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Brèves / 20.11.2023

Tout, tout, tout, vous saurez tout sur la country

Arte fait un beau cadeau aux amateurs de musiques raciniennes en mettant en ligne sur son site (jusqu’en octobre 2024) sous le titre Country Music : une histoire populaire des États-Unis la série consacrée en 2019 au genre par le documentariste Ken Burns, bien connu pour ses séries au long cours consacré entre autres au jazz, au baseball ou à la guerre du Vietnam. 

Il ne s’agit cependant pas de la série originale de huit épisodes de deux heures, mais d’une version raccourcie en neuf épisodes d’une heure. C’est évidemment un peu frustrant – et un peu méprisant pour le public, pour être franc –, d’autant que cela entraîne des impasses peu compréhensibles, en particulier sur le lien avec le rock ’n’ roll et des figures marginales mais importantes comme Townes Van Zandt, présent uniquement par allusions, mais ce qui est présenté, avec ses faiblesses, ne manque cependant pas d’intérêt. 

Ken Burns – et sa voix off, assurée par l’excellent Peter Coyote – trace en effet une fresque ambitieuse qui s’ouvre au début du XXe siècle, avec des figures comme Fiddlin’ John Carson et Uncle Dave Macon, et se poursuit jusqu’à la disparition de Johnny Cash, dont la carrière à multiples étapes sert de fil rouge à la narration. Illustré par de nombreuses images frappantes et souvent peu connues (l’accueil glacial réservé à un Charley Pride débutant, une émission télévisée avec un Johnny Cash au sommet de ses problèmes d’addiction, Charlie Rich brûlant la carte annonçant la désignation de John Denver comme artiste country de l’année…), le récit fait le choix – un peu contradictoire avec la volonté affichée de présenter la country comme la musique du peuple – d’une histoire racontée par ses grandes figures, de Jimmie Rodgers à Garth Brooks, évoquant aussi bien leur vie personnelle souvent tumultueuse que leur carrière, quitte à passer en partie sous silence le rôle de l’industrie (les labels et les studios de Nashville) et des acteurs institutionnels comme la Country Music Association ou le Grand Ole Opry.

Nourri d’interviews approfondies avec les principaux acteurs de l’histoire, dont le franc parler est souvent réjouissant, à l’image des interventions de Loretta Lynn, le documentaire laisse aussi une large place à la musique, avec de longs extraits de chansons significatives. Musicalement, l’ensemble est d’ailleurs une révélation pour qui ne s’est pas encore plongé sérieusement dans le genre, effrayé peut-être par l’abus de paillettes et de laque : difficile de résister à la qualité des chansons et à la finesse de l’écriture des grands artistes du genre, de Dolly Parton à Charlie Rich – ce que la plupart des artistes de blues et de soul savent bien, d’ailleurs. 

Le lien naturel entre la country et les musiques afro-américaines est d’ailleurs le point aveugle de la série, qui n’évoque la cross-pollination entre les deux mondes, qui a pourtant joué un rôle majeur dans l’évolution artistique de chacun, que par allusions, au point que la démarche fondatrice de Ray Charles avec l’album “Modern Sounds In Country And Western Music” n’est même pas mentionnée. De même, la volonté louable de Burns de connecter la country au sens de l’histoire – les droits civiques, l’émancipation féminine, la lutte contre la guerre… – lui interdit d’évoquer les liens de nombre d’artistes du genre avec les franges les plus réactionnaires, voire racistes, du monde politique américain. 

Ces regrets ne doivent cependant pas détourner de l’intérêt réel de cette série et de sa mise à disposition d’un large public. Personne ne regrettera d’y consacrer neuf heures de sa vie !

Frédéric Adrian

arte.tv/fr/videos/RC-024281/country-music/

Johnny Cash © DR