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Live reports / 19.06.2022

Técou en Blues 2022

La première édition du festival Técou en Blues s’ouvre le vendredi 4 juin à la salle multiculturelle locale, en pleine campagne, bordée par un plan d’eau à la couleur étrange, qui ne rebute pas les pêcheurs apparaissant régulièrement sur ses berges. Le président de l’association Bluz Track Sébastien Lefranc, son acolyte organisateur et programmateur Pascal Delmas ont choisi un cadre et concocté un programme qui engendrent un bien-être immédiat.

La musique commence vite avec l’apparition sur la scène extérieure du groupe Middle Blues Band. Guitare, claviers, harmonica, basse, batterie, chant, répertoire solide, c’est le genre de blues idéal pour bien lancer un festival. De cette belle séquence, on retient en particulier la reprise de Mother earth avec de bons solos de piano et de guitare.

C’est Franck L. Goldwasser qui ouvre la grande scène, accompagné par Sylvain Tejerizo au saxophone, Benoit Ribière aux claviers et Pascal Delmas à la batterie. Avec Franck, c’est une élégance certaine qui est sur scène, vestimentaire, musicale et vocale, mais à sa façon. Compositions fortes, Bring me my 45, She’s hip, reprises érudites, comme The highway is my woman de Percy Mayfield, Reet petite and gone de Louis Jordan époque Mannish Boys, le blues qu’interprète Franck est authentique, vécu, mélange de rudesse et de catharsis. Ses accompagnateurs sont au niveau avec de belles interventions d’orgue et de saxophone comme sur Don’t give up on me. Vincent Bucher est invité à l’harmonica sur Bad boys avant que le set se termine sur Tyranny is rising.

Victor Puertas & Max Genouel lui succèdent avec Julien Dubois à la basse et Hugo Deviers à la batterie. Cela faisait un moment que le quatuor n’avait pas pu jouer ensemble mais ça ne s’est pas vu. Victor dégouline de classe au chant, à l’harmonica et à l’orgue, Max est en feu à la guitare, Julien et Hugo sont à l’unisson, ça déroule. Des exemples ? Whiskey drinking woman avec ses solos d’harmonica et de guitare, Here in the dark, blues lent chanté par Max qui ajoute un solo énorme, le Homework d’Otis Rush revitalisé, l’harmonica chromatique de Driving wheel, ou le Real gone lover de rêve avec Vincent Bucher et Thomas Troussier qui viennent croiser les harmonicas avec Victor.

La scène est bouillante pour Ms Nickki & the Memphis Soul Connection, Florian Royo à la guitare, Pierre Cherbero aux claviers, Julien Dubois à la basse et Eric Boréave à la batterie. Après Franck Goldwasser, c’est une nouvelle tranche d’authenticité qui est proposée. Ms Nickki apporte avec elle l’expérience des clubs, quand l’ambiance se mesure au degré de communion avec le public, et elle ne recule devant aucun effort pour y arriver dans une salle plus grande. Gros boogie blues en ouverture, reprise de Soulful dress qui attire les danseurs au pied de la scène, Come dance with me chante-t-elle dans la foulée, avant d’aboyer sur Walking the dog, faire chanter le public sur I can’t stand the rain, raconter une partie de sa vie sur sa composition Uphill journey et la reprise de sa mentore Denise LaSalle Right side of the wrong bed, inviter Sylvain Tejerizo et Arnaud Fradin, lequel joue un solo de guitare stratosphérique, et terminer en groupe avec Smoking in bed. Pas de pause dans cette phrase car il n’y en a pas eu pendant le set. Une première soirée qui se conclut en beauté.

Le dimanche débute en matinée avec le Blues Kid Combo où on retrouve Pascal Delmas à la batterie, avec Jean-Paul Lopez à la basse, Fabrice Joussot et Enzo “Kid” Cappadona à la guitare et au chant. Enzo a tout juste 15 ans et continue d’impressionner ceux qui le croisent sur différentes scènes depuis quelques années. Il fait preuve d’une retenue touchante, car il pourrait se lâcher plus, étant donné son talent à la guitare et au chant, mais il évite justement tous les travers héroïques dans lesquels les jeunes prodiges comme lui versent souvent. Les classiques Reconsider baby, Big bossman, les échanges complices avec Fabrice Joussot, prouvent que le jeune homme en a encore beaucoup sous les doigts.

