Elmiene, La Machine du Moulin Rouge, Paris, 2025
24.04.2025
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Moment incontournable de la vie à Nantes, le festival des Rendez-Vous de l’Erdre bénéficie cette année d’une météo favorable, procurant l’agréable sensation que ça va être une grande édition. Si les trois jours du week-end sont ceux qui contiennent le plus de concerts et événements nautiques, le public peut déjà profiter d’animations depuis le lundi qui précède, et même depuis le 22 août avec la tournée des Batignolles et le groupe Zounds, le tout dans dix villes, le long de l’Erdre et plus loin encore. Sur l’eau, ce sont plus de 230 embarcations, un record, réparties en quatre catégories, voile-aviron, dériveurs, quillards, plaisance mécanique, qu’on peut admirer au cours des parades et régates. Pour la musique, plus de 150 concerts gratuits avec les “Hors Piste”, les “Off”, et les concerts sur scène du week-end. À noter aussi les événements organisés dans les quartiers, au centre de détention, qui montrent la volonté du festival d’être là pour tous.
C’est ainsi qu’on profite du quartet Swing Of France le jeudi 30 août à 11 heures sur le marché de Carquefou. Erwan Mellec à l’accordéon, Thomas Le Briz à la guitare, Erwan Salmon au saxophone baryton et Frédéric Robert à la batterie, jouent un jazz qu’ils qualifient de “musette” et qui mélange le style manouche, le swing et la musique de bal, plongeant le lieu et les gens dans une ambiance douce et paisible. Le soir, c’est à l’Alter Café, dans le Hangar à Bananes du quai des Antilles qu’on se retrouve pour le concert “off” de Colfax, groupe de blues électrique nantais. Jean-Paul Perrono au chant, Alain Millet et Stéphane Le Troidec à la guitare, Cédric Cobret à l’harmonica, Michel Barnier à la basse et Jean-Jacques Richepin à la batterie, envoient leur blues électrique ancré à Chicago, avec bon goût, simplicité, et une joie de jouer ensemble qui fait plaisir à voir. La musique est bonne, les shooters aussi, tout va bien !
Swing Of France
Colfax
Le vendredi 31, on se lève tôt et on retrouve le saxophoniste François Corneloup, artiste fil rouge de l’édition, pour le réveil du port de Nort-sur-Erdre à partir de 8 heures. Seul au milieu des bateaux, il offre 45 minutes de sax baryton en solo et c’est une véritable histoire qu’il raconte, sans digressions, sans longueurs, avec des envolées, des moments de calme, des rappels de thèmes classique du jazz, un son qui prend de l’écho au ras de l’eau ou s’assourdit sur l’herbe. Époustouflant !
François Corneloup
C’est à partir du vendredi soir que pour les amateurs de blues, tout va se concentrer autour de la scène dédiée au genre, à l’entrée de l’Ile Versailles. The Big Sets, vainqueurs du tremplin 2017, ouvrent les festivités. Christopher Hogg (vo, g), John Smith (vo, hca), Jake Sanders (g), Jonny Rubin (b) et Pete Nicholls (dm), sont tout de suite au taquet, avec une longue introduction instrumentale, électrique, puissante, très blues mais sans passéisme. C’est la première étincelle, du genre à procurer des frissons et à se dire encore qu’on va assister à une édition exceptionnelle. Pour les avoir vus plusieurs fois depuis le début de l’année, on se dit qu’on assiste là au meilleur concert du groupe en France. Chicago blues, funky blues, soul blues, compositions, reprises de Magic Slim et consorts, ils sont tout le temps à la relance, et n’aiment rien tant que s’aligner tous sur un même rang en bord de scène pour à la fois s’offrir au public et le faire venir à eux dans un partage d’énergie très entraînant.
The Big Sets
Le public est en conséquence très chaud quand Jimmy Burns apparaît sur scène, accompagné de Xavier Pillac à la guitare, Antoine Escalier à la basse et Fabrice Bessouat à la batterie. Deuxième étincelle avec cette impression de faire le lien avec le grand blues des années 1960. À 75 ans, Jimmy n’a pas l’air au mieux de sa forme mais ce n’est qu’une apparence car, dès qu’il se met à chanter, il est bel et bien là, avec sa puissance intérieure, son timbre caractéristique et son jeu de guitare qui ne l’est pas moins, alliant le blues classique, la soul, la pop, le doo-wop, comme il fallait le faire sur scène dans les clubs pour garder l’attention du public qui venait pour se distraire. Shake for me, Miss Annie Lou, Leaving here walking, No consideration, il s’appuie beaucoup sur ses deux premiers disques Delmark, “Leaving Here Walking” et “Night Time Again”, mais il y ajoute des reprises de son cru, comme The sky is crying avec une introduction très personnelle et des chants avec le public, ou Messin’ with the kid, en provenance du disque “It Ain’t Right”, qu’il joue en tempo moyen et au cours duquel il invite une spectatrice à venir chanter avec lui sur scène. Xavier Pillac assure une rythmique solide et prend une bonne part des solos, on retient celui dans les graves sur Leaving here walking, un titre qui laisse aussi la place à un solo de basse d’Antoine Escalier. Les musiciens ont le sourire, le public aussi, en particulier lors du dernier titre, la reprise de Stand by me avec laquelle Jimmy fait toujours un tabac. Le rappel se fait avec Better know what you’re doing. En ce vendredi soir, l’Histoire du blues se raconte à Nantes et le public ne sait pas encore que ce n’est pas fini.
