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Hommages / 15.02.2023

Spencer Wiggins (1942-2023)

De tous les chanteurs soul qui n’ont pas eu la carrière qu’ils méritaient, Spencer Wiggins, dont l’œuvre au plus profond de la deep soul n’a pas d’équivalent autre que celle de son ancien camarade de label James Carr, est sans doute celui pour qui la situation a été la plus injuste.

Né à Memphis le 8 janvier 1942, il monte dès le lycée un premier ensemble gospel, les Southern Wonders Jr’s, avec son frère Percy – qui aura également une petite carrière soul –, puis prend le virage séculier, montant avec Percy et David Porter un groupe R&B, les Four Stars, puis, toujours avec Percy, les 5 “T’s”, qui comprennent notamment Marvell Thomas, le fils de Rufus et frère de Carla. À la fin de ses études, Spencer Wiggins se lance dans une carrière solo, se produisant en particulier à Memphis au Flamingo Room, pas loin de Beale Street, où il est accompagné par l’orchestre du trompettiste Gene “Bowlegs” Miller dont font partie plusieurs futurs grands de la scène soul locale : Isaac Hayes, Andrew Love, Howard Grimes… 

C’est cependant sur la foi de démos que Quinton Claunch, le patron de Goldwax, décide de l’enregistrer en 1965 pour un premier single, Lover’s crime, écrit par Isaac Hayes et qui paraît sur le label annexe Bandstand USA. Les 45-tours suivants, au nombre de sept, paraissent sur Goldwax entre 1966 et 1969. Malgré leur qualité, ils passent inaperçus, et aucun d’entre eux n’apparaît dans le classement R&B de Billboard. Plusieurs de ces titres, comme Take me just as I am, Up tight good woman (tous deux composés par le duo Dan Penn-Spooner Oldham), The power of a woman ou sa version de I never loved a woman (The way I love you) (gravé dans les studios Fame avec Duane Allman à la guitare), appartiennent, malgré l’indifférence qui les a accueillis lors de leur sortie, au panthéon de la soul. 

© DR / Collection Gilles Pétard
https://open.spotify.com/album/6PZPcKvmG00xMCiCo8AMA0?si=dDwnWCDPQni8RC1jvqclpg

À la fermeture de Goldwax, Spencer Wiggins passe sur Fame, où son second single, Double lovin’, sorti en 1970, lui permet enfin de voir son nom dans les hit-parades – une modeste 44e place du classement Soul –, mais n’a pas de suite. Un dernier single sort en 1973 sur Sounds Of Memphis, mais il renonce à cette date à la musique soul. Désormais installé à Miami, il se consacre ensuite à la religion et à la musique gospel, tandis que ses fans japonais entretiennent son souvenir, par le biais en particulier d’une anthologie, “Soul City U.S.A.”, publiée en 1977. Il est possible qu’il ait enregistré dans les années 1970, sans que le résultat ait été publié.

Devenu chauffeur routier, il faut attendre la fin des années 1990 pour le voir réapparaître, d’abord en tant que soliste du New Birth Choir (la chorale de son église) puis par le biais d’une série de disques gospel publiés sur J.C. Records puis sur le label Tavette, dont il semble être le seul artiste. En 2009, Graziano Uliani, qui a fait le voyage jusqu’à Miami pour le rencontrer, parvient à le persuader de reprendre son répertoire soul pour quelques prestations mémorables au Porretta Soul Festival, où il reviendra en 2011 et 2018.

S’il accepte de se produire ponctuellement dans des festivals, en Angleterre à plusieurs reprises et au Ponderosa Stomp à La Nouvelle-Orléans en 2013, il reste réticent à enregistrer à nouveau dans un registre séculier, en dehors de son apparition sur quelques titres des Bo-Keys. Ses enregistrements Goldwax ont été compilés en 2006 par Kent sous le titre “The Goldwax Years”, suivi en 2010 par “Feed The Flame – The Fame And XL Recordings”, qui comprend de nombreux inédits, deux anthologies saluées du Pied dans les colonnes de Soul Bag.

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © DR

Spencer Wiggins, Percy Wiggins, Wee Willie Walker, Porretta 2018 © Brigitte Charvolin
Frédéric Adrianhommage