exercice reste cependant le même, six groupes se succédant dans l’après-midi, vingt minutes à chaque fois, pas de place pour gamberger, il faut frapper vite, fort et juste.

Le groupe Hobo de la région Centre entame la série. Orienté blues rock électrique à l’origine, Hobo s’est tourné vers l’acoustique et joue un mélange de country, jazz, boogie, blues, sur des compositions originales. C’est plutôt bien fait, mais il faudrait un peu moins de stress et plus de puissance, notamment pour la guitare lead.

 


Hobo

 

 

Un problème que n’auront pas Daddy MT and the Matches, en provenance de Rhône-Alpes, avec leur blues électrique hérité de Magic Slim, Hip Linkchain, Buddy Guy et autres héros du même style, habilement prolongés dans des compositions originales, habitées par le leader, étonnant de maîtrise, chant placé, guitare vive, tranchante, soutenu par un groupe très solide, qui n’a pas peur d’envoyer du bois sans trop en faire, le tout couronné par un bon sens de la scène. La conclusion s’impose : encore !

 


Daddy MT and the Matches

 

 

Changement complet avec la musique intimiste de One Leg Toad (venus de Poitiers), pas forcément par le son qui n’hésite pas à enfler quand il le faut, mais surtout par les ambiances, la nécessaire concentration pour pénétrer leur univers blues revisité, aux reprises restructurées, à l’instrumentation insolite (accordéon, contrebasse à l’archet et aux doigts, clarinette, guitares – avec archet aussi ! –, percussions, scie musicale). Les quatre musiciens semblent parfois jouer d’abord pour eux, ce qui peut dérouter et rendre interrogatif quant à l’intérêt de la formule dans la durée d’un concert entier, mais il y a tellement de moments forts que le potentiel ne demande qu’à être confirmé.

 


One Leg Toad

 

 

Autre changement d’univers avec T.Bo and The B.Boppers (région Aquitaine), dont le look années 1950 et le répertoire millésimé “New Orleans R&B” annonce de suite la couleur : ça va chauffer ! Sylvain Tejerizo “honke”, Abdell Bouyousfi slappe, Benoit Ribère fait rouler les touches, Francis Gonzales rythme tout ça avec souplesse, un bel écrin autour du jeune leader T.Bo Ripault, dont la capacité à bien faire aussi au chant comme à la guitare sera encore meilleure avec un peu de décontraction. Si le groupe excelle dans les reprises de R&B (Smiley Lewis, Fats Domino, Richard Berry) et sait composer de belles ballades, un blues bien senti apporterait de l’épaisseur à l’ensemble.

 


T.Bo and The B.Boppers

 

 

Beauty and the Beast vient d’Ile de France, et c'est un duo formé par une chanteuse instrumentiste de 17 ans, Roxanne, et un chanteur instrumentiste aguerri, Michel. Disons-le tout de suite, ils vont faire un tabac et remporter le premier prix. Et disons-le aussi : ça se discute ! Look rétro pour elle, indéfini pour lui (chapeau melon, nœud papillon rouge), instruments variés (contrebasse, ukulele, mandoline, guitares), répertoire éclectique, de Duke Ellington (eh oui, It don’t mean a thing… avant d’être interprété par les Mills Brothers, annoncés à tort comme les auteurs, a été créé par Duke Ellington) à AC/DC en passant par Bruce Willis (eh oui encore, nous avons appris que Bruce Willis était un bluesman, d’ailleurs « il a joué de l’harmonica pour BB King »). Les deux complices chantent et jouent assez bien mais un seul riff de Daddy MT contient plus de blues que les vingt minutes de leur set.

 


Beauty and the Beast

 

 

Après ça, le soul blues des String Breakers, déjà bon en tant que tel, n’en fut que meilleur tant il fut agréable de retrouver des notes bleues, même si nos amis Nantais nous frustrent un peu : qu’ils se lâchent ! Laurence chante très bien, Sami est bon à la guitare, la section rythmique assure, mais seul Patrick Billon aux claviers semble vivre la musique à fond. Il n’y a pas beaucoup de bons groupes sur ce créneau, il faut l’occuper dans toute son étendue. Ça doit chauffer, transpirer, comme les deux derniers titres (un blues funky et un Ain’t nobody’s business lent et épais) l’ont laissé entrevoir.

 


The String Breakers

 

 

Est venu le temps du vote et des résultats. Et à la fin c’est souvent le groupe le moins blues qui gagne. Beauty and the Beast ont certes eu les faveurs du public, mais se bricoler un look ancien, jouer en acoustique avec un choix d’instrument en décalage par rapport au répertoire, remplir ce dernier de titres dont le lien avec le blues est souvent très distendu, faire passer le tout sous couvert d’un humour basique et du minois charmant d’une beauté juvénile, ça a tout du procédé, forcément éphémère, et surtout, ça n’est pas du blues ! L’objectif du concours a peut-être changé, accompagnement d’artistes en devenir plutôt que reconnaissance d’un niveau, mais le qualificatif “blues” lui ne change pas, il faut qu’il y en ait. Une organisation qui revendique ce “blues” doit être en cohérence avec son choix. C’est une question de crédibilité. Comment se plaindre que le grand public n’y connaisse rien en blues si on entretient des images fausses ?

Certains diront que Daddy T and the Matches n’ont pas besoin d’être accompagnés car ils sont déjà très bons. Ne pourraient-ils tout de même pas profiter d’un soutien pour enregistrer, trouver des engagements, se faire connaître en France, à l’étranger ? T.Bo ne pourrait-il pas être conseillé pour prendre de l’assurance ? Les String Breakers ne bénéficieraient-ils pas de conseils pour mieux occuper la scène, accrocher le public ? Hobo et One Leg toad n’ont-ils aucune marge de progrès ? Allez, soyons positifs et disons-nous que si Beauty and the Beast ont été élus, c’est parce qu’ils étaient tellement éloignés du blues qu’ils ont vraiment besoin d’accompagnement pour s’en rapprocher.

Christophe Mourot

Photos © Miss Béa