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Live reports / 25.11.2011

THE BEAUTIFUL SWAMP BLUES FESTIVAL

Le festival calaisien en était à sa huitième édition et il était grand temps que Soul Bag en rende compte. D’autant que le voyage dans le "62" n’avait rien d’une punition tant l’affiche était alléchante.  Mais avant d’en venir aux concerts proprement dits, il faut dire un mot de l’organisation et du cadre. La grande salle du centre culturel Gérard Philipe est aménagée en une sorte de cabaret, avec des bougies sur les petites tables entourées de chaises. Les consommations (facultatives mais d’un excellent rapport qualité/prix) sont servies aux tables par une association de réinsertion.


Le "blues club" du Centre Culturel Gérard Philipe © AJ
 

Dès l’ouverture des portes et jusqu’au lever du rideau, puis durant chaque entracte, sur une petite scène, Rag Mama Rag est à la manœuvre. Ce qui pouvait apparaître comme un "bouche-trou" s’impose vite en véritable complément de programme. Au chant et aux différentes guitares (électro-acoustique, dobro mais aussi ukulele, weissenborn), Ashley Dow est un excellent interprète de pre-war blues, revisitant avec  érudition Robert Johnson, Skip James, Blind Blake et quelques autres, bien soutenu par son épouse, Deborah, instrumentiste éclectique  (harmonica, washboard et autres percussions).


Rag Mama Rag : Deborah et Ashley Dow © AJ
 

L’Américain Jeff Zima est depuis longtemps installé dans le midi toulousain d’où il écume les bars comme les festivals. J’ai déjà eu l’occasion d’apprécier son jeu de slide survitaminé et ses compositions en français, aussi inattendues que drôles. Il était donc intéressant de le voir accompagné d’une formation élargie avec l’excellent Youssef Remadna à l’harmonica, Mike Lattrell au clavier, Fred Jouglas à la contrebasse et Simon Boyer aux drums. Hélas, je n’ai pas résisté au mur du son érigé par les coups de boutoir de la grosse caisse, les aigus d’un piano ressassant les mêmes effets et la guitare suramplifiée du leader. Cela m’a surtout fait craindre pour la suite du festival. Heureusement, la suite prouva qu’il s’agissait d’une "erreur stratégique" de l’artiste et non d’un excès de zèle du sonorisateur.


Jeff Zima © AJ


Youssef Remadna © AJ
 

La preuve avec Big Daddy Wilson dans un set électro-acoustique de grande classe. Il se concentre sur le chant mais rythme ses propos au conga et diverses percussions, tandis que deux guitaristes, excellents et complémentaires , tissent des entrelacs envoûtants. Recrutés sur place, Simon Boyer (dm) et Fred Jouglas (b) donnent du moelleux à l’ensemble. J’avais apprécié les deux derniers albums de Big Daddy ("Love Is The Key" et "Thumb A Ride"), mais, sur scène, sa voix fait passer une émotion particulière et la coloration folk fait place à des sonorités plus "noires". Son répertoire personnel est toujours convaincant , quel que soit le tempo. C’était la première fois que je l’entendais sur scène et il a constitué pour moi la révélation  du festival.


De g à dr : Michael "Big Chief" Van Werwyk, Big Daddy Wilson, Simon Boyer,
Jochen Bens, Fred Joublas © CM


Big Daddy Wilson © AJ
 

C’est dans la joie et l’allégresse que s’est terminé le concert. Il faut dire que pendant une heure et demie, l’Anglais Mike Sanchez n’a eu de cesse de faire monter la pression, alternant boogie-woogie, rock and roll et rhythm & blues millésimés. Ses versions de Down the road apiece, I’m walking, Heebies jeebies ou Be my guest furent particulièrement réussies. Mais il sait aussi chanter le blues avec distinction, comme ce That man de Nappy Brown ou sa version How many more years où il imite à la perfection les mimiques du Wolf. C’est aussi un pianiste excitant qui sait s’entourer. Y compris de musiciens "continentaux" qui le pratiquent depuis longtemps comme Pascal Fouquet à la guitare, Drew Davies et Jean Marc Labbé aux saxophones, ténor et baryton, Thibaut Chopin à la contrebasse et Simon "Shuffle" Boyer, infatigable batteur de la soirée.


