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Live reports / 12.09.2017

Rendez-Vous de l’Erdre

C’est avec un mélange d’excitation et de crainte qu’on aborde les Rendez-Vous de l’Erdre cette année. Excitation car le programme de la scène blues est alléchant avec notamment Curtis Salgado, mais aussi crainte car les prévisions météorologiques ne sont pas encourageantes. Il n’a déjà pas fait chaud et des gouttes sont tombées le jeudi soir au “off” de la place Aristide Briand, ce qui n’a pas effrayé les artistes Anouk (swing manouche), Pierre-Yves Plat (piano boogie, jazz, rock and roll, chanson française) et Colfax (blues érudit), grâce auxquels on pouvait s’échauffer doucement avant le weekend du festival proprement dit.

La scène blues ouvre le vendredi soir avec Jakez & the Jacks, vainqueurs du tremplin 2016. Ils ont un an de plus, ça se voit et s’entend. Jakez est beaucoup plus constant au chant et à la guitare, tenant les notes jusqu’au bout, gardant le contact avec le public. À ses côtés, Thomas Allain tient une bonne place à l’harmonica et à la deuxième guitare tandis que Julien Dubois à la basse et Hugo Deviers confirment qu’ils sont une des meilleures sections rythmiques de France. Le blues électrique qui en résulte, en provenance de tous les quartiers de Chicago, en reprises ou en compositions originales, ce qui augure bien de l’avenir, est très plaisant, tant il est rare d’en entendre de ce niveau.

 


Jakez & the Jacks

 


Jakez Rolland

 


Thomas Allain

 


Julien Dubois

 



Hugo Deviers

 

Les vedettes de la soirée sont les Bad Mules, non pas avec le chanteur Dr Dee comme initialement prévu mais avec leur ami de toujours, le guitariste chanteur Josh Miller. On ne perd pas au change, loin de là. Josh va être le frontman d’un show enlevé, composé d’originaux chantés par le guitariste Julien Broissand et le batteur Denis Agenet, et de reprises, chantées principalement par lui. Sa présence physique imposante, son air gentil, son chant posé et son jeu de guitare épuré mais ô combien sensible et juste, sont joliment soutenus par les deux déjà cités et par Caroline Thomas au saxophone et Cédric Le Goff à l’orgue. Parmi les temps forts, on retient le Get on the right track de Ray Charlesle Saturday night fish fry de Louis Jordanle Georgia slop de Jimmy McCracklin et le Ram-bunk-shush de Bill Doggett. Mais il n’y a aucun temps faible, qu’on se rassure, et cette première soirée passe trop vite.

 


Josh Miller

 


Denis Agenet

 


Caroline Thomas

 


Julien Broissand

 


Cédric Le Goff

 

Le samedi est le premier jour du tremplin.

Le groupe nantais The Bar Room Preachers ouvre le concours. Les quatre musiciens, Daniel Maerten (chant, guitare, harmonica), Nicolas Deshayes (guitare), Arnaud Gobin (basse) et Jérôme Boisneau (batterie) ont l’air tendu mais n’en portent pas moins un très bon blues moderne puisant à des sources anciennes ou contemporaines, issues de diverses régions, Chicago, Texas, Mississippi. Le son est bon, le talent est là, c’est un groupe à suivre.

 


Nicolas Deshayes, Jérôme Boisneau

 


Arnaud Gobin

 


Daniel Maerten

 

 

Les Beanshakers sont de Douarnenez et distillent un blues à guitare et harmonica, tout droit venu de cette époque où le Chicago blues charriait encore un swing jazzy. Guillaume Feuillet (chant, guitare), Thierry Perron (harmonica), Geoffrey Chaurand (guitare), Jonathan Caserta (contrebasse) et Tsunam (batterie) sont soudés, connaisseurs (reprises de Roosevelt Sykes et de Lowell Fulson), composent des originaux, ils ont tout pour être des costauds de la scène blues française.

 


Geoffrey Chaurand

 


Jonathan Caserta

 


Tsunam

 


Guillaume Feuillet, Thierry Perron

 

C’est The George Dyer Band qui conclut cette première après-midi de tremplin. Américain basé à Breslau en Pologne, George Dyer est un guitariste précis et tranchant, bon chanteur mais sa voix peut encore gagner en présence, et son blues est moderne, flirtant souvent avec le blues rock. Les trois musiciens qui l’accompagnent ne sont pas ses comparses habituels et ça s’entend. L’harmoniciste Paul Tidiman donne tout de même envie de retenir son nom de par son bon son à l’instrument et sa prise de micro au chant sur le titre Party going on en boogie rapide, orné d’un bon solo de batterie.

