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Live reports / 30.03.2012

SALAISE BLUES FESTIVAL

 


Comme Vaulx-en-Velin une semaine plus tôt, le festival de blues de Salaise-sur-Sanne fête sa 25e édition. Et comme le veut une tradition a priori destinée à perdurer, le vendredi soir est réservée aux artistes féminines. Que dire de Rachelle Plas ? Qu’elle est pleine de fougue, d’énergie, d’envie, de souffle ? Pour une jeune fille de 19 ans en outre athlète de haut niveau, c’est heureux ! Son jeu d’harmonica ? Certes déjà technique, mais surtout scolaire. Son chant ? Anglais franchement mal maîtrisé, “montées lyriques” (sic) hasardeuses, c’en est gênant. Une brillante carrière l’attend, lui prédit-on ? Laissons la lecture de l’avenir aux médiums, contentons-nous du présent et ne nous attardons donc pas.

 
Rachelle Plas


On annonçait une Candye Kane fatiguée, contrainte de chanter assise. Il n’en sera rien, elle tiendra le set entier avec un dynamisme et une ferveur qui font presque oublier qu’elle souffre pour la seconde fois d’un cancer du pancréas. Bien sûr, çà et là, on décèle quelques regards un peu tristes dans le vide, mais ce sont les seuls et rares signes qui trahissent sa lassitude au sein d’un show admirablement mené de bout en bout. Dès le début, Candye se livre vocalement sans retenue (Everybody’s gonna love somebody tonight, Everybody needs lvove, vrkciews,ues est insupportable)Sweet nothin’s) et nous rassure pour la suite. Lucky to be loved by you est le premier titre sur lequel la guitariste Laura Chavez, qui se fend d’un chorus en accords graves, vient nous rappeler qu’elle est la deuxième “star” de la soirée, d’autant qu’elle enchaîne avec un White trash girl mené à un train d’enfer. La variété est également au rendez-vous avec un I put a hex on you au groove sûr et l’amusant jump blues Je n’en peux plus sans ma Cadillac, effectivement chanté en français… Sur I’m the toughest girl alive, CanCandye manie d’abord l'humour pour présenter le morceau puis nous invite à toujours positiver, ce qui prend tout son sens compte tenu des circonstances.


Candye Kane


C’est le prélude au premier sommet du concert avec Walkin’, talkin’, haunted house, une chanson noire, désespérée, effectivement fantomatique, sur laquelle Laura Chavez, qui n’est pas sans évoquer un Otis Rush à ses plus belles heures, fait monter la tension déjà palpable. Aaah, Laura Chavez… Elle ne paie pas de mine avec son look de Calimero à bonnet noir, mais guitare en main c’est un caméléon qui nous en fait voir de toutes les couleurs. Pour I’m a bad bad girl, Candye Kane s'empresse de préciser que cette bad girl n’est justement autre que Laura, buveuse de Jack Daniel’s. Mais « plus elle boit, mieux elle joue… » ajoute la chanteuse. On peut dès lors en déduire que miss Chavez avait beaucoup bu avant le concert, tant elle délivre un solo halluciné, presque irréel. Et gardons nous de rire de ses mimiques, elle entretient avec sa guitare une relation très particulière, charnelle, intime, ce qui lui permet d’en extirper le meilleur. Formidable d'intensité, expressive, inventive et créative car elle sait exploiter toute la palette de l’instrument, Laura Chavez est une guitariste exceptionnelle dans le sens premier du terme.

 
Candye Kane et Laura Chavez


Mais revenons sur Terre. Ce dont Candye Kane se charge en demandant vertement à une spectatrice de se taire pendant qu’elle annonce You can’t take it back from heere, qui traite notamment de la récente catastrophe pétrolière du golfe du Mexique (et qui prouve combien elle est une parolière avisée, ne l’oublions pas). Enfin, c’est Superhero. Candye Kane l’introduit en expliquant dignement ce dont elle souffre, demandant à chacun de prier pour elle le 27 avril prochain, date à laquelle elle sera opérée (ablation de la tête du pancréas), avant d’affirmer que nous sommes tous des super héros. Peut-être, mais alors que nous apprenons en écrivant ces lignes qu’elle vient d’annuler la fin de sa tournée européenne pour rentrer d’urgence aux États-Unis suite à une infection des bronches et une grande fatigue, on peut craindre que Candye Kane doive trouver des forces surnaturelles pour s'en sortir.axsntélivre un solo hallucinant

 


C’est une Ana Popovic très enceinte qui monte sur scène pour le dernier concert de la soirée. Mais pas de quoi la gêner pour jouer de sa guitare appuyée sur son ventre bien rebondi, et si le rejeton dont la naissance est annoncée pour le mois de mai ne vient pas au monde en esquissant les gestes d’un guitariste accompli, c’est à désespérer… Le début du concert est marqué par un son qui tend vers le suraigu, avec une guitare peu audible et surtout la voix d’Ana assortie d’un sifflement d’assez mauvais effet (Your love ain’t real, Summer rain)… Mais les responsables de la sonorisation rectifieront heureusement le tir après quelques morceaux. Côté musiciens, Michele Papadia aux claviers s’avère plutôt discret, le batteur Stéphane Avellaneda, par moments époustouflant, porte véritablement le groupe, alors que le bassiste Ronald Jonker aurait pu nous épargner ses pauses grotesques. Je n’ai jamais été un grand fan de la jolie Serbe, très douée à la guitare mais un peu trop bavarde à mon goût. Toutefois, elle varie désormais ses shows et ça passe bien mieux. Ainsi, des titres à la slide comme Count me in, Voodoo woman et surtout Unconditional sont plutôt convaincants et inspirés. Certes loin du niveau de Candye Kane, on passe somme toute un moment agréable pour ponctuer une soirée aux deux tiers réussie, ce qui n’est pas si mal !

