Jammin’ Juan 2024
04.12.2024
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15 et 16 novembre 2019.
Une fois encore, Guillaume Tricard a rassemblé un plateau étonnant avec le guitariste violoniste chanteur Lionel Young, le trompettiste Andre Mali, le saxophoniste et harmoniciste Dexter Payne, le batteur chanteur William Forrest et le bassiste Kimet Stone. Leur concert commence par un blues à la Elmore James, avec un Lionel déjà étonnant à la guitare et très bon au chant. Dexter Payne est à l’harmonica. Driving wheel suit dans le même format avant que Lionel s’empare d’un violon électrique qui ne le quittera plus et dont il joue comme d’une guitare en rythmique et à l’archet pour les solos et certains breaks.
Sa formation classique et jazz est sans doute à l’origine de ce qui paraît éclectique aujourd’hui mais qui était commun aux débuts du blues, tant le violon y a occupé une place importante, parfois avant la guitare. Le premier morceau joué comme cela est Feelin’ good de Junior Parker, orné par un solo de trompette d’Andre Mali avec des références clin d’œil, par exemple vers It don’t mean a thing de Duke Ellington. Saint Louis blues permet de poursuivre dans cette voie, en ajoutant une saveur New Orleans déjantée et le sax ténor de Dexter Payne. C’est ensuite Caldonia puis Big road blues qui suivent ce traitement, rendu possible par le swing propulsé par William Forrest et Kimet Stone, et la culture jazzy des trois solistes.
On peut voir un paradoxe entre l’appellation “New Blues” et le répertoire composé uniquement de reprises pas toutes jeunes, mais la formule originale et l’interprétation fraîche soufflent un vent effectivement “nouveau” dans le blues contemporain. Let the good times roll est le deuxième titre repris à Louis Jordan avant un final avec une version jazzy de Got my mojo working sans appeler le public à chanter à la fin comme c’est la coutume dans de nombreux concerts. Le rappel se fait a cappella avec les cinq musiciens au micro pour une version de Bring it on home qui met tout le public debout.
Autre originalité de la programmation, la soirée se poursuit par un bal blues animé par le groupe Strasbourgeois Rhythm Outlines. Celui-ci connait son affaire et envoie du rhythm and blues et du blues taillés pour la danse, au grand plaisir des spectateurs volontaires et des membres des clubs de danse venus pour l’occasion.
Le lendemain samedi est de nouveau ouvert par Alex de Vree dont le chant de qualité à l’accent anglais impeccable, les reprises de classiques et d’autres plus inattendues, personnalisées par son jeu de guitare là encore classique et contemporain à la fois, font passer un très bon moment aux convives de l’apéro-blues.
La grande scène est lancée par le groupe Three Generations Blues Band, avec Nazila Mais au chant, Laurent Marhic et Julien Broissand aux guitares, Laurent Charbonnier aux claviers, Philippe Bertrand à la basse et Patrick Broissand à la batterie. Le groupe parsème son set de reprises de Chris Kenner, Big Mama Thornton, Nat King Cole, Ruth Brown, Jimmy Reed ou Aretha Franklin. Ils y ajoutent deux compositions, Walk all over my blues et River ride sur lesquelles, ce n’est pas un hasard, leur cohésion est forte. Le charme, l’humour et l’émotion de Nazila, la couleur de la guitare de Julien Broissand, l’implication talentueuse des deux Laurent, et la rythmique qui souligne le tout, emportent l’adhésion du public qui le leur rend bien.
La salle des Saulnières est ainsi bien chaude pour accueillir la cinquantième tournée du Chicago Blues Festival avec Wayne Baker Brooks (vo, g), Maurice John Vaughn (vo, p, g), Russ Green (vo, hca), Trudy Lynn (vo), Melvin Smith (b) et Willie Hayes (dm). On a vu des versions pour le moins ronronnantes de cette tournée, mais est-ce ce bel âge qui la dope cette édition 2019 ? C’est Maurice John Vaughn qui lance le show avec Traveling man et Private eye où il est au piano. Pour (Everything I do) Got to be funky il saisit sa guitare mais la sangle se rompt et la guitare est endommagée en tombant sur le sol. Il en faut plus pour le décontenancer. Pendant que la guitare part en réparation, il se remet au clavier et continue comme si de rien n’était.
Russ Green prend le relais et s’appuie sur son disque “City Soul” avec First thing smokin’, Believe in love et sa reprise d’Eric Bibb Going down south. Son jeu d’harmonica continue de mélanger le classicisme de Chicago avec des envolées à la Sugar Blue, et sa voix est caressante. Elle contraste avec celle toute en puissance et en gouaille de Trudy Lynn qui apparaît vêtue d’une robe bleue des grands jours et coiffée d’une improbable perruque en camaïeu de bleus et roses. Elle chante Blues ain’t nothing et Blues keep knocking en connaisseuse de la vie et du blues. C’est d’ailleurs elle qui introduit le premier blues lent du spectacle, sur lequel l’élégantissime Willie Hayes joue dans une gestuelle qui n’appartient qu’à lui, tandis que Russ Green envoie un beau solo d’harmonica.
Pendant tout ce temps, Wayne Baker Brooks est étrangement calme, se contentant de la rythmique et de quelques solos étonnamment peu audibles. Mais quand c’est à lui de prendre le lead, il ne se fait pas prier. Dès les premières mesures de Baby what you want me to do, il durcit le ton, fait monter la tension et craque l’allumette blues qui va enflammer la soirée. 44 blues le confirme, c’est lui l’homme fort de la tournée. Il fait valoir sa puissance et sa vélocité à la guitare sans jamais quitter le rivage du blues et il établit un contact tout sourire avec le public. Il descend longuement dans la salle sur You make it easy baby, Maurice John Vaughn réapparait à la guitare et Melvin Smith et Willie Hayes prennent chacun un solo, celui de Melvin dérivant en la ligne de basse de Billie Jean. Le public est désormais debout, Melvin Smith le prend en photo, et tout le monde est prêt pour les rappels : Got my mojo working et Sweet home Chicago bien évidemment, mais personne ne s’en plaint.
Texte et photos : Christophe Mourot