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Hommages / 11.01.2025

Sam Moore (1935-2025)

Soul man, Hold on, I’m comin’, You don’t know like I know, I thank you, When something is wrong with my baby… Pendant quelques mois, entre 1966 et 1968, aucune autre voix masculine n’a incarné la soul autant que celle de Sam Moore, et, s’il n’a jamais par la suite retrouvé ce niveau de réussite, ni seul ni avec son compère Dave Prater, la marque qu’il a laissée dans l’histoire des musiques populaires afro-américaines est majeure. 

Né Samuel David Hicks le 12 octobre 1935 à Miami, il ne tarde pas à se faire remarquer sur la scène musicale locale. Dès le milieu des années 1960, il fait ses débuts discographiques, dans un registre inspiré par le doo-wop, au sein des Majestics, qui publient un single sur le label local Marlin, et travaille avec différents groupes gospel dont les Gales et les Mellonaires. Habitué des clubs, où il se produit en solo, il croise un soir au King of Hearts un certain Dave Prater, autre acteur de la scène locale, avec lequel il monte un duo reposant sur la technique gospel du call and response. Sous le nom de Sam & Dave, ils se produisent localement et sont repérés quelque temps plus tard par le producteur Steve Alaimo, qui travaille pour l’entrepreneur musical Henry Stone. Celui-ci publie deux singles sous leur nom sur son label Marlin, puis les fait signer avec le label new-yorkais Roulette, qui publie six 45-tours sous leur nom.

Sam & Dave © DR / Collection Gilles Pétard

Si le duo connaît un certain succès en Floride, celui-ci reste limité géographiquement, et, après un dernier single sur un autre de ses labels, Alston, Henry Stone met le duo en contact avec Jerry Wexler, qui les signe sur Atlantic, mais les envoie enregistrer chez Stax à Memphis. Musicalement, la magie opère immédiatement, et le succès arrive dès 1965, quand ils sont confiés au duo formé par Isaac Hayes et David Porter. Encore peu expérimentés, les deux auteurs-compositeurs-producteurs créent la formule musicale qui fera la réussite du duo et passe notamment par le fait de confier la quasi-totalité du chant principal à Sam Moore, Dave Prater se contentant généralement de faire des chœurs et des commentaires ponctuels. Le résultat commercial est frappant : entre fin 1965 et You don’t know like I know et début 1968 et I thank you, le duo classe sept singles dans les dix premières places du classement R&B, et deux d’entre eux entrent également dans le Top 10 pop. Soul man, leur plus grand succès, monte jusqu’à la deuxième place du Hot 100. La réputation du duo, entretenue par des prestations scéniques très spectaculaires, se répand jusqu’à l’Europe, et ils manquent de peu de voler la vedette à Otis Redding lors de la fameuse tournée Stax qui passe notamment par l’Olympia en 1967.

La fin du contrat entre Stax et Atlantic en 1968 met un terme à cet âge d’or, qui a vu aussi la publication de trois albums à succès. Privé de l’accès à ses mentors historiques, le duo est baladé par Atlantic entre producteurs et studios, de Tom Dowd à New York à Brad Shapiro à Muscle Shoals en passant par Dave Crawford à Miami, sans retrouver ni la magie ni le succès de ses disques précédents, même s’il reste une attraction scénique, tournant en particulier en Europe en 1968 sous l’étiquette du Soul Together Tour avec Arthur Conley, Clarence Carter et Joe Tex. 

