Porretta Soul Festival 2025
21.08.2025
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Técou (Tarn), du 6 au 8 juin 2025.
À Técou en Blues, l’accueil n’est pas un vain mot. On est salué dès l’arrivée, par les organisateurs, notamment Pascal Delmas et Jean-Luc Suarez, par les bénévoles, et on admire l’engagement de tous, le maire de Técou lui-même, Jean-François Baulès, étant régulièrement aux fourneaux ! La programmation mêle talents locaux, français et internationaux, blues et rhythm and blues sous diverses formes, variées et entraînantes, sur deux scènes, une “petite” en extérieur, et une “grande” à l’intérieur.
Tout commence le vendredi en fin d’après-midi avec Mammouth King Blues Band, dont nous avions fait connaissance dans le Blue Planet du Soul Bag n° 183 en 2006 ! Ils n’ont pas perdu le blues qui nous avait plu à l’époque. Jean-Luc Ribes au chant et au dobro, Kristell Geffroy au chant, washboard et percussions, Philippe Orliac au piano, Luc Favaro à l’harmonica et à la guitare, Olivier Spénale à la contrebasse, sont parfaits pour lancer le festival avec leur blues épicé, composé de classiques et d’autres morceaux moins connus, chantés et joués avec conviction et entrain.
Ils sont suivis de Crawfish Wallet, qui sera un des moments forts du festival. Amandine Cabald-Roche au chant et au washboard, Fred Lasnier à la contrebasse, Jean-Michel Plassan au banjo, Gaëtan Martin au trombone, proposent un univers en provenance directe de La Nouvelle-Orléans, d’une grande fraîcheur car ils ont compris ce qui doit l’être pour maîtriser les codes d’un genre souvent imité mais rarement interprété comme ils le font. La rigueur et la souplesse de la rythmique banjo-contrebasse, le son du trombone et, surtout, la qualité de la voix d’Amandine, nous happent de suite et ne nous lâchent plus jusqu’à la fin d’un set qui paraît bien court. Leur final avec Iko iko attire Crystal Thomas qui filme tout en dansant et chantant.
Avant d’accueillir cette dernière, la grande scène ouvre avec Nirek Mokar et des Boogie Messengers remaniés. Les piliers Claude Braud et Stan Noubard-Pacha sont toujours là au saxophone et à la guitare, mais le batteur est Gaël Pététin et il n’y a pas de contrebassiste. Pas de crainte à avoir, le quartet se donne à fond dès les premières notes. Claude est toujours aussi dynamique et facétieux, honkant à tout-va au saxophone, Stan distille ses solos avec toujours autant de classe, Gaël suit le mouvement et impulse un rythme précis, et Nirek multiplie d’époustouflantes parties de piano, qu’elles soient boogie-woogie ou blues, déchaînées ou plus mesurées. Il a un peu moins de punch au chant, mais son travail paie, et l’idée de chanter en français sur au moins un morceau est bonne. New romance, Boogie kid, Careless love, Shuffle chelou, les titres s’enchaînent avec des moments forts comme le solo boogie de Monkey man. Le rappel est d’abord chanté en français sur Piano détonateur avant de se terminer avec un Be my guest endiablé.
Après une courte pause, le European Blues All Stars feat. The Capitol Horns investit la scène. Victor Puertas aux claviers, Luca Giordano à la guitare, Franck Mottin au saxophone, Sébastien Castagné à la trompette, Antoine Escalier à la basse et Charlotte Bélières à la batterie, lancent l’instrumental Blues funk pour vite annoncer la vedette Crystal Thomas qui intègre de suite son trombone dans le groove.
