;
Live reports / 10.12.2010

STEVE GUYGER – EDDIE C. CAMPBELL

 

Depuis 1999, la Scène des musiques actuelles occupe les anciens abattoirs de Bourgoin-Jallieu dans l'Isère. Une salle à dimension humaine avec des gradins haut perchés qui dominent une fosse profonde et une scène de belle taille. Le lieu s'ouvre au blues ce 10 décembre avec une affiche prometteuse. Le premier à se présenter est l'harmoniciste de Philadelphie (Pennsylvanie) Steve Guyger, qui a eu le temps de fourbir ses armes aux côtés de Jimmy Rogers de 1980 à 1994. S'il chante correctement mais sans grande souplesse, Guyger s'affirme surtout comme un harmoniciste de premier plan. Formé à l'école de Paul Butterfield et Paul Oscher, son jeu est expressif et efficace, subtil mélange d'invention et de tradition. Il démontre ainsi son aisance sur les tempos rapides (Shake the boogie, Pretty thing), mais les titres lancinants lui vont également très bien (Lookie here et I'm shakin' tirés de son dernier CD "Radio Blues"). Et son registre ne manque pas de variété avec Monkey on the limb au chromatique, ou encore I can see by your eyes et Hey little baby, ces deux derniers fleurant bon la Louisiane… Guyger bénéficie en outre du soutien de la formation du guitariste Jean-Pierre Duarte et de ses compères Ludovic Binet aux claviers, Jean-Marc Despeignes à la basse et Pascal Mucci à la batterie. Tous ont choisi de jouer assez bas dans une ambiance feutrée et subtile qui peut dérouter de prime abord, mais pour une fois qu'un groupe français qui accompagne un bluesman américain ne se croit pas obligé de matraquer… Et nous avons des raisons de penser que Guyger trouve là le terrain idéal pour exprimer son feeling dans les meilleures conditions.
 

Steve Guyger © Denis Claraz

 

Pour le second set, et on s'en réjouit, la formation est la même pour accueillir Eddie C. Campbell. Mais là, on monte le son… et le ton ! Bien que visiblement en pleine forme, Eddie se fait d'abord facétieux, expliquant que les séquelles d'un accident de moto (il est fou de vitesse) l'obligent à s'asseoir "for a while" durant sa prestation. Rien de honteux pourtant de la part d'un jeune homme de 71 ans qui a bien bourlingué… Très vite, il démontre qu'il a désormais parfaitement bien pris ses marques avec l'excellent groupe de Duarte (avec lequel nous l'avions vu un an plus tôt à Bagneux) avec une lecture délicieusement lazy et chaloupée de Busted, suivie d'un Love me with a feeling plus enlevé. S'il a toujours son timbre chaud et traînant, c'est bien sûr une fois de plus à la guitare qu'il affiche toute cette originalité qui lui permet d'explorer des pistes certes inattendues mais jamais saugrenues (une version surf music de Summertime, une instrumentale de All your love prodigieusement interprétée, une carrément hip-hop de Hey, the blues is alright !).
 

Eddie C. Campbell et Jean-Pierre Duarte © Denis Claraz

 

Et quand il revient à des classiques (Last affair, King of the jungle, That's when I know), son phrasé tranchant basé sur une attaque des cordes "à l'envers" et des lignes rythmiques d'une invention rare n'appartient décidément qu'à lui. À la fin du concert, et ce sans nous concerter, nous sommes plusieurs à faire cet étonnant constat : en deux bonnes heures, nous n'avons pas entendu une seule fausse note. C'est dire le niveau auquel évolue Eddie C. Campbell. Mais ceux qui ont manqué ça pourront se rattraper en avril prochain à Salaise (Isère), où il est programmé. Quant aux organisateurs, espérons que la qualité de leur affiche les encouragera à poursuivre sur la voie du blues.

Daniel Léon

Eddie C. Campbell et Jean-Pierre Duarte ©  Denis Claraz.