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Live reports / 08.05.2014

Tedeschi-Trucks Band + Jonny Lang

Trois ans après un mémorable passage au Trianon, c'est à l'Olympia que le groupe cofondé par le guitariste Derek Trucks et son épouse la chanteuse Susan Tedeschi faisait son retour à Paris. Entre-temps, le groupe, qui n'a pas cessé de tourner, a publié un album live et un autre studio, tandis que Derek Trucks a fait ses adieux à l'Allman Brothers Band pour s'y consacrer encore davantage. Excellent de bout en bout, le concert de l'Olympia a confirmé que l'avenir de ce rock rural du Sud des États-Unis, coloré d'effluves hippies et d'inflexions jazzy ou orientales, était entre de bonnes mains avec de tels chefs de file.

Les choses avaient pourtant bien mal débuté avec une première partie hors sujet (alors qu'au Trianon, Robert Randolph avait cassé la baraque) : Jonny Lang. Si Lang a commencé sa carrière encore adolescent comme Derek Trucks, s'il lui est arrivé de se produire au Crossroads Guitar Festival et s'il ne semble pas être un mauvais bougre dans le privé, les points communs s'arrêtent là. Musicalement en effet, un fossé sépare les deux hommes. À la guitare, Lang fait dans le blues-rock le plus éculé, ses compositions personnelles relèvent de la pure et simple variétoche, tandis qu'un groupe de bûcherons (mention spéciale au batteur !) accompagne sans aucun groove ses gesticulations et son chant constamment forcé. Sa reprise du Quitter never wins de Tinsley Ellis est l'exemple même du blues lent “cliché”, qui se veut tout en tension-détente mais où rien ne fonctionne. 45 minutes à ce régime, c'en est trop, mais hélas le stand merchandising du Tedeschi Trucks Band est quasi-vide et on a déjà bu plusieurs bières : même pas d'excuse pour se sauver. Concédons tout de même à Lang qu'il n'était pas bien placé pour se mettre en valeur, et que si la plupart du public a pris son mal en patience, un nombre non négligeable de spectateurs était venus pour le beau gosse et ont semble-t-il apprécié son set. 

 


Jonny Lang

 

Changement d'univers avec l'entrée en scène des 11 musiciens du Tedeschi Trucks Band, dans un décor classieux. Le groupe se chauffe avec les deux premiers morceaux du dernier album (“Made Up Mind”), interprétés dans l'ordre et de manière guère différente du disque… On est heureux de les voir et la musique est bonne, mais à ce stade on craint un peu la routine d'une tournée promotionnelle. Très vite pourtant, le groupe entre en confiance, l'osmose s'établit et la machine est enfin huilée comme il faut pour donner sa pleine puissance. Merci Derek Trucks, véritable chef d'orchestre qui, sans en avoir l'air, veille implacablement sur le son et la mise en place de l'ensemble. Après un I know qui met en lumière Mike Mattison (l'ancien chanteur du Derek Trucks Band), Susan Tedeschi déploie ses ailes sur le splendide It's so heavy, ballade émouvante qui fait dresser quelques poils de plus en live. Le concert change de dimension à partir de là : sur Bound for glory, les trois cuivres (Kebbi Williams au ténor, Saunders Sermons au trombone et Maurice Brown à la trompette) s'offrent un échange totalement irrésistible et funky, alors que Trucks prend un solo époustouflant. Le garçon sort de ses gonds, mais seulement quand il le faut. Ce ne sera pas la dernière fois de la soirée.

 


Derek Trucks

 


Susan Tedeschi, Kebbi Williams, Mike Mattison

 

C'est une jouissive reprise du Palace of the king (écrite par Leon Russell, Don Nix et Duck Dunn pour Freddie King) qui suit, au cours de laquelle trois vocalistes (Susan, Mattison et Mark Rivers) se partagent le chant à part égale. Les morceaux de bravoure se succèdent (Love has something else to say de “Revelator”, The storm de “Made Up Mind”), on plonge au fond d'un blues des plus juteux (The sky is crying, au cours duquel Susan Tedeschi démontre un talent sympathique à la guitare, même si l'échange avec Derek est forcément inégal) et les ballades sont magnifiquement servies par le chant de Susan, capable de nuances comme de puissance (Midnight in Harlem, Idle wind). Le concert doit aussi beaucoup à Kofi Burbridge, tantôt à l'orgue et tantôt à flûte, ainsi qu'à la très chouette paire que forment les batteurs Tyler Greenwell et J.J. Johnson. Deux batteurs ? Eh oui, qui se complètent avec finesse pour tisser un tapis rythmique riche et subtil, comme du velours… Lorsque le concert prend fin au bout de deux heures sur une reprise emblématique de George Harrison (Wah-wah, tirée de l'album “All Things Must Pass” qui inspira Susan et Derek pour la formation de leur groupe), on sort de l'Olympia heureux comme après une bonne soirée passée chez des amis chaleureux. Et on promet de se revoir au festival Jazz à Vienne en juillet…

A. Rico
Photos © Arnaud Maineult

 

 


Tyler Greenwell et Susan Tedeschi