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Live reports / 17.10.2022

The Four Tops + The Temptations, L’Olympia, Paris

12 octobre 2022

Habitués du circuit de la nostalgie et régulièrement présents sur les scènes européennes et notamment britanniques, les Temptations et les Four Tops ne se sont que rarement produits en France ces dernières années, et leurs dernières visites remontent respectivement à 2014 et 2010.

Difficile donc de savoir à quoi s’attendre en arrivant à l’Olympia. Les deux groupes sont désormais bien installés dans le registre oldies : le dernier vrai tube de chacun remonte à 1972 – même si les Tempts ont continué à classer des singles du côté R&B jusqu’à 2000 – et il ne reste dans les deux cas qu’un seul membre original : Duke Fakir, 86 ans dont 68 au sein des Tops, et Otis Williams, bientôt 81 ans et membre des Temptations lorsqu’ils s’appelaient encore les Primes. 

La salle est comble ou presque – une bonne surprise au vu de la réticence des programmateurs français à accueillir des figures historiques des musiques afro-américaines – quand les lumières s’éteignent et que le rideau rouge s’ouvre. Surprise : c’est un grand orchestre de 16 musiciens, dont dix cuivres a priori recrutés localement, qui occupe le plateau et se lance dans un court instrumental faisant allusion aux intros de quelques-uns des tubes du groupe. 

Après qu’une voix a dédié le concert à la mémoire de Levi Stubbs, Obie Benson et Lawrence Payton, les quatre membres actuels (Abdul “Duke” Fakir, Ronnie McNeir, Lawrence Payton Jr. et Alexander Morris) entrent en scène – costumes jaunes à paillettes dorées – et ouvrent le spectacle avec l’assez médiocre Loco in Acapulco (une composition de Phil Collins pour la bande originale du film Buster, qui leur a inexplicablement permis d’atteindre la 7e place du classement britannique en 1988). 

Le faux pas est vite oublié quand le quatuor attaque Baby I need your loving, le premier vrai tube, sorti en 1964, puis enchaîne avec deux autres perles, Bernadette et It’s the same old song. Plutôt que de tenter de trouver un clone vocal du regretté Levi Stubbs – sans doute un des solistes les plus distinctifs des groupes Motown –, les Tops ont choisi de partager le chant principal entre les deux plus jeunes membres, Lawrence Payton Jr. (le fils de Lawrence Payton, membre original du groupe décédé en 1997), présent depuis 2005, et Alexander Morris, arrivé en 2019. Tous deux se tirent fort bien de leur mission, sans se sentir obligés de tenter d’imiter l’approche originale.

The Four Tops : Lawrence Payton Jr., Alexander Morris, Ronnie McNeir, Duke Fakir
Duke Fakir

Dirigé par Earl Van Dyke Jr (le fils de l’ancien leader de l’orchestre maison de Motown, une autre connexion avec le glorieux passé du groupe), l’orchestre reproduit fidèlement le son des originaux, la présence d’une copieuse section de cuivre étant ici un avantage évident. Discret vocalement, Duke Fakir participe ponctuellement aux chorégraphies, même s’il doit régulièrement s’asseoir. Mais c’est lui qui assure, avec Payton, la communication avec le public. Il raconte en particulier l’histoire du pari pris par Berry Gordy avec un producteur (non nommé) : il s’agissait de savoir si les Tops étaient capables de reprendre un des succès du moment et d’en faire un nouveau tube ! La version – hélas un peu tronquée – de Walk away Renée, le tube du groupe pop The Left Banke que les Tops ont conduit au 15e rang du Hot 100 en 1968, vient confirmer le fait que Gordy a remporté son pari…

Après une belle version de Shake me, wake me (When it’s over), le groupe se replonge dans ses années “cabaret”, qui ont précédé la signature avec Motown, avec une reprise du standard Mack the knife qui offre à Fakir un court passage en soliste. Après un court détour vers les années ABC du groupe avec le très bon Are you man enough (issu de la bande originale de Shaft in Africa) et une visite aux années 1980 avec le classique When she was my girl, le répertoire revient vers les plus grandes perles du catalogue Motown, avec l’enchaînement imparable Ain’t no woman (Like the one I’ve got) / Reach out I’ll be there / Standing in the shadows of love / I can’t help myself (Sugar pie honey bunch), repris à pleine voix par un public qui semble avoir oublié qu’il dispose de sièges pour s’asseoir ! Étonnamment, c’est sur un titre relativement obscur, Catfish, sorti en 1976 sur ABC, que le groupe choisit de clore un show d’une heure pile sans faiblesse. Duke Fakir, dont le sourire rayonnant confirme le plaisir qu’il prend, à 86 ans, à être encore sur scène, s’attarde le temps de serrer quelques mains avant de quitter la scène.

