La mort de Siné vient raviver bien des souvenirs. Outre le dessinateur enragé que certains  découvrirent en Mai 68, le polémiste engagé de tous combats – anticolonialiste, anticapitaliste, antimilitariste –, le bouffeur de curé, mais aussi de rabbins et d'imams, Siné était aussi un amateur de jazz fervent aux avis aussi tranchés que ses positions politiques. Chez Frémeaux, son “Vive le Jazz” tout comme “Jazz Hot, compilation licencieuse” valent le détour pour la musique comme pour le texte illustré. Siné a aussi longtemps tenu son “Débloc-notes” dans Jazz Hot (1962-66) puis un “Sinépistolier” dans Jazz Magazine (1966-70). Dans sa Sinéclopédie du Jazz (1996), il illustrait les standards du jazz présentés par son ami André Clergeat. C'est justement André qui le décida à participer aux voyages organisés par Soul Bag lors du New Orleans Jazz & Heritage Festival. À partir de 1992, Siné devint un de nos participants les plus assidus, parce que c'est à La Nouvelle-Orléans que lui, l'athée indécrottable, le mécréant patenté, eut une illumination, une révélation, celle du gospel !

Il fallait le voir arriver le matin à l'ouverture de la Gospel Tent (sponsorisée par les pompes funèbres Rhodes), s'installer au premier rang et n'en plus bouger jusqu'au soir, si ce n'est pour aller fumer une clope ou boire un coup, mais en se faisant garder son siège par ses voisines, de braves mamas dévotes, attendries par ce Frenchy qui manifestait si bien sa ferveur par d'extatiques Hallelujah et Praise the Lord – et dont elles ne soupçonnaient pas l'ironie.

Dans Soul Bag n° 127 (été 1992)

De ses séjours néo-orléanais, Siné a tiré des planches à l'humour décapant dont il a fait profiter les lecteurs de Charlie Hebdo et de Soul Bag (voir nos numéros 127, 131 et 143). Toujours prêt à œuvrer pour la bonne cause, il avait amicalement concocté l'affiche du concert du 25^e anniversaire de Soul Bag et lorsque nous avons organisé un concert de soutien à la New Orleans Musician's Clinic après l'ouragan Katrina en 2005, il a annoncé le benefit dans Charlie Hebdo et est venu nous rejoindre à St-Ouen, au One Way.

Dans Soul Bag n° 132 (Automne 1993)

Ultime témoignage d'amour à la musique afro-américaine, Siné a demandé à emporter dans la tombe (ornée d'un cactus en forme de doigt d'honneur !) des CD de Nina Simone, Ray Charles, Otis Redding, Dizzy Gillespie, Count Basie, Billie Holiday… Même s'il savait que ça ne servirait pas à grand-chose !

Jacques Périn