Jimmy Burns
Antoine Escalier
Fabrice Bessouat
Le samedi 1er septembre commence avec la première partie de la finale du tremplin blues qui, c’est la particularité de cette édition, propose un programme varié, étirant son concept vers le rock, le folk et la soul. Le jury se retrouve avec toujours le même plaisir, entre anciens et nouveaux : Jean-Paul Perrono, présentateur adulé du public, Alain Millet, fidèle compagnon depuis 2004, Patrick Lecacheur de Bain de Blues, Cédric Cobret de Montfort Blues, Jacques Périn, fondateur de Soul Bag, Francis Rateau et Rebecca Eskenazy du Collectif des Radio Blues, Fred Delforge de France Blues, John Davy de Hurricane Music à Vertou, Behgam Kazemzadegan de Blues sur Suresnes, Gilbert Rouit du Billy Bob’s à Disney Village, Michel Rémond de l’espace Caussimon à Tremblay En France, Didier Pellet de l’Alter Café à Nantes, et votre serviteur, programmateur de la scène, représentant du SoBlues Festival du Mans, et Président du Jury, une charge qui n’en est pas une tant l’équipe est sympathique.
Le groupe Black Cat Crossin’ ouvre le concours avec une approche rock, marquée ici et là par le blues et la soul. Le chanteur Stéphane Kirchherr est très présent, peut-être trop, et la prestation du groupe pourrait trouver plus d’équilibre en laissant plus d’espace par exemple au claviériste Alexis Brunet dont le groove apporte une souplesse et une chaleur bienvenues.
Black Cat Crossin’
Elefent leur succède pour un blues en solo, voix, guitare et cajón. Il joue sur une Weissenborn, posée à plat sur ses genoux, et introduit ses chansons, originales ou reprises, par des éléments historiques sur le blues, lui qui est non seulement musicien mais aussi conférencier.
Elefent
Ella/Foy, Hélène Fayolle au chant et à la guitare, Romain Deruette à la contrebasse et à la guitare, et Bruno Rouillé à l’harmonica, clôturent l’après-midi avec leur univers folk, poétique, envoûtant. Hélène a une présence très forte, sa voix est aérienne, la contrebasse de Romain offre de jolies possibilités à l’archet, et Bruno Rouillé est souvent stratosphérique à l’harmonica, n’hésitant pas à sortir un impressionnant modèle chromatique double. Un peu plus de blues et un ou deux morceaux enlevés et ça serait parfait. Le public est nombreux, il fait très beau, la parade nautique bat son plein sur l’Erdre, c’est une excellente préparation au grand concert du soir avec Thorbjørn Risager and the Black Tornado.
Ella/Foy
Car cela va être un grand concert et, troisième étincelle, on le sait dès l’introduction. Tout le groupe est sur scène, avec Thorbjørn lui-même, Peter Skjerning à la guitare, Hans Nybo au saxophone, Peter W Kehl à la trompette, Emil Balsgaard aux claviers, Søren Bøjgaard à la basse et Martin Seidelin à la batterie, mais Thorbjørn se lance seul au chant et à la guitare, sur une rythmique légère de Peter, sur If you wanna leave, un titre taillé pour ouvrir un concert, avec la tension du message d’avertissement lancé à la personne qui s’apprête à partir et qu’on n’oubliera pas, le halètement à la pause musicale et la détente quand les cuivres relancent la machine. On a beau avoir déjà vécu ça plusieurs fois, on ne s’en lasse pas. Thorbjørn et ses musiciens sont une machine de guerre, qui sait comment embarquer un public et ne plus le lâcher. Ils auraient pu être perturbés pourtant, une partie de leurs bagages et instruments ayant été égarée à l’aéroport, Peter W se retrouvant sur scène en bermuda et Hans devant trouver en urgence un saxophone, mais cet imprévu semble au contraire les motiver pour être encore meilleurs que d’habitude. Maybe it’s alright, I used to love you, Train, issus du dernier disque, Paradise, China gate – seul titre lent du concert –, le formidable et intemporel Baby please don’t go, I’m burning up, On my way, empruntés aux disques précédents, le groupe maîtrises ses chevaux de bataille et sait les renouveler. Sont aussi perpétuées les animations scéniques comme cette habitude de faire parler les membres de l’orchestre dans la langue du pays visité, ce qui nous vaut de savoureuses interventions avec accent danois, ou ces chorégraphies amusantes de Peter W et Hans. Tous jouent ensemble depuis des années et leur cohésion est impressionnante, renforcée par leur talent musical. Hans Nybo sera particulièrement impressionnant tout au long du set, avec un gigantesque solo sur le titre instrumental lancé au piano boogie par Emil qui y prend lui aussi un très joli solo. Pour Peter à la trompette, le morceau de bravoure a lieu sur Rock ‘n’ roll ride et pour l’autre Peter à la guitare, c’est sur All I want. Le rappel est funky avec un solo de saxophone quasi intimiste avant un final incandescent. De quoi rester ensemble après le concert, se regarder les yeux brillants, le sourire aux lèvres, avant de rentrer dans la nuit, dans des rues toujours aussi remplies de monde.
