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Hommages / 24.05.2023

Tina Turner (1939-2023)

Qu’importe si sa musique – qui lui avait permis de devenir une des plus grandes stars de la seconde moitié du XXe siècle – n’avait plus, de longue date, grand-chose à voir avec celles qu’aime Soul Bag : la vie et l’œuvre de Tina Turner, née Anna Mae Bullock le 26 novembre 1939 à Brownsville dans le Tennessee et élevée dans le hameau de Nutbush – « A church house, gin house / A school house, outhouse… » –, appartiennent à la grande histoire de l’art musical afro-américain. 

Il n’est sans doute pas nécessaire de revenir en détail sur sa vie, qu’elle a souvent racontée, y compris dans deux autobiographies et dans quelques chansons, et qui a souvent été racontée par d’autres, notamment au cinéma, au risque parfois de lui voler sa propre histoire, devenue mythe. Musicalement, après une enfance et une jeunesse vécues dans une certaine précarité, l’histoire commence à la fin des années 1950, quand la jeune Anna Mae Bullock, qui travaille alors comme aide-soignante dans un hôpital, entend une première fois les Kings of Rhythm d’Ike Turner dans un club d’East St. Louis. Fascinée par le charisme du leader, elle tente en vain de se faire inviter à chanter, jusqu’à ce que le batteur du groupe lui passe le micro lors d’un entracte. Séduit par ce qu’il entend, Ike l’invite alors à rejoindre le groupe. 

Quelques mois plus tard, elle fait ses débuts en studio sous le pseudonyme de Little Ann, partageant le chant avec Ike et un autre membre du groupe, le saxophoniste Carlson Oliver. C’est deux ans plus tard, cependant, qu’apparaît Tina Turner, un nom inventé pour elle par Ike, avec A fool in love. Devenue un énorme tube – 2e côté R&B, 27e dans le Hot 100 –, la chanson lance à la fois la carrière de la chanteuse et celle du duo. Habitué du chitlin’ circuit, Ike construit une revue complète autour d’elle, la Ike & Tina Turner Revue, avec un orchestre, les Kings of Rhythm, des chanteurs et chanteuses secondaires et un trio – qui se fait parfois quartet – de choristes-danseuses, les Ikettes.

De 1960 à 1976, le duo – dont la direction artistique est tenue d’une main de fer par Ike – enchaîne concerts et disques sur un rythme effréné, publiant pas loin d’une trentaine d’albums – dont quelques-uns crédités à Tina seule – et des dizaines de singles pour de multiples labels. Musicalement, le résultat est aléatoire, et les chefs d’œuvres – It’s gonna work out fine, River deep – mountain high, Proud Mary, The hunter, A love like yours (Don’t come knocking every day), Nutbush city limits.. – alternent avec les faces bâclées, enregistrées entre deux dates par un Ike Turner plus préoccupé de rentabilité immédiate que de qualité artistique. Sur scène, cependant, la revue est une machine irrésistible, tant esthétiquement que musicalement, qui se produit dans tous les États-Unis et visite régulièrement les scènes européennes – la tournée française de 1971 donnant en particulier lieu à un “Live in Paris”. 

1965 © DR / Collection Gilles Pétard
Ike & Tina © DR
DR / Collection Gilles Pétard
Phil Spector, Tina Turner, Ike Turner © DR
Berlin, 13 novembre 1973 © Norbert Hess
Berlin, 28 octobre 1975 © Norbert Hess

Quand Tina décide, en juillet 1976, de fuir la violence physique et psychologique d’Ike, elle se retrouve obligée de réinventer totalement sa carrière, tournant incessamment pour compenser l’absence de succès de ses disques. C’est la réputation de ses prestations scéniques et le soutien de quelques vieux amis – les Rolling Stones et Rod Stewart, en particulier – qui lui permettent d’attirer l’attention de Capitol. Son premier single pour le label, une reprise du Let’s stay together d’Al Green, sort en 1983 et lui permet de renouer avec les hit-parades.

Pendant toute la suite des années 1980, elle enchaîne alors les tubes – What’s love got to do with It, Private dancer, We don’t need another hero (Thunderdome), Typical male, The best… – dans un registre pop rock assez éloigné de celui qui l’avait fait connaître, mais qui lui permet d’acquérir un large public qui fait d’elle une des principales attractions du circuit live – elle gardera longtemps le record du plus grand public pour un artiste solo. En 1986, la sortie d’une autobiographie, I, Tina: My Life Story, lui permet de partager son histoire avec le monde entier. Elle fait l’objet d’une adaptation au cinéma, sous le titre What’s Love Got to Do With It, dont le succès se fait au prix de nombreuses inexactitudes factuelles. 

1993 © DR / Collection Gilles Pétard
© DR

Si les succès discographiques se font plus rares dans le courant des années 1990, Tina reste une star internationale, qui remplit les stades du monde entier jusqu’à sa première retraite scénique en 2000. Même si elle retrouve la route une dernière fois en 2008 – avec notamment un passage à Bercy –, elle se tiendra largement à sa résolution de prendre du recul, se contentant essentiellement de gérer son œuvre passée, avec notamment un deuxième tome d’autobiographie, une comédie musicale reposant sur son répertoire et un documentaire consacré à son parcours, Tina, sorti en 2021.

Elle publie néanmoins en toute discrétion quatre albums de musique spirituelle, inspirée autant par le bouddhisme que par le chant choral de tradition chrétienne, en 2009 et 2017 avec le groupe Beyond qu’elle a formé avec deux autres chanteuses résidant comme elle en Suisse. Malade depuis de longues années, elle s’était mariée en 2013 avec Erwin Bach, son compagnon depuis le milieu des années 1980 et avait pris alors la nationalité suisse. 

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture : Berlin, 13 novembre 1974 © Norbert Hess

Londres, 25, octobre 1990 © Brian Smith
Soul Bag n°55, octobre 1976
Frédéric AdrianhommagesoulTina Turner