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Live reports / 23.06.2025

Tami Neilson, New Morning, Paris, 2025

19 juin 2025.

La chanteuse country franco-américaine Tess Lieutaud est chargée d’ouvrir cette soirée caniculaire au New Morning. Elle défend son nouvel album “Blue Mind”, avec des compos assez contemporaines, et le chapeau aux bords plats qui va avec. Les mélodies comme les paroles manquent un peu d’éléments distinctifs, et comme elle s’accompagne seule à la guitare (avec parfois un bonus harmo option rack), le côté parfois un peu crispé de son jeu à la main droite se fait remarquer. On peut mettre ceci sur le compte de la jeunesse, ou bien de la chaleur qui est déjà assez étouffante, toujours est-il qu’il y a quelques belles choses comme une chanson hommage à John Prine avec des septièmes bien dosés et un rythme valsant qui nous change un peu du 4/4 qui domine ses compos. Il y a aussi une reprise de Lucinda Williams, dont elle nous dit qu’elle va la voir prochainement à Paris (+ 10 000 points de sympathie engrangés immédiatement de mon côté). Sur l’avant-dernière chanson, Way it’s meant to ring, le public tape dans les mains et reprend de bon cœur le refrain avec elle, et d’un coup, on peut jeter un œil à l’étendue des talents de la jeune dame qui se laisse enfin couler dans sa propre musique.

On piaffe dans la salle qui se remplit tranquillement. Quelques minutes plus tôt, le camarade Frédéric Adrian avait l’air inquiet que le public ne soit pas au rendez-vous. Pour ma part, je commence à m’inquiéter de la contribution apportée par chacun de ces corps humains calorifères à ma souffrance thermique.

Le groupe se met en place, en chemises western à lanières. On note l’absence du frère et complice musical de Tami, Jay, qui se remet encore d’un très fâcheux problème de santé. La patronne entre sur scène dans une robe rose chamallow goût framboise, et si vous avez cru déceler chez moi une pointe d’ironie, détrompez-vous, c’est parfaitement élégant. Elle dégaine son harmo sur l’intro de Ain’t my job, avant de le remiser pour se mettre enfin à souffler dans son terrible instrument. Quand elle lance « It ain’t maaaaaaah job », le public réagit immédiatement par des « whooo! », j’aperçois des flammes au fond de sa gorge – les bleues, difficilement discernables à l’œil nu – les plus chaudes aussi. Ça ne va pas arranger nos affaires. Elle se plaint de la chaleur (« Damn’ it’s hot ! »). Même si elle fait comme si elle n’avait rien à voir avec tout ça (« I come from New Zealand winter »), on a du mal à croire qu’un tel vortex d’énergie parvienne à lancer une boule de neige avant de la voir s’évaporer entre ses doigts. On enchaîne sur Come over, une compo rockab survoltée, et puis sur Cry over you, qui parle de cascades lacrymales sur une mélodie orbisonienne, mon sourire reste bêtement vissé sur mon visage.

Le public réagit vraiment bien aux premières chansons. Elle s’en satisfait, et nous dit qu’elle risque de se saisir de nous pour nous mettre dans sa poche arrière. Pour un certain nombre d’entre nous, il est évident que dans sa poche, nous y bivouaquons depuis quelque temps. Avant le génial Ten tonne truck, Tami nous raconte sa participation à la série The Brokenwood Mysteries – apparemment plein de gens connaissent, ça marche très bien en France. Comme souvent avec elle, l’humour est de niveau quasi professionnel, et comme quand c’est bien fait, on a l’impression que c’est tout à fait spontané. Son grand rire et son autodérision finissent de ratisser les quelques spectateurs du fond qui n’étaient pas encore tombés dans son escarcelle. Faudrait prévoir un sac la prochaine fois, on est un peu serrés. Ajoutez-y tant que vous y êtes le camarade Julien D., qui se tient les côtes en lançant des « arf arf ! » sonores à chacune de ses vannes. 

Avant de se lancer dans Beyond the stars, elle nous présente Cy Winstanley qui fait un excellent boulot à la guitare, mais à qui reviendra le fardeau de donner la réplique à Tami en lieu et place de Willie Nelson. Il se débrouille à merveille. Quand elle va chercher en hauteur, sa voix trouve un timbre très délicat. Il parvient aussi à redonner quelque chose de Nelson – le côté, je me balade sur les bas-côtés de la mélodie sans jamais m’égarer – sans pour autant donner une seconde la sensation d’une imitation. 

Cy Winstanley
Rob Calder
James Gwin

Le speech avant King of country music souligne une fois de plus la sous-représentation des femmes dans la radio country, avant de lancer la longue montée que constitue la chanson, où la basse omniprésente et lourde semble représenter les difficultés qui ralentissent les femmes dans leur ascension artistique. Tout à fait messieurs dames. Présenté pour la première fois en live, Foolish heart (qui sortira le lendemain en single) est un autre bijou orbisonesque où Tami fait dangereusement voler sa voix en rase-mottes – on n’a pas peur une seconde d’assister à un gadin, tout est maîtrisé au millimètre. Les poils de mes avants bras, qui ne s’y trompent pas, font la ola sur les gradins. Autre morceau de bravoure issu de “Neon Cowgirl” à sortir début juillet, Salvation mountain, qui fait monter sérieusement les battements par minute, décrasse les tympans et fait rugir le public de plaisir. La patronne constate, sourire aux lèvres, que la clientèle trouve sa dernière production à son goût. Ça tombe bien, il y a encore du rab en cuisine.

Tami se saisit d’une serviette pour tenter d’éponger le dégât des eaux planqué sous sa frange, avant de se lancer courageusement dans un autre morceau énergique, Holy Moses. Le groupe tape le boogie comme le marteau d’un père de famille excédé sur un clou récalcitrant et Neilson s’arqueboute sur son micro. L’espace d’un instant, on entrevoit derrière la maman en robe rose bien taillée quelque chose comme un pitbull noué de muscles et de nerfs qui s’apprête à nous foncer dessus pour nous choper à la gorge. Pendant le tube ettajamesesque You were mine, je dois avouer que je perds un peu le contrôle et me retrouve à la mimer comme un ado qui incarne son idole devant son miroir. Sauf que je suis pas dans ma salle de bains, mais au premier rang, juste devant l’idole en question qui me voit pris dans mon cinéma et se marre un instant.

En parlant de cinéma, elle termine sur Three cigarettes in an ashtray, de Patsy Cline, qu’elle a interprété récemment à l’Opry – on trouve la vidéo sur Internet, ça donne un peu une idée de la claque. Les camarades Frédéric Adrian et Julien D. étaient venus sur mes conseils, j’ai l’impression qu’ils ne sont pas déçus du voyage. Un soulbaguien peut se tromper, trois c’est plus compliqué.

Texte : Benoit Gautier
Photos © Angèle Ronach