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Live reports / 22.06.2018

Tracteur Blues Festival

On ne peut être qu’admiratif devant le travail effectué par les passionnés du Tracteur Blues Festival, manifestation réalisée sous l’égide de l’association Blues sur Seine : trois jours de concerts gratuits organisés dans un cadre rural convivial (parcs verdoyants, pique-niques, exposition de tracteurs de collection…) complété de stands vantant les mérites des produits du terroir local. Avec un peu d’imagination, on se croirait dans le Midwest ! C’est en tout cas un bonheur d’écouter nos musiques favorites dans ces conditions et de constater qu’au-delà des amateurs, un large public familial est aussi venu en profiter. 

La soirée du 2 juin (mairie d’Hargeville) fut consacrée à Selwyn Birchwood. Accompagné de son fidèle groupe de scène dont il ne cesse, avec raison, de vanter les mérites et que l’on retrouve sur son dernier CD, le très goûteux “Pick Your Poison” (Alligator, 2017), le Floridien a déroulé deux sets roboratifs de 45 minutes constitués des meilleures pièces de son répertoire. Superbe chanteur à la voix grave et rauque, cool et charismatique, sourire extatique régulièrement vissé aux lèvres, guitariste intense et complet, Birchwood a consciencieusement passé en revue toutes les composantes de son style : boogie moderniste (Trial by fire, nimbé des puissantes parties de flûte de Regi Oliver), neo gospel à tendance New Orleans (Even the saved need saving), funk (R we crazy), blues lents mineurs tranchants façon West Side (Heavy heart), boogies dansants (Don’t call no ambulance), hommages à ses idoles Albert Collins (Honeyhushavec de belles décharges d’électricité bien évocatrices de l’Iceman) ou Muddy Waters (les citations de I can’t be satisfied), grooves reggaes (la nouveauté Living in a burning house… à paraître sur son prochain CD ?), arrangements variés alternant sophistication jazzy, ruades quasi heavy et ascèse country-blues (les rythmiques en finger-picking)… 

 

 

 

Le groupe fait preuve d’une efficacité redoutable, tant dans sa manière d’échanger (ils réagissent au quart de tour à la moindre sollicitation du leader) que dans sa sophistication rythmique, les morceaux étant parsemés de breaks et micro-riffs en tous genres (Huff Wright à la basse et Courtney “Big Love” à la batterie sont remarquables d’efficacité). De même, le recours quasi-constant au baryton de Regi Oliver confère à l’orchestre une signature sonore très personnelle : chorus bruts de décoffrage allant du R&B traditionnel au rock 'n' roll et tirant parfois vers le free, ostinatos, appuis rythmiques interconnectés avec la basse…

 

 

 

 

 

Deux points d’orgue : l’impressionnant Guily pleasures, lacéré d’impressionnants chorus de slide et que Selwyn introduit en expliquant que son objectif est de trouver son propre son et que ce titre, « hommage au Mississippi-sound », constitue à son avis ce qu’il a réalisé de plus abouti à date ; puis le final féroce (Addicted), pris toute guitare dehors (ES 335 passée au tamis d’un Fender Deluxe chauffé à blanc), joué pieds-nus dans l’herbe au milieu d’un public en partie profane constatant ébahi, que oui, le blues, c’est donc cela : de l’intensité, du fun et de la générosité.

 

 

 

 

 

 

 

La soirée du lendemain (école communale de Chapet) fut d’un niveau équivalent avec l’excellent show donné par le new-yorkais Chris Bersgon, dont on ne soulignera jamais assez les qualités du dernier disque (“Bitter Midnight”, paru chez Continental Blue Heaven en 2017). Muni d’un répertoire en béton armé, c’est un très bon chanteur doublé d’un excellent guitariste dont la technicité, bien réelle, ne sonne jamais vain. Son crédo : la recherche de la note juste, la gestion des silences, la concentration d’énergie.

 

 

 

 

 

 

 

Un concert réussi donc, d’autant que Chris s’est adjoint pour cette tournée les services du soulman Ellis Hooks, artiste dont on avait un peu perdu la trace depuis la publication de ses disques Evidence au début des années 2000 et que l’on est ravi de retrouver en pleine forme. L’association de son chant fiévreux avec le blues âpre, protéiforme et urbain de Chris Bergson est une réussite, dont on espère qu’elle se poursuivra par la réalisation d’un prochain album studio, une option clairement envisagée par les deux compères !

 

 

Ulrick Parfum
Photos © J-M Rock'n'Blues
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