 


George Dyer

 

 


Paul Tidiman

 

 

C’est bientôt la soirée et la concrétisation du rêve d’avoir Curtis Salgado aux Rendez-Vous de l’Erdre avec Gordon Beadle au saxophone. Il n’avait pas été possible d’avoir Curtis en 2016 pour cause de tournée aux Etats-Unis suite à la sortie de son magnifique disque “The Beautiful Lowdown” sur Alligator, ni d’accueillir Gordon Beadle avec Raphael Wressnig en 2014, tout cela est réparé en une seule fois. Disons-le tout de suite, le concert de Curtis va immédiatement entrer dans la légende des Rendez-Vous de l’Erdre.

 


Curtis Salgado

 

Après une courte introduction de l’orchestre – une attraction à lui tout seul, jugez plutôt : Anthony Stelmaszack à la guitare, Julien Brunetaud aux claviers, Kris Jefferson à la basse, Fabrice Bessouat à la batterie, Laurence Le Baccon et Julie Dumoulin aux chœurs et donc Gordon Beadle au saxophone –, Curtis apparaît sur scène tout guilleret, apparemment bien remis de tous ses soucis de santé, dit bonjour au public et aux musiciens et annonce la couleur. Ça sera rhythm & blues, soul, funk, blues et rock & roll, des genres qu’il résume en un seul : « good time ! » Extraits de ses disques, Low down dirty shameDriving in the driving rainWalk a mile in my blues20 years of B.B. King, reprises choisies comme le Tired of your jive de B.B. King avec Anthony superbe en intro, Julien magnifique en solo, imité par Gordon Beadle, ou le Mr. Downchild de Sonny Boy Williamson n° 2 avec solo d’harmonica acoustique par Curtis, rock & roll débridé, soul sudiste magnifiée par les chœurs de Laurence et Julie… C’est une avalanche de bonnes musiques qui déferle sur le public.

 


Julien Brunetaud

 


Anthony Stelmaszack

 


Laurence Le Baccon, Julie Dumoulin

 


Curtis Salgado

 


Sax Gordon

 

Curtis projette une formidable énergie positive que la foule lui renvoie pour qu’il s’en nourrisse encore plus. Il semble plus jouer et chanter pour les autres, spectateurs et musiciens, que pour lui-même, et n’être heureux que si les autres le sont, et c’est bien le cas. Kris Jefferson sourie largement et saute partout, les solistes donnent le meilleur d’eux-mêmes. Julien est sublime quand il lance un boogie-woogie du répertoire de Big Joe Turner, Anthony confirme qu’il est le guitariste le plus complet de la scène blues française et Gordon Beadle est à toute vapeur à chaque intervention. Le morceau de clôture commence en rythme lent avec les paroles de A change is gonna come avant d’exploser en rock & roll sur le Slow down de Larry Williams.

 


Curtis Salgado

 


Kris Jefferson

 


Fabrice Bessouat

 


Sax Gordon

 


Curtis Salgado, Anthony Stelmaszack

 

Il faut un rappel pour redescendre sans se crasher et c’est ce que font Curtis et l’orchestre avec une belle reprise de Somewhere down the line de Little Willie John, orné d’un énième beau solo d’orgue et aussi d’un solo d’harmonica amplifié par Curtis. En bas de la scène, Curtis adresse encore des mots gentils à l’équipe technique, à tous ceux qui l’approchent, et aux spectateurs qui se pressent pour acheter ses disques. Tout le monde est sur un nuage.

La deuxième partie du tremplin début le dimanche à 14 heures avec le Flo Bauer Blues Project. Le jeune homme et ses deux compères, Benoit Seyller à la basse et Pierrot Bauer à la batterie, ont participé à plusieurs concours cet été et sont rompus à l’exercice, d’autant qu’ils s’appuient sur le grand talent de leur leader, à la guitare et au chant, et ses compositions de blues électrique moderne, agrémenté de reprises rock. On reste un peu sur sa faim car on aimerait que Flo se lâche ainsi que ses accompagnateurs et qu’il maîtrise mieux le temps imparti. La reprise d’Angie est bienvenue mais un peu longue ; raccourcie, elle pourrait laisser plus de place à des titres enlevés, propices à emballer le public, qui en a besoin pour se réchauffer car il pleut dru.

