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Live reports / 07.12.2015

Sax Gordon

L'annulation de la tournée New Blues Generation, consécutive aux attentats de Paris et à la désaffection de Jarekus Singleton, n'a pas découragé Sax Gordon d'arpenter les scènes hexagonales. Bien au contraire, le saxophoniste décida de « rester en France pour y donner le plus de concerts possibles. » C'est ainsi qu'au terme d'un séjour qui le vit notamment accompagner Jimmy Johnson, il investit pour deux soirs le Jazz Club Lionel Hampton, flanqué d'accompagnateurs dont le professionnalisme et l'expérience compensaient largement le manque bien compréhensible de répétitions : Simon “Shuffle” Boyer à la batterie, Thibaut Chopin à la basse, Bala Pradal aux claviers (piano et B3), le toujours excellent Stan Noubard Pacha à la guitare, ainsi que le Chicagoan de naissance – mais Parisien d'adoption – Jumpin' Jeff Hoffmann au poste de meneur de revue et à la guitare.

 


Simon Boyer, Sax Gordon, Thibaut Chopin

 


Sax Gordon, Simon Boyer

 

Quant à Gordon, il gratifia le public d'une prestation à son image, c’est-à-dire incroyablement généreuse et puissante, allant puiser dans son répertoire des morceaux brassant rock'n'roll (chorus exceptionnel sur Have horn will travel), blues lents, rhythm'n'blues rigolards (Big & hot, I'm so good at being no good) et intermèdes funky. Il serait injuste de ne voir en lui qu'un honker revivaliste. S'il a certes assimilé l'héritage des Big Jay McNeely et autres Illinois Jacquet, son jeu hyper-expressif (vibrato ample, sonorité profonde et rauque) sait émouvoir tout en déployant une richesse harmonique jazz qui lui permet d'enquiller les grilles sans se répéter ni jamais ennuyer. Car assister à un concert de Gordon Beadle, c'est participer à une incroyable séance de fun, tant pour ses auditeurs que pour ses propres musiciens (il fallait voir les sourires barrer les visages de Thibaut Chopin ou de Stan Noubard Pacha – qui, pourtant, en ont vu d'autres – dès que Gordon soufflait dans son bec). Et quel showman ! Solos enflammés pris pied au plancher, le visage noyé de sueur, jeu derrière le dos, poses iconiques, descentes dans la salle, blagues et mimiques complices avec le public… L'urgence avec laquelle il aborde chaque phrase est saisissante (mais combien de hanches a-t-il vrillé ce soir-là ?), son plaisir de jouer ultra-contagieux.

 


Bala Pradal, Jeff Hofmann, Simon Boyer, Sax Gordon, Thibaut Chopin, Stan Noubard Pacha

 


Avec Derek Martin

 

Pour ne rien gâcher, Sax Gordon reste d'une incroyable modestie, redevenant fan de base lorsqu'il se rend compte que Derek Martin (légendaire chanteur de soul, auteur d'une belle brochette de singles sur Roulette dans les années 60-70 et surtout cosignataire, avec les Top Notes,  de la version originale de Twist & shout) fait partie des spectateurs. Évidemment, Gordon l'invita sur scène pour une longue et belle jam durant laquelle Derek se chauffa la voix sur un Everyday I have the blues un peu brinquebalant pour enclencher ensuite le turbo sur un Georgia à tomber par terre d'intensité. Sax lui rendit la pareille avec un chorus gorgé de soul avant d'adresser un « message spécial au management du Jazz Club : faites-bosser ce gars, engagez-le sur le champ ! »

Jonché de reprises triées sur le volet (Albert King, Johnny Guitar Watson…), le troisième set vit encore l'orchestre aligner de bien belles choses, avant que l'horaire tardif ne vienne mettre un terme aux festivités. Si jamais Sax Gordon, qui passe sa vie sur les routes, se produit près de chez vous : ne le manquez surtout pas, vous ne regretterez pas votre soirée !

Ulrick Parfum
Photos © Carla Parfum