En début d’après-midi, j’ai l’honneur et le plaisir de donner une conférence sur l’harmonica blues avec Thomas Troussier comme illustrateur musical. DeFord Bailey, Jazz Gillum, John Lee “Sonny Boy” Williamson, Little Walter, Jimmy Reed, Sonny Boy Williamson n°2, George Smith, Kim Wilson, il donne vie à tous ces héros et leurs styles, avec une maestria et une humilité confondantes.

Retour sur la scène extérieure ensuite, qui s’ouvre à tous les musiciens qui s’en ressentent, avec le Blues Kid Combo à l’animation. Où l’on découvre que l’équipe des bénévoles du festival abrite de nombreux musiciens et qu’il y a du talent !

Comme la veille, c’est Franck L. Goldwasser qui lance la soirée sur la grande scène, cette fois-ci en duo avec Vincent Bucher. L’alliance de la guitare et du chant raciniens de Franck et de l’harmonica si personnel de Vincent est un pur bonheur. Un des premiers titres est “bo-diddleyien” avec justement des riffs venus d’ailleurs de la part de Vincent. Quand Franck passe au Dobro, son jeu saccadé évoque délicieusement Son House. Il réinterprète certains des titres joués la veille en formation plus étoffée, démontrant la capacité de ses compositions à être performantes dans plusieurs modes. La reprise de boogie chillen est prenante et Vincent chante sur plusieurs titres dont I’m on my way avec un autre solo extraterrestre. La soirée est pour la deuxième fois très bien lancée.

Arnaud Fradin & His Roots Combo vont assurer la deuxième partie de façon magistrale, en augmentant l’orchestration sans quitter le format électro-acoustique. Avec Thomas Troussier à l’harmonica, Igor Pichon à la contrebasse et Richard Housset à la batterie et aux percussions, Arnaud a une formation, certes blues, mais aussi folk, avec un potentiel tous publics évident. Beauté de la musique, mélange de tradition, le répertoire, et de modernité, l’instrumentation et la façon de jouer, joie visible d’être ensemble, leur attractivité est forte. Two train running est sublime avec sa base Chicago blues et sa rythmique funky, d’autres morceaux sont enrichis non seulement des solos de Thomas mais aussi de ceux d’Arnaud qui se montre enfin plus à la guitare. Igor et Richard y vont aussi de leurs solos sur I know it was your love, où Arnaud appelle le public à chanter avec lui. Le rappel Steady rollin’ man commence en duo entre Arnaud et Thomas avant de se poursuivre et finir en quatuor.

Après cette énergie maitrisée, ce sera de l’énergie débridée, dès les premières notes de Koko-Jean & the Tonics. Koko-Jean Davis au chant, Victor Puertas aux claviers, Dani Baraldés à la guitare et Arnau Julià à la batterie, démarrent à fond, puis vont accélérer au milieu et sprinter à la fin. Aucune relâche, y compris dans les titres qui auraient pu servir de respiration. Le plan est simple : mettre tout le monde debout au pied de la scène. Le public tarde à le faire ? Koko-Jean et Dani descendent dans la salle pour aller le chercher. Leur concert débute avec une version musclée de Driving wheel avant de dérouler le répertoire de leur disque “Shaken & Stirred”. On retrouve les riffs de guitare, le chant assuré, le groove de l’orgue, l’impact du tout étant décuplé par le direct sur scène. Koko-Jean multiplie les poses et les pas de danse, change de tenue à mi-parcours, donnant parfois l’impression de forcer le trait, sans que ça nuise à un spectacle qui reste impressionnant.

Une excellente conclusion à un festival qui, s’il continue sur cette lancée, est appelé à devenir incontournable.

Texte et photos : Christophe Mourot