 


Flo Bauer

 


Benoit Seyller

 


Pierrot Bauer

 

 

Cela n’arrête pas Elise & the Sugar Sweets qui entament leur set pied au plancher. Les Sweets nous sont pour partie connus puisque Olivier Raymond est à la guitare, Olivier Ferrie à la batterie et son frère Jérôme à la basse, tous trois anciens de Shake Your Hips. Complété par Sylvain Lansardière aux claviers et Elise Heyte au chant, c’est un solide et élégant combo qui offre un blues électrique moderne, compositions et reprises, dont deux de John Németh. La chanteuse Elise a de beaux jours devant elle si elle surmonte une certaine timidité.

 


Elise Heyte

 


Olivier Raymond, Olivier Ferrie

 


Jérôme Ferrie

 


Sylvain Lansardière

 

Les derniers concurrents sont les Anglais de The Big Sets. Chris Hogg (guitare et chant), John Smith (harmonica et chant), Jake Landers (guitare), Jonny Rubin (basse) ont tous l’air habité par une force venue d’ailleurs, couplée à un look de bad boy et une énergie étonnante. Derrière eux, le batteur qui ne semble pas être le Jordan Matthews annoncé paraît bien sage mais a l’efficacité requise pour suivre les quatre ludions de l’avant-scène. Blues électrique solide, voix de lutin pour Chris, de rogomme pour John, guitare clinquante pour Chris, plus ronde pour Jake, le groupe est paraît-il formé depuis longtemps et ça s’entend.

 


Jake Landers

 


Jonny Rubin

 


Chris Hogg

 


John Smith

 

 

Après délibération, le jury rend les résultats suivants :

-Premier prix : The Big Sets (un concert aux Rendez-Vous de l’Erdre 2018).
-Deuxième prix : Elise & the Sugarsweets (prix Hurricane Music sous forme de bons d’achat de matériel musical).
-Troisième prix : The Beanshakers (participation financière à un enregistrement).

Prix spéciaux :
-The Big Sets : prix Bain de Blues et prix Blues sur Suresnes.
-The Beanshakers : prix Collectif des Radios Blues et prix Soul Bag.
-Elise & The Sugar Sweets : prix Montfort Blues Festival, prix So Blues Festival, prix Scène Jean-Roger Caussimon à Tremblay et prix France Blues.

C’est Stagger Lee qui donne le concert de clôture de la scène blues. Arnaud Fradin (chant et guitare), Thomas Troussier (harmonica), Max Genouel (guitare et chant), Miguel Hamoum (basse) et Fabrice Bessouat (batterie) sont les stars de l’Ouest et se montrent à la hauteur. Le public nombreux, courageux sous la pluie et ravi qu’elle ait cessé, ne boude pas son plaisir et rugit à chaque solo d’Arnaud, Thomas ou Max. Ceux qui ne connaissaient pas sont séduits, ceux qui les suivent depuis leurs premiers concerts sont aux anges. Reprises de Bobby Bland, B.B. King, Eddie C. Campbell et autres classiques s’enchaînent avec fluidité, enrichies de nouveautés comme la reprise en rythme rapide de Lonely weekend chantée par Max. Et puis, on voit réapparaitre Curtis Salgado et Gordon Beadle derrière la scène et le rêve se poursuit quand les deux montent sur scène pour un final éclatant avec deux titres de blues bien sentis où Curtis va une nouvelle fois mettre d’abord les musiciens en valeur avant de se projeter lui-même, empruntant un harmonica à Thomas Troussier pour un joli solo à la Sonny Boy Williamson n° 2.

 


Arnaud Fradin

 


Max Genouel © Christophe Mourot

 


Arnaud Fradin, Curtis Salgado © Christophe Mourot

 


Curtis Salgado, Sax Gordon, Miguel Hamoum © Christophe Mourot

 

C’est fatigué mais heureux qu’on reste encore un peu là, à regarder la formidable équipe technique ranger la scène et échanger avec les autres sur la musique exceptionnelle qu’on a pu entendre tout le week-end. Un passage à la scène nautique pour les dernières notes du Spanish Harlem Orchestra permet d’atténuer la réalité ; les Rendez-Vous de l’Erdre 2017 sont terminés.

Christophe Mourot
Photos © J-M Rock'n'Blues (sauf mention)

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