Sam & Dave © DR / Collection Gilles Pétard

À l’été 1970, le duo se sépare une première fois et Sam Moore commence à enregistrer, sous les auspices d’Atlantic, ce qui est censé être son premier disque solo, piloté par King Curtis avec la participation des plus grands musiciens new-yorkais, y compris Aretha Franklin dont c’est la seule apparition en tant qu’accompagnatrice sur le disque d’un autre artiste. Hélas, malgré quelques singles publiés en 1970 et 1971 sans grand succès, les séances n’aboutissent pas, du fait de l’assassinat de King Curtis et des problèmes d’addiction de Moore, et le résultat devra attendre plus de trente ans pour être publié sous le titre “Plenty Good Lovin’ – The Lost Solo Album”. Dès le mois d’août 1971, le duo se reforme, mais son contrat avec Atlantic n’est pas renouvelé à son expiration en 1972. Plusieurs tentatives de comeback dans les années 1970 – un album produit par Steve Cropper en 1975 pour United Artists, “Back At ‘Cha”, quelques singles pour Contempo – se soldent par des échecs commerciaux. Désormais bien installés sur le circuit de la nostalgie, ils se séparent et se retrouvent régulièrement et réenregistrent à plusieurs reprises leurs anciens succès pour des labels de disques à prix réduit. Après un dernier concert à San Francisco le jour du Nouvel An 1981, le duo se sépare définitivement. Engagés dans une bataille juridique suite à l’utilisation par Dave Prater du nom Sam & Dave pour ses concerts avec un certain Sam Daniels, les deux hommes ne s’adresseront plus la parole jusqu’à la mort de Prater en 1988. 

Tout au long des années 1980 et 1990, Sam Moore, qui peine à se débarrasser de ses problèmes d’addiction, tente de relancer sa carrière avec l’appui de son épouse Joyce, devenue sa manager. Il collabore entre autres avec Lou Reed – une nouvelle version de Soul man pour le film du même nom –, Junior Walker, Bruce Springsteen et le Blues Brothers Band, sans réussir à sortir de son statut “oldies”. En 1996, à la grande colère d’Isaac Hayes et David Porter, il enregistre une énième version de Soul man rebaptisée Dole man, en soutien au candidat républicain à la présidentielle Bob Dole. Il collabore en 1997 à l’ouvrage Sam and Dave: An Oral History signé par le journaliste Dave Marsh et fait une apparition, dans un rôle de pasteur, dans le calamiteux Blues Brothers 2000. Il fait plusieurs apparitions en France au début des années 2000, au Méridien fin 2002 et, dans un étonnant programme gospel, à l’église Saint-Sulpice en 2004.

Joyce Moore, Sam Moore et Jean-Yves Mougin, tenant le tableau peint par ce dernier. Paris, 2001 © Jacques Périn
Le Méridien, Paris, 27 décembre 2002 © Brigitte Charvolin

Après la sortie tardive de son album Atlantic en 2002 et en excluant deux disques de Noël à faible diffusion en 1998, il publie son premier vrai disque solo en 2006, “Overnight Sensational”, mais le résultat, encombré d’invités plus ou moins pertinents, peine à convaincre, d’autant que la réputation de Moore est dégradée par le goût de sa manager pour les contentieux plus ou moins embarrassants, comme lorsqu’il tente de faire interdire à la campagne de Barack Obama l’utilisation de Hold on, I’m comin’ ou qu’il attaque les producteurs du film Soul Men. En 2009, Moore est un des invités du concert anniversaire du Rock & Roll Hall of Fame, où il est accompagné par Bruce Springsteen & the E Street Band. Discret discographiquement après la sortie de son album, il sort en 2014 un single dédié à Martin Luther King, They killed a king. Sur la même période, il apparaît sur les disques d’autres artistes comme David Sanborn, Tower of Power, Pat Boone, Reese Wynans, Berverley Knight et Sting, bien souvent dans des remakes des tubes de Sam & Dave. Il chante également, dans ce qui est probablement sa dernière apparition recensée, sur l’album de Bruce Springsteen “Only The Strong Survive (Covers Vol. 1)”.

Républicain convaincu de longue date, il est un des rares artistes afro-américains à apparaître lors du concert d’investiture de Donald Trump, où il chante America the beautiful, et tente de surfer sur la controverse suscitée en publiant quelques mois plus tard ce qui restera son dernier album solo, l’embarrassant “An American Patriot”, qui passe à peu près inaperçu. Quasi retraité par la suite, et en mauvaise santé, il se contente ensuite d’apparitions évènementielles, comme lors d’un hommage à George Jones en 2023.

S’il n’a sans doute pas eu une carrière à la hauteur de son talent, Sam Moore reste une figure essentielle de l’histoire de la soul, et son « play it, Steve », adressé à Steve Cropper en plein milieu de Soul man, une incarnation de l’intensité de ses interprétations. 

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © DR / Collection Gilles Pétard

Le Méridien, Paris, 27 décembre 2002 © Brigitte Charvolin