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Live reports / 06.06.2023

Técou en Blues 2023

27 et 28 mai 2023.

La deuxième édition du festival Técou en Blues s’est tenue les 27 et 28 mai à la salle multiculturelle de Técou, près de Gaillac dans le Tarn. Organisé par le batteur-tourneur Pascal Delmas et l’association Bluz Track, cet événement a de quoi s’installer durablement dans le paysage blues français.

Ce que nous avions apprécié l’année dernière se retrouve de suite cette année dans une sensation agréable d’être chez soi. Le lieu est champêtre, avec un espace agencé encore plus efficacement, l’accueil est chaleureux, on se reconnaît d’une année à l’autre, bénévoles, organisateurs, élus locaux, festivaliers, et l’affiche est belle. The Wacky Jugs, Dawn Tyler Watson, Nico Wayne Toussaint, Country Pie, Mike Sanchez, Kai Strauss, sans oublier les vedettes régionales Chico Lopez et Enzo Cappadona, ni la conférence de Jacques Garcia, il y a de quoi se remplir les yeux et les oreilles. Et aussi le corps, car la restauration est excellente et, entre autres liquides proposés à la consommation, la bière de la brasserie La Berlue, joliment nommée “La Taquine” est gouleyante sans être forte.

C’est Chico Lopez, figure tutélaire du blues tarnais, qui ouvre la scène extérieure, accompagné de Sébastien Lefranc à l’harmonica, Yannick Souyri à la deuxième guitare, Laurent Bironien à la basse et Marion Borthelle à la batterie. Le groupe propose un répertoire érudit de reprises de blues électrique, avec funk ajouté. Son, riffs, chant, tout est fait avec application, une dose de coolitude, c’est parfait pour lancer le festival.

Les Wacky Jugs leur succèdent sur la même scène. Ceux qui les connaissent savent, les autres vont le découvrir. Leur blues ancien, chanté et joué joyeusement dans une formule orchestrale peu courante, mandoline, accordéon, harmonica, contrebasse, batterie, fait mouche. Stomp, valse et autres rythmes mettent les corps en mouvement, et le final se fait avec Good morning little schoolgirl, le titre grâce auquel je les ai personnellement découverts dans un clip déjanté sur YouTube en 2020.

Chico Lopez & the Tarn All Stars
The Wacky Jugs

La suite se passe sur la grande scène intérieure avec Dawn Tyler Watson accompagnée par le Ben Racine Band, avec Ben Racine à la guitare, Kaven Jalbert au saxophone, Vinz Polletvillard aux claviers, Antoine Escalier à la basse et Pascal Delmas à la batterie. Un premier titre rapide, un deuxième en shuffle rhythm and blues extrait de l’album “Mad Love”, dont on entendra aussi You’re the only one for me, Love to burn et Lost, ça part fort.

L’autre disque “Jawbreaker!” sera aussi bien utilisé avec Rotten et surtout It ain’t Elvis avec un solo de trompette à bouche de Dawn très impressionnant, et le rappel Shine on. L’orchestre est au taquet, guitare tranchante de Ben, solos bien sentis de Vinz et Kaven, Dawn est une tornade vocale qui communique très bien avec le public, jouant de son accent quand elle s’essaie au français, tout cela procure un grand bien-être.

La deuxième tornade de la soirée est Nico Wayne Toussaint et on ne s’en lasse pas. En format big band avec Michel Foizon à la guitare, JP Legout aux claviers, François-Marie Moreau au saxophone, Franck Vogler à la trompette, Seb Arruti au trombone, Antoine Perrut à la basse et Romain Gratalon à la batterie, Nico peut se consacrer librement au répertoire de James Cotton, entrecoupé de titres plus personnels, comme une belle version de Saint James infirmary, I can’t stop playing the blues ou une reprise de Syl Johnson.

Son énergie scénique ne cesse d’étonner et ne baisse pas d’un watt d’un bout à l’autre du concert. Elle nourrit un chant et un jeu d’harmonica reconnaissables entre tous et peut être débridée comme sur l’attendu Boogie thing ou contenue comme dans Down at your burrying dont l’ambiance faussement calme est très prenante. Michel Foizon est partout confondant de justesse à la guitare. Au milieu d’un instrumental cottonien en diable, Nico fait monter sur scène le fils du bassiste Antoine Escalier pour lui souhaiter son anniversaire, avant de convier Ben Racine pour le rappel, les deux interprétants une version torride de Part time love.

Dawn Tyler Watson

Nico Wayne Toussaint
Nico Wayne Toussaint, Ben Racine

La deuxième journée s’ouvre avec une conférence de Jacques Garcia, fondateur de la Maison du Blues. Il commence par parler de l’esclavage, la ségrégation et la lutte pour les droits civiques avant de dresser une galerie de portraits de bluesmen et blueswomen remarquables. L’auditoire est intéressé est les échanges de fin sont nourris.

