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Live reports / 08.12.2017

TONY ALLEN, SHABAKA & THE ANCESTORS

Affiche de luxe et de goût pour clore la nouvelle édition du Blue Note Festival en se penchant sur le lien entre le jazz et l’Afrique…

Costume Prince-de-Galles et petit chapeau, c’est un look à la Theolonius Monk – un Thelonius Monk qui aurait oublié sa chemise, cependant – qu’arbore Shabaka Hutchings quand il rejoint la scène avec ses musiciens sud-africains, qui tous ont participé à l’album “Wisdom of Elders” (Mthunzi Mvubu au sax alto, Siyabonga Mthembu à la voix, Ariel Zomonsky à la basse, Tumi Mogorosi à la batterie et Gontse Makhene aux percussions). Musicalement, cependant, c’est au Coltrane tardif – un Coltrane qui aurait substitué les sons africains à sa fascination pour l’Asie – et à Sun Ra que se rattache le plus naturellement la musique que jouera le groupe, quasiment sans interruption, pendant l’heure suivante.

 

 

 

L’ensemble tourne dans ce format depuis de longs mois – parallèlement aux autres projets d’Hutchings, l’homme le plus occupé de la scène jazz –, et a acquis une impressionnante cohésion qui lui permet de passer insensiblement d’un thème à l’autre, d’embardées sauvages portées par Hutchings à de sages unissons des deux saxophones, de longues plages exploratoires mettant en avant un soliste à des moments d’ensemble très mélodiques, le tout porté par une rythmique qui complémente sans s’imposer et les interventions en spoken word politique de Siyabonga Mthembu – qui peine hélas à réveiller un public étonnamment passif, alors que la salle est en configuration debout.

 

 

 

 

L’heure (et quelques) du concert passe très rapidement, mais il est temps de laisser place au vétéran – 77 ans quand même – Tony Allen. Il est tentant d’ironiser sur le succès rencontré par le pionnier de l’afrobeat qui, depuis qu’il fait officiellement du “jazz”, se produit sur les plus grandes scènes après avoir fréquenté pendant plusieurs décennies les petites salles parisiennes, mais il serait idiot de ne pas se réjouir de la popularité méritée d’un musicien dont l’influence n’a cessé de croître ses dernières années. Accompagné d’un orchestre largement composé de fidèles (Jean-Philippe Dary aux claviers, Mathias Allamane à la contrebasse, Indy Dibongue à la guitare, Yann Jankielewicz et Rémi Sciuto aux saxos, Nicolas Giraud à la trompette), Allen présente le répertoire de son dernier disque, dans un registre jazz, donc, moins fougueux que celui de ses disques plus orientés afrobeat et qui souffre, par moment, de compositions un peu trop proches les unes des autres.

 

 

 

 

Allen n’a rien perdu de sa dextérité polyrythmique – pas besoin de percussionniste pour compléter son jeu –, mais reste un leader discret – il ne prendra la parole que très brièvement, laissant son directeur musical Jean-Phi Dary se charger de la communication – qui se met au service de la musique plutôt que de la virtuosité : il faudra attendre plus d’une demi-heure pour le voir assurer un solo, qui ne sera suivi d’un second qu’au moment du rappel ! Même s’il manquait peut-être quelques moments d’emballements à un concert sans doute un peu trop linéaire – il faudra attendre le rappel pour qu’Allen revienne au genre qu’il a coinventé –, impossible de ne pas admirer l’originalité du travail d’un musicien qui, plutôt que de céder à l’autocélébration, continue à tracer sa route personnelle.

Frédéric Adrian
Photos © Frédéric Ragot