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Live reports / 27.09.2022

Tami Neilson, Le Balajo, Paris

31 Août 2022.

Ça faisait quelques années que nous n’avions pas mis les pieds dans le plus vieux – since 1936 – dancing de Paris où tous les mercredis, les danseurs de rock menés par DJ Turky prennent possession du plancher. On est heureux de constater que le disque est resté sur la même piste : exactement comme il y a dix ans, des énergumènes lookés fifties sautillent avec plaisir sur le Lonely boy de Sugarboy Crawford. Le look de l’endroit est toujours aussi sympathique, et on attend toujours aussi longtemps pour se faire servir accoudés au long bar qui mène à la piste de danse. 

Mais cette fois-ci, nous ne sommes pas venus pour nous dandiner sur la selection de R&B ’50s concoctée avec goût par Turky. Nous sommes venus pour écouter la grande Tami Neilson, qui traverse la masse de jiveurs pour grimper sur la petite scène située dans l’angle gauche de la salle. Les danseurs se dispersent en bougonnant et se regroupent au fond du bar, bien décidés à montrer qu’on ne va pas les priver de leur petite séance de sport hebdomadaire. La scène et petite et ce n’est pas grave puisqu’ils ne sont que trois : Tami, son frère Jay à la guitare et Mark Mariash à la batterie. Tami a des bottes de cowboy dorées, un diadème qui la couronne de roses cuivrées, ainsi qu’une robe reprenant les motifs de la pochette de son dernier disque. 

Je me pose la question qu’elle s’est elle-même posée quand je l’ai rencontrée un peu plus tôt dans la journée : comment reproduire avec un groupe aussi restreint les sonorités d’un album aussi orchestral que celui qu’elle vient présenter ? Elle répond en dégainant un harmonica, totalement absent du disque, pour le premier titre Ain’t my job. Elle se saisit ensuite de sa Gretsch acoustique pour entonner Bus driver extrait de son précédent disque, “Chickaboom!”, qu’elle n’a pas pu venir présenter en 2020. Sa voix est claire comme du cristal.

Malgré le brouhaha en fond de classe, généré par les danseurs qui tiennent apparemment à manifester leur désintérêt total pour ce qui se passe sur scène, Tami discute pas mal. Elle est assez marrante, et son rire est communicatif quand elle nous présente sa prochaine chanson en nous parlant de sa belle famille qui croit qu’elle est millionnaire parce qu’elle est musicienne. On était jusqu’ici en territoire country et rockabilly, et Tami nous amène du côté soul de son répertoire avec Walk (Back to your arms). La note d’ouverture file quelques frissons. Le brouhaha est pourtant toujours là. 

Quand elle se lance dans ce qu’elle présente comme sa chanson favorite de son dernier album Beyond the stars, enregistrée en duo avec Willie Nelson, même les mauvais élèves interrompent leurs bavardages. La chanson en impose sérieusement. Peut-être est-ce aussi dû au « VOS GUEUULES ! » lancé opportunément par une dame à qui j’aurais volontiers payé un verre si j’avais repéré son visage que j’imagine auréolé de sagesse et de grandeur. Tami aborde ensuite Careless woman, accompagnée seulement de percussions, de handclaps, et, curieusement, d’une cloche de guichet manipulée avec expertise par Jay. Sur le très tonyjoewhitesque Green peaches, on réalise tout le boulot réalisé par Jay Neilson à la guitare : il assure la basse, une partie de la rythmique et quelques petites floraisons harmoniques. 

Après un petit propos liminaire – il y en a eu pas mal ce soir-là – rendant hommage à Dolly Parton, Tami entonne Baby you’re a gun, et la puissance de sa voix nous enveloppe le corps et l’esprit. Avant de se lancer dans I can forget, une chanson sur le deuil, elle nous raconte l’émouvante histoire de sa découverte. La chanson a été retrouvée dans les bandes de travail de son père. Tami nous explique qu’à un moment de la chanson, il se plante et grommelle « argh, c’est trop haut ! », et à ce moment, elle a pensé « mais c’est parce que la chanson est pour moi papa ». Après cette interprétation forte en émotions, Mme Neilson sort les claves pour Queenie queenie, lui aussi accompagné seulement de percussions. C’est très bien fait et on n’a pas besoin de plus.

Tami nous offre ensuite un It’s a man’s man’s man’s world très bien exécuté, qu’elle interrompt au milieu pour nous expliquer que malgré tout son respect pour Mr. Brown, elle a jugé bon d’y apporter quelques suppléments. On n’est pas mécontents de se révisionnisme, puisque ça allonge le morceau et on peut en profiter un peu plus longtemps. Tami passe du côté gospel avec Holy Moses, très très fun, avant de nous annoncer une petite berceuse. Il s’agit en fait de You were mine, son brûlot ettajamesien. Même si vous détestez tout le répertoire de la dame, et qu’elle passe près de chez vous, achetez-vous un billet et assurez-vous de vous mettre au premier rang lors de l’interprétation de ce morceau, parce que ça décoiffe, un peu comme un grand huit.

Après ça, Mme Neilson nous offre un bel hommage à Patsy Cline, en reprenant son Sweet dreams a cappella. Malheureusement le recueillement est troublé par le brouhaha des danseurs qui piaffent en attendant que le diamant touche enfin un disque de Turky, signal qu’ils peuvent à nouveau envahir le plancher. Le public de Tami n’aura pas résisté deux secondes à ces Huns assoiffés de swing. Le lieu est pourtant magnifique, la musique qui y passe sous l’égide de Turky est de grande classe, dommage qu’une partie du public n’a pas su se montrer à la hauteur des choix de programmation pour les concerts. 

Texte : Benoit Gautier
Photos © J-M Rock’n’Blues
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