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Live reports / 01.08.2017

THE BLIND BOYS OF ALABAMA

Les visites de groupes gospel américains sont suffisamment rares pour constituer un événement, et le New Morning était correctement rempli pour accueillir une des trois étapes de la tournée française des Blind Boys of Alabama. Certes, malgré ce que raconte le matériel promotionnel du groupe (*), celui-ci ne compte plus, depuis le décès de George Scott et la retraite de Clarence Fountain, de membre original, mais la continuité est assurée par la présence de Jimmy Carter, fidèle au poste depuis le début des années 1980 et de Ricky McKinnie, embauché au début des années 2000 et deux remplaçants de luxe – tous deux également aveugles – ont été recrutés : Ben Moore, responsable de plusieurs albums sous son nom dans les années 1970 et remplaçant de Bobby Purify au sein du duo James & Bobby Purify, et Paul Beasley, grand soliste entendu précédemment au sein des Gospel Keynotes et des Mighty Clouds of Joy.

Après une arrivée remarquée dans la salle – difficile de ne pas voir ces quatre messieurs d’un certain âge traverser la rue des Petites Ecuries, devant le New Morning, dans leurs costumes crème, chacun posant la main sur l’épaule de celui qui le précède ! –, les Blind Boys rejoignent la scène avec leurs quatre musiciens dirigés par le guitariste et chanteur occasionnel Joey Williams, une présence constante à leurs côtés depuis le début des années 2000. Le début du concert est pour le moins laborieux : après un petit speech introductif en pilote automatique de Jimmy Carter, en charge de tous les échanges avec le public, et un People get ready qui permet à l’ensemble des chanteurs d’interpréter sa partie en mode “échauffement”, c’est à Jimmy Carter qu’il appartient d’être soliste sur deux titres. Ce n’est pas lui faire injure que de dire que, à 88 ans, Carter n’a plus tout à fait sa voix de jeune homme, et le résultat, à la limite du croassement, est plus qu’embarrassant. C’est le moment qu’il choisit pour annoncer, à la surprise générale, un entracte, apparemment demandé par la salle et peu habituel au groupe.

Cette pause incongrue s’avèrera salvatrice. À leur retour, en effet, les Blind Boys semblent revigorés, et même la voix de Carter, avec ses limites, retrouve une certaine force, même si ce sont essentiellement Ben Moore – dans le rôle de Clarence Fountain, mais loin d’avoir la puissance expressive de celui qui peut être considéré comme le plus grand soliste masculin du gospel – et surtout Paul Beasley, et son falsetto qui semble défier les lois de l’acoustique, qui convainquent le plus. Côté répertoire, celui-ci est quasiment inchangé depuis le renouveau du groupe à partir du début des années 2000 – aucune mention ne sera d’ailleurs faite du disque à sortir à la rentrée ! – : un mélange de standards plus ou moins revus (Nobody’s fault but mine, I shall not be moved, et l’habituel mais toujours réussi Amazing grace, joué sur la mélodie de The house of the rising sun…) et reprises du répertoire contemporain, de Tom Waits (Down in the hole, cher aux fans de la série The Wire) à Stevie Wonder (un bref Higher ground en rappel) en passant par un très beau There will never be any peace (Until God is seated at the conference table) emprunté aux Chi-Lites et sublimé par un Paul Beasley en apesanteur.

Même la rituelle plongée dans le public de Jimmy Carter est toujours de la partie : celui-ci ne court certes plus dans la foule, mais cela ne l’empêche pas de faire le tour de la salle au bras du road manager du groupe ! Sans bouder le plaisir réel à entendre ce type de répertoire par des chanteurs qui, même vieillissants, connaissent leur affaire, il faut bien avouer que l’ensemble, qui cafouille à plusieurs reprises, n’est pas vraiment au niveau des prestations des Blind Boys d’il y a une dizaine d’années et qu’il donne même une impression de spectacle “cabaret” – renforcée par les plaisanteries téléphonées de Carter – qui n’est pas tout à fait digne de l’étiquette prestigieuse qu’il porte. Cela n’interdit évidemment pas de profiter du spectacle, mais en limite fortement la portée.

Frédéric Adrian

(*) Une bonne fois pour toutes : Jimmy Carter était élève à l’Alabama Institute for the Negro Blind and Deaf de Talladega en même temps que les membres fondateurs des Happy Land Jubilee Singers (Velma Trailer, Clarence Fountain, Tommy Gilmore, George Scott, Olice Thomas et Johnny Fields), devenus en 1948, suite au décès de Trailer, les Five Blind Boys of Alabama. Il a chanté avec eux dans la chorale de l’école mais n’a rejoint le groupe proprement dit qu’au début des années 1980, après avoir chanté, en particulier, avec les rivaux historiques des Blind Boys of Mississippi. Si l’intérêt commercial de le présenter comme un membre original est évident, il est regrettable que cela se fasse au prix d’une falsification de l’histoire.