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Live reports / 13.12.2022

Tedeschi Trucks Band, Le Bataclan, Paris

15 novembre 2022.

La pluie battante n’aura pas empêché le public de venir applaudir en masse le jam band américain pour le dernier show de la tournée européenne accompagnant la publication de leur dernier opus, le monumental “I Am The Moon”. Leur prestation fut à la hauteur de leur réputation : 2h15 de pur bonheur dont la musicalité éblouissante et la générosité expliquent pourquoi l’orchestre domine toujours autant la scène contemporaine.

Plus introverti que jamais, Derek Trucks constitue bien sûr l’attraction phare du groupe. L’onde de choc qui traverse la salle lors de son premier solo (sur Laugh about it) illustre son immense pouvoir émotionnel. Sonorité crémeuse instantanément identifiable, toucher aérien (il survole ses frettes avec une telle aisance qu’il est parfois difficile de savoir s’il joue au slide ou aux doigts…), punch rythmique (l’énergie avec laquelle il balance le riff de Made up mind est ahurissante), subtilité tonale (il fait par exemple onduler ses accords en secouant violemment son manche), capacité à déclencher de véritables ouragans sonores (les chorus fous de Pasaquan, leur Whipping post à eux), créativité et gourmandise pour l’improvisation, maîtrise de l’action-détente, humilité (comme lorsqu’il s’assoit aux pieds de la section de cuivres pour écouter ses musiciens), leadership soft (un hochement de tête suffit pour lancer un solo, un break, finir une chanson), élégance (ses dialogues électriques avec Susan sur l’élégiaque Keep on growing des Dominos) : cet homme réunit à peu près toutes les aptitudes possibles… 

À ses côtés, Susan Tedeschi déploie au chant un niveau d’intensité comparable. Impossible de ne pas ressentir le grand frisson lorsqu’elle chante le blues (That did dit, empruntée à Bobby Bland), le folk (Angel from Montgomery de John Prine, méconnu en Europe mais immensément respecté aux États-Unis), la country immortelle (Sign of the times d’Harry Styles où, pliée en deux sans sa guitare, elle touche carrément au sublime) ou la soul céleste (Hear my dear, belle à fendre les cœurs). Son jeu terrien, dont le caractère frustre offre un contraste saisissant avec celui de son mari (peu de sustain – sa fidèle Telecaster bleue fut bien sûr de la partie –, attaque au médiator, articulation sèche, heurtée) recueille beaucoup d’écho au sein de l’assistance. Le capital sympathie dont elle bénéficie est énorme. Au-delà de son talent, sa façon d’être explique aussi cela : modestie naturelle (elle n’hésite pas à se moquer d’elle lorsqu’elle se trompe de guitare), simplicité, proximité/connivence avec le public, mise en avant des autres musiciens (à commencer par Derek, à qui elle voue une admiration sans bornes).

Susan Tedeschi
Derek Trucks

Mais comme son nom l’indique, le Tedeschi Trucks Band est aussi un groupe dont chacun des membres contribue activement à la réussite. La nouvelle recrue Gabe Dixon s’est intégré au collectif à une vitesse stupéfiante (pourtant pas facile de remplacer Kofi Burbridge…). Ses vocaux, ses qualités d’accompagnateur et surtout ses impros à l’orgue lui permettent de dialoguer d’égal à égal avec Derek (Pasaquan) voire même de conduire le guitariste à abréger son propos tant tout venait déjà d’être dit, comme sur l’ébouriffant Bound for glory

Mike Mattison ensorcelle dès qu’il s’empare du chant lead, comme sur la néo-orléanaise Fall in ou la merveilleuse Emalline, qu’il interprète Taylor acoustique en main, encore plus réussie que sur l’album car plus directe, plus brute. La section de cuivres remplit parfaitement son rôle de coloration et de ponctuation. Les deux chorus à la limite du free du ténor Kebbi Williams donnaient même envie d’en entendre plus… 

Derrière ses fûts, Isaac Eady (embauché en 2021) est déjà connecté télépathiquement à son collègue Tyler Greenwell. Leur complémentarité, perceptible tout au long du set, apparaît évidente lors du phénoménal dialogue entre leurs deux batteries sur Pasaquan (décidément le morceau de tous les superlatifs). Quand virtuosité rime avec écoute et musicalité…

Gabe Dixon
Mike Mattison
Tyler Greenwell, Isaac Eady

Plus en retrait, statique, le bassiste Brandon Boone est garant de la solidité des fondations de la maison TTB, sans forfanterie mais avec beaucoup d’altruisme. Enfin, les choristes (Alecia Chakour, Mark Rivers) font un boulot formidable. Comme Mattison, dès qu’ils prennent le lead, il se passe quelque chose (le Let’s go get stoned final)… 

L’ovation qui accompagne la fin du spectacle est méritée. Une fois encore, le Tedeschi Trucks Band, cette aventure humaine aux confins de l’utopie, a déployé toute sa magie. Et nous, réduits à l’état de fans de base, rendus dépendants, jamais rassasiés, on en réclame encore…

Texte : Ulrick Parfum
Photos © J-M Rock’n’Blues
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