Ronnie McNeir, Lawrence Payton Jr., Duke Fakir
Alexander Morris
Jawan M. Jackson, Otis Williams, Tony Grant, Terry Weeks, Ron Tyson

Le temps d’un court entracte et les lumières s’éteignent alors que se font entendre les sons d’une radio “à l’ancienne” qui diffuse quelques notes de quelques-uns des plus grands tubes des Temptations. Quand le rideau s’ouvre, c’est sur le même orchestre que pour la première partie (à l’exception du percussionniste), cette fois-ci dirigé par T.C. Campbell, ancien membre de Cameo au début des années 1980 et directeur musical du groupe depuis plusieurs années.

Après une introduction instrumentale qui utilise au mieux l’orchestre pour évoquer les arrangements de Norman Whitfield – guitare wah-wah et flûtes ! –, le groupe (Otis Williams, Ron Tyson, Terry Weeks, Tony Grant et Jawan M. Jackson) rejoint la scène tandis que retentissent les premières notes de Get ready, sur lequel Ron Tyson – qui fêtera l’année prochaine ses 40 ans au sein du groupe, quand même – assure le chant principal. Vocalement, le groupe respecte la répartition des rôles définis par le quintet original : Ron Tyson assure le rôle d’Eddie Kendricks, Jawan M. Jackson celui de Melvin Franklin, Tony Grant celui de Paul Williams et Terry Weeks celui de David Ruffin, tandis qu’Otis Williams occupe évidemment sa place historique, et tous se montrent à la hauteur de leur modèle. Ron Tyson est particulièrement impressionnant, et il est difficile de ne pas se demander quelle carrière il aurait pu mener sous son nom s’il n’avait pas choisi de dédier sa carrière au groupe. 

Le medley qui suit Get ready est plutôt banal – malgré la présence en son sein d’extraits de classiques comme Girl (Why you wanna make me blue)The girl’s alright with me et Beauty is only skin deep –, mais The way you do the things you do et Ain’t too proud to beg, qui suivent et sont jouées en entier, viennent relancer l’ambiance. Si les Temptations sont évidemment réputés pour leurs harmonies vocales, ils le sont au moins autant pour leurs chorégraphies, et le groupe actuel – vêtu d’improbables costumes roses et blancs – ne déçoit pas non plus sur ce plan-là, Otis Williams ne se faisant pas prier, malgré les années, pour tourbillonner aux côtés de ses collègues.

L’orchestre est mis à contribution pour assurer l’introduction sophistiquée de Ball of confusion (That’s what the world is today), avant que I wish it would rain soit dédié à la mémoire de Rodger Penzabene, son coauteur qui s’est suicidé une semaine après la sortie de la chanson. Just my imagination (Running away with me) vient rappeler combien le groupe est à l’aise dans le registre de la ballade, avant une version un peu trop abrégée de Papa was a rolling stone, puis I can’t get next to you, première opportunité pour Otis Williams de s’offrir un couplet en solo. Extrait du dernier disque du groupe, Is it gonna be yes or no ne fera sans doute pas partie des compositions les plus mémorables de Smokey Robinson, mais permet à chaque membre du groupe d’assurer une partie solo. 

Moins loquace que Duke Fakir, Otis Williams profite de la présentation de l’orchestre et des différents membres du groupe pour annoncer que la comédie musicale sur l’histoire du groupe, qui fait les beaux jours de Broadway depuis plusieurs années, ferait étape l’année prochaine à Paris – ce qui méritera confirmation ! Après une belle version de Treat her like a lady, c’est sur leur “hymne national”, My girl, que le groupe quitte la scène au bout d’une heure, sans oublier de prendre le temps de saluer une salle qui les ovationne debout longuement.

Pas de rappel, mais il ne reste pas grand-chose à ajouter à une soirée totalement réussie ! Duke Fakir ayant annoncé sa retraite pour l’année prochaine, il est probable qu’il s’agissait de la dernière occasion d’entendre “en vrai” les Four Tops – dont il a indiqué qu’il ne souhaitait pas qu’ils lui survivent –, et le groupe, comme les Temptations, s’est montré à la hauteur de sa légende.

Texte : Frédéric Adrian
Photos © J-M Rock’n’Blues
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Jawan M. Jackson, Otis Williams, Tony Grant
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