La petite scène extérieure est ensuite investie par le Blues Kid Combo, à savoir le jeune Enzo Cappadona à la guitare et au chant, Laurent Basso à la basse et Pascal Delmas à la batterie. Reprises de Freddie King, T-Bone Walker, Buddy Guy, Albert Collins, hommage à Lucky Peterson, composition écrite avec Pascal Delmas, le jeune homme connait son affaire et impressionne par son talent à la guitare et au chant, qu’il utilise avec une efficace sobriété, en n’hésitant pas à descendre deux fois dans le public. En rappel, il reprend Shake your moneymaker d’Elmore James avec des accents à Chuck Berry, duck walk comprise !

The Blues Kid Combo

Alors qu’il faisait un temps éclatant jusque-là, le ciel s’assombrit brusquement et devient menaçant. La direction du festival prend alors la décision de rapatrier le concert suivant à l’intérieur et fait bien car un déluge commence à s’abattre quelques minutes plus tard. Bravo aux équipes techniques et aux bénévoles qui ont le temps de rentrer tout le matériel et replier les chapiteaux.

Country Pie joue donc à l’intérieur sur la grande scène, après avoir refait la balance, dans une décontraction qui rend honneur à la gentillesse du groupe et à la réactivité de l’équipe technique. Zoé Coudougnan, chant et guitare acoustique, Anthony Stelmaszack, chant et guitare électrique, Olivier Viscat, basse, et Matthieu Wanderschied, chant et batterie, proposent une musique country au rythme apaisant, avec des reprises de Loretta Lynn et Dolly Parton chantées par Zoé, de Jimmie Rodgers et Bill Monroe chantées par Matthieu, des compositions chantées par Zoé et Anthony, séparément ou ensemble comme sur cette ballade dont les arrangements rappellent ceux de Love is strange.

La voix de Zoé est claire, douce, avec des passages plus appuyés et des accents à la Rose Maddox comme sur Much too young to die de Ray Price. Elle communique joliment et avec humour avec le public. Anthony est impeccable à la guitare, avec des riffs et des solos qui claquent. Sur la reprise de Jimmie Rodgers, c’est lui-même qui esquisse le fameux yodel sur ses cordes.

L’équipe technique n’en a pas fini puisque lorsque Mike Sanchez s’assied à son piano, celui-ci produit des sons inattendus, puis est annoncée une panne du système de contrôle du son. Pendant que les techniciens s’affairent, Mike commence à parler de lui, de sa vie, les Big Town Playboys, Robert Plant, Jeff Beck, Eric Clapton, son déménagement en Espagne, alternant l’anglais et l’espagnol, avec force mimiques à la Little Richard et on se dit que quand il va commencer à jouer, ça va être quelque chose. On ne se trompe pas.

Dès les premières notes de Red hot mama, on sait qu’on est en présence d’un rocker de la plus belle eau, qui a vécu tout ça en vrai, qui sait ce que le rock ‘n’ roll doit aux artistes noirs, et qui le retranscrit avec authenticité. Superbement servi par Anthony Stelmaszack à la guitare, Miguel Hamoum à la contrebasse et Fabrice Bessouat, Mike propose des reprises de Johnny Guitar Watson, Fats Domino, Amos Milburn, Brook Benton, Little Willie Littlefield, Charles Brown, Roy Brown, Ike Turner, Nappy Brown, des compositions « à la façon de Charlie Rich et Jerry Lee Lewis », un boogie-medley John Lee Hooker/Slim Harpo/Chuck Berry avant d’enchaîner sur How many more years de Howlin’ Wolf ! Mike sera aux Rendez-Vous de l’Erdre de Nantes les 2 et 3 septembre, avec une section à vent, il ne faudra pas le manquer.

C’est déjà le dernier concert du festival et c’est à Kai Strauss & the Capitol Horns de relever le défi, ce qu’ils font aisément. Avec Tommy Schneller et Sylvain Tejerizo aux saxophones, Nordine Klavo à la trompette, Horst Bergmeyer aux claviers, Kevin Duvernay à la basse et Alex Lex à la batterie, Kai a tout ce qu’il faut pour le soutenir dans son blues électrique flamboyant.

Reprises de Johnny Copeland, Otis Rush, Buddy Guy, compositions dans le ton, vocaux puissants, solos inspirés de Kai, Tommy, Sylvain, Horst et Nordine, variations des rythmes et des ambiances, le set est très bien construit et nous emmène jusqu’à la nuit. On apprécie le shuffle de Ride with me et la force de Storming in Chicago, composé avec Toronzo Cannon, deux titres à paraître sur un prochain disque, le superbe solo de guitare sur le blues lent Hard ride ou celui de sax ténor sur Down on my bended knees. Dans une de ses chansons, Kai se qualifie d’« invité dans la maison du blues », à cet instant il en est l’hôte.

Le rappel se transforme en jam avec Enzo Cappadona sur Crosscut saw, puis Anthony Stelmaszack et Matthieu Wanderschied sur Everything’s gonna be alright. Une belle conclusion à un festival auquel on souhaite de durer et grandir tout en gardant sa convivialité.

Textes et photos : Christophe Mourot

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