Comme à chaque fois, elle capte instantanément la lumière, et la renvoie vers le public, charmé par sa voix au timbre si particulier, son regard et son sourire bienveillants, son sens du contact et, bien sûr, la qualité de son répertoire. I don’t worry, One good man, The blues ain’t nothing but some pain, I’m a fool for you baby, s’enchaînent, autour de reprises de Big Mama Thornton ou Bobby Bland, et le public se lève pour danser. La reprise de Ne me quitte pas fait mouche, générant une grosse émotion. On prend plaisir à regarder les musiciens, en particulier les gestes et paroles de soutien de Luca et Antoine à destination de Charlotte à la batterie. Ses regards et son sourire montrent une implication à la fois émerveillée et sans faille.
En rappel, c’est une autre séquence habituelle avec Got my mojo working avec les seuls Victor à l’harmonica et Luca à la guitare, puis, avec la contribution de Amandine et Gaëtan de Crawfish Wallet, Crystal décrète que « we’re gonna party toute la nuit (en français dans le texte) », et le public ne demande que ça !
Le samedi débute avec la conférence sur les Black Indians, animée par Jérôme Bossard, en lieu et place de Stéphane Colin, malheureusement absent. L’ambiance néo-orléanaise, déjà esquissée par Crawfish Wallet la veille, se confirme et se poursuit avec Sugar Cane, c’est-à-dire Pierre “Dr Sugar” Citerne, chant, guitares, harmonica, Bruno “Mr Cane” Deplaix, chant, guitares, et David Bardy, chant et percussions. Blues ancien, chansons traditionnelles, country et folk, jolis instruments, dobro et lap steel, présentations des morceaux érudites avec anecdotes sympathiques, chant de haut niveau, souvent à plusieurs voix, tout passe bien. La reprise de Catfish est longue, avec d’intéressantes variations de climat à la guitare. Comme pour Crawfish Wallet, le final se fait avec Iko iko.
Dès le premier mot, dès la première note, on reconnaît Muddy Gurdy, la voix prenante de Tia Gouttebel, sa guitare qui nous transporte dans le pays des collines du Mississippi, le son extraordinaire de la vielle à roue de Gilles Chabenat, et les percussions de Fabrice Bony, qui a succédé au regretté Marco Glomeaux, auquel Tia rendra un hommage émouvant. L’expression “univers particulier” est régulièrement utilisée pour parler de tel ou tel groupe ou artiste, elle est particulièrement vraie ici, d’autant qu’on se retrouve à onduler sans vraiment le réaliser au rythme d’une musique et de riffs répétés, qui évoquent le sud des États-Unis mais aussi les terres françaises. La saveur louisianaise est présente ici aussi avec une reprise de Jambalaya, épicée par la vielle en intro puis en break après un beau solo de guitare slide. Fort !
C’est le Kévin Doublé Quartet qui ouvre la grande scène. Très vite, on est pantois face au talent musical de Kévin, chant, harmonica, guitare, Pierre Le Bot au piano, Anthony Muccio à la contrebasse et Gabor Turi à la batterie. Leur mélange de blues et jazz est délectable, avec des reprises érudites, Brook Benton, Oscar Brown Jr, Guitar Slim, Merle Travis, Jon Hendrix, Little Walter, et des compositions comme Crazy world. La voix de Kévin est distinguée, swingante, son harmonica est galactique, comme sur le solo de Sixteen tons ou l’introduction de I done got over.
