Jazz à La Villette 2024, côté jazz
19.09.2024
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2 juin 2023
Proche de l’élite des songwriters texans comme Townes Van Zandt et Guy Clark, aux répertoires desquels il a consacré des disques, partisan d’une country non nashvillienne qui ne cache pas ses affinités pour le blues, le folk et le rock, il fait partie de ces musiciens pour lesquels le terme “americana” semble avoir été inventé. Relativement rare sur les scènes françaises, sa venue est un évènement – il précise d’ailleurs qu’il a exigé qu’une date en France soit ajoutée à son programme de tournée – et le Café de la Danse l’attend avec une grande ferveur.
C’est au Britannique Danny George Wilson qu’il appartient d’ouvrir la soirée, seul avec sa guitare. Figure d’une certaine scène rock racinienne britannique, sous son nom, en tant que leader de Danny & The Champions Of The World et membre du groupe Grand Drive, lui aussi avait très envie de jouer à Paris, au point d’avoir pris le bus à Londres la veille au soir à 23 heures pour arriver au petit matin, avec un retour prévu par le même moyen de transport dans la nuit, départ à 1 h 30 !
Chant sous influence du Dylan des débuts, écriture à la Springsteen, il ne tarde pas à séduire un public qui, sans sa large majorité – y compris moi – n’avait apparemment jamais entendu parler de lui. Il faut dire que l’élégance de son écriture, avec des titres à la nostalgie douce-amère comme Track 40 ou (Never stop building) That old space rocket – qui évoque la fois où il est parti en stop avec son père assister à un concert des Fabulous Thunderbirds ! –, et son évident plaisir à être là rendent naturel l’accès à sa musique, et les 45 minutes de sa prestation passent très rapidement.
Steve Earle aussi a envie de jouer : la musique de l’entracte est à peine arrêtée et les lumières de la salle pas encore tout à fait éteintes qu’il est sur scène, ouvrant, de façon un peu étonnante, avec le If I should fall from grace with God des Pogues. Si certains avaient fait l’hypothèse que l’annonce d’un concert “solo & acoustic” présageait d’une soirée en mode détendue, ils se sont trompés : Steve Earle n’a besoin ni d’électricité ni de ses Dukes pour faire monter la tension, et c’est un concert d’une grande intensité qu’il donne, enchaînant sans relâche des versions courtes et percutantes de ses chansons mêlant les classiques attendus – My old friend the blues, Guitar town, CCKMP (qu’il semble regretter de devoir jouer régulièrement)… mais pas God is God – et quelques chansons moins courantes comme le très beau Valentine’s day ou l’intense It’s all about blood, gravé avec les Dukes et qui évoque une catastrophe minière intervenue il y a quelques années – une occasion pour Earle de rappeler le rôle majeur que jouent les syndicats dans la protection des ouvriers – et se termine par la liste glaçante des noms de l’ensemble des victimes.
Les plaisanteries et anecdotes entre les chansons sont bien rodées – « same girl, different harmonica » entre Now she’s gone et Goodbye –, mais l’humour grinçant de Earle fait mouche, par exemple quand il explique que certaines de ses plus belles chansons ont été écrites pour les pires de ses ex (il en évoque une « qui va encaisser son chèque de pension alimentaire au magasin d’alcool ») ou qu’il précise, sur le même sujet, qu’il n’y a pas lieu de se demander qui lui a inspiré telle ou telle chanson vu que toutes parlent de lui ! Il s’éloigne de son propre répertoire pour saluer d’un beau Mr. Bonjangles la mémoire de Jerry Jeff Walker, puis celle de son fils Justin Townes Earle, tragiquement décédé d’une overdose, avec Harlem river blues, occasion de mettre en garde le public sur les risques mortels liés au Fentanyl.
L’humeur sombre de ce moment se dissipe avec le spirituel Tell Moses qu’il a enregistré il y a quelques années en duo avec Shawn Colvin, occasion pour lui d’abandonner la guitare pour la mandoline. C’est sur ce même instrument qu’il termine le concert avec le très attendu Copperhead road. Bien qu’il ait à plusieurs reprises regardé sa montre de façon fort peu discrète pendant le concert, Earle ne la joue pas à l’économie, et il n’y a pas besoin de beaucoup de rappels pour le faire revenir pour deux titres, le léger You’re the best lover that I ever had et le plus solennel Jerusalem, chanté avec beaucoup d’émotion et qui vient mettre un point final à une prestation sans temps mort de près de deux heures.
Faute sans doute d’un public suffisant, les artistes un peu “hors cadre” comme Earle sont rares sur les scènes françaises, raison de plus d’aller les entendre quand ils nous rendent une visite aussi exceptionnelle.
Texte : Frédéric Adrian
Photos © J-M Rock’n’Blues
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