 
Ana Popovic


Et le samedi, bingo, ce sera trois sur trois ! Nous n’avions jamais vu ni entendu Tomek Dziano et ce fut une belle surprise. D’emblée, bien qu’il ait choisi de démarrer en reprenant un standard (You can’t judge aaa book by its cover), il séduit avec sa voix chaude et profonde qui est incontestablement sa marque. En outre, à la guitare, en rythmique comme en solo, il évolue finement, en nuances, dans un style très personnel. Enfin, pour couronner le tout, le Polonais aujourd’hui Lyonnais sait aussi composer, il le prouve sur des titres intéressants comme Back biters et Risky business. Côté accompagnateurs, la rythmique assure en souplesse (Christophe Gauvert à la contrebasse, Stéphane Ranaldi à la batterie), tandis qu’Alain Michel intervient avec justesse à l’harmonica, souvent en contrepoint (Flight). Et malgré une fin de set moins originale (Rainy day in Georgia, Boom boom et Shake it baby en medley), on apprécie la découverte à sa juste valeur… du blues moderne très bien ficelé !

 
Tomek Dziano


Avec le Danois Thorbjorn Risager, pas de mauvaise surprise à redouter, tout est parfaitement en ordre dès les premières notes (Hold on), la voix gronde, les cuivres claquent sur fond de guitare slide. Mais il ne s’agit pas seulement de nous “rentrer dedans”, et les Nordiques ne manquent pas de crédit dans la ballade tendance soul grâce à la qualité vocale du leader (Back home, Stand by me). Le set se poursuit donc sans ennui avec une alternance dans les registres et les tempos : du boogie-woogie sur The straight and narrow line, du shuffle bien lancinant et groovy sur Let’s go down, une slide opportune sur un On my way bien dépouillé, un zeste de reprises avec Baby please don’t go et Let the good times r oll… Carré, solide, efficace, pro, bien des termes conviennent pour évoquer ce type de performance scénique. Mais comme nous l’avions déjà constaté en 2010 (Écaussines, Cognac…), on aimerait qu’ils en mettent une à côté de temps à autre, qu’ils viennent un peu plus nous chatouiller l’épigastre, quoi ! Ceci dit, pas de méprise, la formation scandinave fait désormais partie des valeurs sûres en Europe.


Thorbjorn Risager


Dès le début du troisième concert (et sans doute même avant !), une partie du public quitte la salle, ce qui démontre que trois shows avec le premier démarrant à plus de 21 h, c’est trop long (voir conclusion)… Dommage pour Tail Dragger, un des derniers représentants, faut-il le rappeler, du blues du South Side de Chicago, un des rares garants de l’authenticité de cette musique encore en activité. Le chanteur et harmoniciste espagnol Quique Gomez s’avance le premier avec Woman don’t lie, relayé par Rockin’ Johnny pour une reprise de l’un de ses mentors Fenton Robinson (Somebody loan me a dime), suivi de Pink champagne, tiré de son dernier CD “Now’s The Time”. C’est très bien fait mais Tail Dragger arrive et bouscule les convenances. Sans attendre, hurlant dans son micro de sa voix toujours aussi énorme un de ses hymnes (Sitting here singing my blues), il s'offre un long bain de foule. Il revient ensuite sur scène pour des morceaux au tempo plus rapide (Don’t start me talkin’, You don’t know what’s going on in your home) mais n’y reste pas longtemps, passant l’essentiel du set au contact direct des spectateurs. Cela peut certes surprendre en Europe, mais Tail Dragger ne fait que se comporter comme il en a l’habitude dans les clubs de son pays. C’est donc dans cette ambiance singulière que le show continue avec l’incontournable My head is bold, puis Treat your woman right,  She’s worryin’ me, Baby please don’t go, Sugar mama, My woman is gone


Quique Gomez


Rockin' Johnny et Tail Dragger


Tail Dragger

Avant de conclure, arrêtons-nous sur Rockin’ Johnny, un autre guitariste original au jeu difficile à qualifier. Et c’est l’ami Gilles Boncour, président de l’association Eden District Blues, qui nous glisse finalement à plusieurs reprises le mot juste : léger. Oui, il y a quelque chose d’aérien dans son phrasé, certainement hérité de Fenton Robinson même si l’influence de Magic Sam se ressent également. En tout cas, un jeune guitariste brillant, qui modernise et dépoussière à coups de West Side le South Side du vétéran. Ainsi s’achève cette soirée d’un haut niveau constant, une des meilleures à laquelle nous ayons assisté ici. Et à l’heure du bilan, les organisateurs peuvent être fiers de leur 25e édition. Pour que tout soit parfait, on se permettra donc juste de leur suggérer d’aménager la formule pour que le public reste en nombre jusqu’au bout (un point également important pour les artistes). Passer à deux concerts pourrait être étudié, ou bien en conserver trois mais en débutant à 20 h 30 (et en respectant cet horaire) avec un premier set ne dépassant pas 45 minutes… mais la sympathique équipe de Salaise y pense sans doute déjà !
Daniel Léon
Photos © Denis Claraz