Mike Sanchez. A la contrebasse, Thibaut Chopin © AJ


Pascal Fouquet et Drew Davies © AJ
 

Le lendemain (samedi 26), des concerts de l’après-midi, je n’ai eu l’occasion que de voir Loretta & The Bad Kings. Déjà séduit par leur concert de cet été à La Charité, j’ai encore plus apprécié ce nouveau passage. Sans doute par la proximité qu’offrait la petite salle qui permettait de mieux apprécier un chant qu’elle sait nuancer dans les thèmes plus intimistes, même si elle reste une "swing woman" imparable . A ses côtés, Anthony Stelmaszack est de tous les solos, imposant sa guitare avec autorité et bon goût. Le fidèle Mig n’ayant pu se libérer, c’est Thibaut Chopin qui œuvrait à la basse, en binôme avec Andy Martin à la batterie.


Loretta avec Anthony Stelmaszack © CM
 

Retour à 19 heures, dans la grande salle pour une soirée toujours déclinée en trois parties de 90 minutes chacune, entrecoupées des sets de Rag Mama Rag.

Egalement présente l’été dernier à La Charité, Tia & the Patient Wolves a proposé sa vision très personnelle du blues et de la soul. Elle ne cherche pas à imiter ses illustres modèles, mais préfère s’imposer avec sa personnalité. Une voix fraîche et "blanche" qui ne dramatise pas ses effets, qui semble survoler le morceau plutôt que de s’y investir. Bonne guitariste, elle adosse son jeu à un band attentif et expérimenté : à l’orgue Cédric Le Goff (Flyin’ Saucers, Xavier Pillac…), à la basse Stéphane Manaranche (Boogie Disease) et à la batterie Hafid Saïdi. Le Chicago blues du début (évoquant Magic Sam ou Bo Diddley) a ensuite fait place à la soul avec l’arrivée de deux soufflants pour des reprises d’Etta James, O.V. Wright, Z.Z. Hill, Barbara Lynn ou des 5 Royales, témoignages d’une belle érudition. On peut ne pas goûter le traitement, mais on ne saurait reprocher à Tia l’audace et l’honnêteté  de sa démarche.


Tia Gouttebel © AJ
 

L’éducation danoise a perdu un enseignant, mais le monde du blues a gagné un interprète  : Thorbjorn Risager. Qui ne se déplace jamais sans son chapeau et son orchestre fort de six membres (aux noms imprononçables au commun des Français) et qu’il laisse s’exprimer tour à tour sur leur instrument (trompette, sax, clavier) mais aussi en parlant français. De quoi humaniser un show qu’on devine parfaitement réglé. Chanteur assuré, au timbre légèrement voilé et personnel, Thorbjorn est aussi un guitariste affûté, très blues, qui donne une version bien roots de Baby please don’t go ou de On my way, une des bonnes compos du dernier album ("Dust & Scratches", Dixiefrog), comme le très jump House rocking band qui met bien en valeur les qualités du "little big band".


Thorbjorn Risager © AJ


De g à dr : Emil Balsgaard (kb), Peter Kehl (tp), Kasper Wagner (ts),
Thorbjorn Risager (g) © AJ

Larry Garner a connu des soucis de santé ces dernières années, il les évoque avec franchise et humour dans une adaptation toute personnelle de Going down slow. Car Larry Garner est d’abord un conteur, ce qui lui permet d’établir un lien fort avec le public, tant sa sincérité est évidente. Musicalement, l’air de rien, il connaît l’art de faire monter progressivement la tension. Son set aura été un modèle de simplicité et d’authenticité. Accompagné d’un trio mené par l’orgue de Raphael Wressnig, il a déroulé ses "classiques", Free riding ou Keep on singin’, des titres plus récents et quelques reprises, comme un medley Muddy Waters ou You got me running. Dans ce dernier, il réclama le concours à l’harmonica de son ami Dominique Floch, l’irréprochable programmateur du festival.