Au piano, Pierre Le Bot est impressionnant de bon goût et de justesse. Anthony est captivant à la contrebasse, bougeant peu du corps, comme s’il avait envoyé toute son énergie et sa précision au bout de ses doigts pour en tirer le meilleur, et Gabor est comme toujours confondant de décontraction, peut-être la clé de la beauté complexe de son jeu. Son passage aux claquettes, attendu par ceux qui l’ont déjà vu, surprenant pour les autres, est une cerise gorgée de jus sucré sur un gâteau déjà somptueux. Le final se fait avec My babe, sur lequel Kévin invite Bernard Sellam à la guitare. Après un tel set, comme le fait le groupe quand il reprend Jon Hendrix, on peut se dire : « I’ll die happy. »
Mais on ne se doute pas de ce qui va suivre. Le Nala 7 Brass Band, en provenance directe de Nantes, avec Jérôme Bossard aux percussions, Claude Chauveau à la grosse caisse, Benoit Poeuf au sousaphone, David Dupuis à la trompette, Samuel Durand au saxophone, Philippe Desmoulins au trombone, Nicolas Martin à la guitare et Maxence Bossard-Tisseau au tambourin, prend possession de la scène et envoie un groove néo-orléanais d’enfer, avant que n’apparaisse, par le côté de la salle, Big Chief Juan Pardo, dans son extraordinaire tenue d’indien de Mardi-Gras. À partir de là, ce moment va être incroyable. Comme Crawfish Wallet, les musiciens du Nala 7 Brass Band ont compris l’essence de la musique funk de La Nouvelle-Orléans et la restituent avec un groove irrésistible, accentué par la présence captivante et ondulante du Big Chief. On reconnaît Hey pocky way, des phrases de Sex machine, c’est un festival de rythmes, et d’images fortes, que le groupe sait créer avec des effets de lumières, des ampoules lumineuses fixées aux instruments, on ne sait plus où donner du regard. « Je sais que vous êtes venus pour le blues, dit Juan Pardo, je vais vous donner du funk », et il le fait !
La troisième journée ajoutée au festival cette année est du coup une excellente idée car elle va permettre de redescendre doucement après ce samedi de folie. En fin de matinée, c’est l’inauguration de l’extension du site avec un studio d’enregistrement et de répétition, une salle supplémentaire d’une centaine de mètres carrés et un spacieux lieu de résidence pour artistes et groupes. Élus et participants au projet se succèdent pour dire un mot, emmenés par le maire Jean-François Baulès.
Après un buffet convivial, on s’installe autour de la scène extérieure pour la Bluz Track Caravan. Pascal Delmas à la batterie, Antoine Escalier à la basse, Victor Puertas aux claviers et à l’harmonica, Sam Tchang à la guitare, au chant, et à l’animation, il y a déjà de quoi prendre une bonne dose de blues. Le T-Bone shuffle d’ouverture se mue en Bluz Track shuffle, Sam chante le blues lent Louise, Victor prend l’harmonica et chante What have I done puis Real gone lover sur lequel il utilise son harmonica pour faire office de bottleneck sur le manche de la guitare de Sam, les deux compères délivrant alors sans sourciller un solo juteux.
Luca Giordano les rejoint pour prendre le lead à la guitare et au chant. Phone booth est joué en mode jump et prolongé en Buzz me buzz me, suivi par un beau blues lent, Don’t ever leave me. C’est au tour d’Enzo Cappadona d’être devant, avec Black cat bone. Ses progrès à la guitare et au chant sont constants et il est de plus en plus impressionnant. Le dernier à apparaître est Bernard Sellam : jump blues, shuffle, soul blues, sa palette est large, à la mesure de son talent. Ce qui est aussi remarquable est que chaque guitariste qui apparaît, reste sur scène ensuite. Il y en a donc quatre mais la musique et le son restent maîtrisés car chacun est là pour soutenir les autres avec efficacité et douceur.
Luca reprend le micro pour un King of the jungle avec échanges de riffs entre les guitares et le piano, puis Enzo chante I’m a bluesman de Magic Slim avant d’être envoyé dans le public par Sam, c’est la fête. Le final se fait en boogie rapide, où les guitares et l’harmonica étincellent. Le spectacle n’est pourtant pas fini puisque Crystal Thomas monte sur scène, pendant que Charlotte Bélières prend la place de Pascal Delmas derrière la batterie, et c’est parti pour un joyeux Let the good times roll. Le public est debout, danse, tape dans les mains, chante, c’est la superbe conclusion superbe d’un festival qui ne l’est pas moins.
Texte et photos : Christophe Mourot