;
Live reports / 09.04.2010

SALAISE BLUES FESTIVAL

Premier constat, une belle assemblée a fait le déplacement pour la première soirée du vendredi. Une impression déjà éprouvée à Vaulx-en-Velin fin mars, et qui vient contredire une rumeur infondée qui circule en ce moment au sujet d’une prétendue désaffection notable du public à l’égard de la musique bleue. Ainsi, les artistes américains, même méconnus, continuent d’attirer les aficionados… Il fallait l’écrire, et venons au festival proprement dit. Week-end de départ en vacances, grève à la SNCF et autres embouteillages éclaircissent les rangs des Boogiematics, qui se présentent… en duo ! Agathe Sahraoui (chant), timbre frais et sourire perpétuel aux lèvres, et Pascal Fouquet (guitare), jeu dépouillé mais ô combien efficace, sont rejoints bien tardivement par Stéphane Troussier (harmonica), mais cela donne une fin de show qui se débride (Tell me mama, Feel so good). Défavorisée par les circonstances, la formule a paru un peu statique, mais Agathe et Pascal ont su s’en accommoder, délivrant un set largement improvisé et sans prétention.


Agathe Sahraoui (Boogiematics)


Pascal Fouquet (Boogiematics)

Gas leur succède et introduit rapidement Donald Ray Johnson après une lecture classique de Rock me. Durant un bon moment, le groupe égrène les reprises sur le même tempo assez rapide (Everyday I have the blues, Let the good times roll, Stagger Lee, même The sky is crying est accéléré…). Certes, Johnson chante d’une bonne voix profonde, le groupe ronronne bien (même si Gas joue un peu fort au début) et on aime bien les shuffles, mais là, ça manque quand même d’originalité et l’indigestion guette. Heureusement, un invité surprise, en l’occurrence Maurice John Vaughn, va redonner de l’allant à l’ensemble pour une deuxième partie de concert nettement plus enlevée que la première. Certes, il s’agit toujours de standards (Hello Central, Sweet home Chicago, Got to be funky, Little red rooster), mais avec une variété retrouvée dans les tempos et les registres, plus la classe de Vaughn (voix grainée et guitare intense, cela suffit !), on a cette fois de quoi s’enthousiasmer.


Donald Ray Johnson


Mauri
ce John Vaughn

Dernier intervenant, John Lee Hooker Jr. s’approprie d’emblée la scène : c’est bien le showman attendu. Voix puissante, aucun temps mort, attitudes théâtrales, voire cabotinage, tout y passe… Bien que goûtant habituellement peu à ce genre d’artifices, j’avoue me laisser prendre à ce qui n’est après tout qu’un jeu, d’autant que le leader, sur des fondations funky, décline un répertoire étendu. Et aux côtés des compositions (Extramarital affair, Blues ain’t nothing but a pimp), les reprises (Just me and you, Got my mojo workin’, Dimples, I’m in the mood) ne sont pas des imitations et prennent un bain de jouvence. Au bilan, un spectacle plutôt distrayant, toutefois desservi par un accompagnement creux, notamment côté rythmique. Ce chanteur de qualité mérite sans doute plus consistant, et on le verrait bien au sein d’une formation cuivrée…


John Lee Hooker Jr.

Encore plus de monde le samedi (tête d’affiche oblige…) pour une soirée qui s’adresse davantage à l’amateur de rock. Cela n’empêche pas Jean Chartron de séduire en ouverture avec son blues très personnel. Voix grave un peu affectée et phrasé polyrythmique à la guitare lui permettent de dispenser les standards éculés (Baby please don’t go, Goin’ down slow, Ramblin’ on my mind) à sa façon, sans avoir l’air d’y toucher mais avec assez de tact pour les faire siens. La Californienne Kellie Rucker ne tisse pas la même dentelle délicate, préférant les grosses ficelles du rock. Pleine d’entrain, débordante d’énergie et très sympa (notamment quand elle s’essaie au français, et plutôt pas mal), elle tend à forcer un peu, vocalement comme à l’harmonica, et si les titres de ses récents CD s’enchaînent efficacement, c’est sans finesse (Ain’t the right one, Blues is blues). Et tout ça est un peu bruyant, surtout le batteur… Car bien que compétents, ses musiciens sont un peu prompts à ouvrir en grand, comme le guitariste sur Life of crime, un titre qui part bien dans un esprit country pour vite se diluer dans les décibels. Dommage, car le temps d’une ballade en hommage à sa mère (Church of Texas), Kellie se montre capable d’émotion. Ceci dit, dans ce style somme toute assez éloigné du blues, je ne suis peut-être pas l’interlocuteur le plus avisé… Ah, au fait, j’allais oublier, et notre Mick Taylor ? He’s poor.


Jean Chartron


Kellie Rucker


Mick Taylor

En conclusion, malgré les réserves, on se doit d’encourager ces festivals de province qui ne ménagent pas leurs efforts en faveur des musiques que l’on aime. Du côté de Salaise-sur-Sanne, une bourgade de 4 000 âmes en outre pas gâtée par l’environnement de proximité (plate-forme chimique, usines SEVESO…), tout a débuté depuis un bon quart de siècle, et pourvu que ça dure !
Daniel Léon