De g à dr : Raphael Wressnig (org), Dominique Floch (hca), Larry Garner © AJ


Larry Garner © AJ
 

Dimanche, c’est le jour du gospel. The Flames Gospel Choir de Reims ont rassemblé 800 spectateurs dans l’église Notre-Dame. J’ai préféré me réserver pour le concert du soir. Dave Alexander (as know as Omar Sharriff) ayant dû annuler sa venue pour raison de santé (alors que tant d’amateurs se réjouissaient de sa présence), c’est Leon Blue qui prit sa place. Mais au lieu du duo annoncé avec Jody Williams, c’est le pianiste seul qui débuta la soirée avec une demi-douzaine de standards éculés (Since I met my baby, Georgia, What’d I say…) interprétés dans une "veine" piano bar approximative. Heureusement, ce fut court…


Leon Bue © CM
 

Il céda la place à Jody Williams épaulé par la formation que l’on a maintenant l’habitude de voir avec les artistes de Tempo Blues, à savoir Jean-Pierre Duarte (guitare), Ludovic Binet (piano), Jean-Marc Despeignes (basse) et Pascal Delmas (drums).


Jean-Pierre Duarte © CM
 

L’ancien sideman de Howlin’ Wolf arbore une magnifique guitare Epiphone blanche aux finitions dorées mais il accuse ses 76 ans et s’assied vite. La suite du show montrera que sa voix a perdu en assurance, mais elle est douce et ne manque pas de charme, avec parfois des inflexions à la Lowell Fulson. A la guitare, il privilégie un toucher léger et jazzy qu’il maîtrise même dans ses longs solos sinueux. Il m’a fait pensé à Robert Lockwood. Avec un répertoire largement personnel (I’ll be there, You left me in the dark, l’instrumental Hideout) et quelques standards (St James infirmary , T-Bone shuffle), il a réussi à captiver le public.


Jody Williams. A la basse, Jean-Marc Despeignes © AJ

Sous le terme générique de Chicago Blues Festival se cachent souvent des artistes n’ayant que peu de rapport avec la Windy City. Un reproche qu’il sera difficile de faire au cru 2011 puisque chacun de ses membres pouvait revendiquer l’A.O.C. Chicago. D’entrée, les deux chanteurs-guitaristes se partagent la scène. C’est d’abord au tour de Michael Wheeler de chanter de sa belle voix de ténor. Il cède ensuite le micro à Vino Louden, beau gosse qui n’hésite pas à surjouer, mais avec suffisamment de distance pour qu’on marche. Un bon moment de Chicago blues actuel, joué avec une maîtrise impressionnante.


Michael Wheeler © CM


Vino Louden © AJ
 

Avec l’arrivée de Grana Louise, on retrouve les grosses ficelles : immédiatement elle exige du public qu’il se lève, roule des yeux avec gourmandise et joue de son obésité callipyge. Mais n’est pas Etta James qui veut…


Grana Louise © AJ
 

C’est ensuite au tour de Big James (Montgomery), le tromboniste, ex-leader des Chicago Playboys. Il a subi une cure d’amaigrissement drastique et semble flotter dans son ample tenue. Heureusement, musicalement, il n’a rien perdu de sa superbe ; le funk est toujours au cœur de sa musique qui évoque souvent le meilleur des JBs avec Fred Wesley (qu’il reprend d’ailleurs comme George Clinton). Avec lui funk et blues font bon ménage et lorsqu’il rend hommage à Koko Taylor avec un intense That’s why I’m crying, Vino Louden furtivement écrase une larme. Cette "Chicago Blues Machine" formée de deux anciens de chez Koko (Vino Louden et Melvin Smith) et deux ex-Chicago Playboys (Big James et James Wheeler), plus le puissant Pooky Styx aux drums, constitue une formidable formation d’un Chicago blues actuel, tonique,  rénové et décomplexé.


Big James Montgomery © CM


The Chicago Blues Machine : Vino Louden, Melvin Smith, Michael Wheeler.
Caché, Spooky Styx © AJ

 

Je ne voudrais pas terminer sans souligner à nouveau l’excellence de ce Beautiful Swamp Blues Festival (qui ne se réfère pas à la Louisiane mais au quartier du "beau marais" où il se tient), son affiche exceptionnelle, son ambiance bonne enfant, son décor et de son organisation… Quoi d’autre ? La qualité de la bière, certes. Et sans oublier l’incroyable rapport qualité-prix  : à 5 euros la soirée, c’est à vous décourager de vous faire inviter !

 

Texte Jacques Périn – Photos Alain Jacquet et Christian Mariette