Thorbjørn Risager
Thorbjørn Risager, Peter Skjerning
Peter W Keh, Hans Nybo
Emil Balsgaard
Martin Seidelin
Elles sont déjà garnies le dimanche avant la fin de matinée, à l’heure des huîtres, du vin blanc, un moment fort de l’équipe du jury, puis du blues brunch du Canotier, animé cette année par le folk blues de LLB, Laurence Le Baccon au chant, Stéphane Bouaridj à la guitare et Arnaud Migné aux percussions, avec l’apparition de Phanie Garnier au chant sur un titre. Sur l’Erdre, les bateaux remontent le courant vers la sortie de Nantes.
LLB
L’après-midi débute vite avec la deuxième partie de la finale du tremplin et Little Mouse & the Hungry Cats. Claire Ramos-Munos au chant, David Paquet à l’harmonica, Jean-Christophe Sutter à la guitare, Éric Courrier à la basse et Denis Cusumano à la batterie, allient jeunesse et expérience, pour un blues électrique de bonne facture, qui emballe le public grâce à leur sens du contact, leur fraîcheur, leur joie évidente de jouer et d’être là. Claire a une voix et une présence scénique étonnantes, David un jeu d’harmonica comme on l’aime, bluesy, sobre, placé, efficace, et le reste du groupe est carré et solide, avec des compositions qui tiennent la route et des reprises choisies comme ce I can’t let go emprunté à Shemekia Copeland.
Little Mouse & the Hungry Cats
Claire Ramos-Munos, David Paquet
Deuxième artiste solo du concours, Stene Moshka est à la guitare et au chant, s’aidant d’une boîte à boucles, qui lui permet de doubler sa guitare et ajouter des percussions façon beatbox. Il ne le cache pas et prend même le temps de l’expliquer au public qui en fait vite un de ses favoris.
Moshka
On passe ensuite à la soul de Thomas Doucet and the G Lights, Maxime Gilbert à la basse, François Gilbert aux claviers, Bruno Guilbaud à la batterie, et le leader Thomas au chant et au saxophone. On le savait mais Thomas confirme qu’il a une voix hors du commun et qu’il vit sa soul passionnément, souhaitant selon ses propres mots « la rendre présente dans un tremplin blues ». Précisons ici que le règlement du tremplin ne l’interdit pas, loin de là ! C’est pourtant avec The sky is crying qu’il entame le set avant de passer à un répertoire plus soul, ouvert, reprise de Jealous guy ou Motherless child, commencé a cappella, et des compositions originales très prometteuses.
Thomas Doucet
Résultats du concours :
1er prix : Little Mouse & the Hungry Cats.
2e prix : Thomas Doucet & the G Lights.
3e prix : Moshka.
Prix spéciaux :
Prix Bain de Blues : Thomas Doucet & the G Lights .
Prix Montfort Blues: Moshka.
Prix Alter Café : Thomas Doucet & the G Lights.
Prix Billy Bob's Disney : Little Mouse & the Hungry Cats.
Prix Odéon Tremblay : Little Mouse & the Hungry Cats.
Prix France Blues : Little Mouse & the Hungry Cats.
Prix Blues Sur Suresnes : Elefent.
Prix Soul Bag : Thomas Doucet & the G Lights.
Prix So Blues : Ella/Foy.
Prix Collectif des Radios Blues : Moshka.
C’est déjà l’heure du dernier concert pour la quatrième étincelle, une nouvelle rencontre avec l’Histoire du blues, français cette fois-ci, et la venue de Benoit Blue Boy, accompagné de Nico Duportal, les Gaziers du Rythme, et l’invité spécial Stan Noubard Pacha. Tant de talents du blues français réunis ensemble sur une même scène, c’est rare et c’est une fierté. Nico Duportal et les Gaziers, Abdell “B Bop” Bouyousfi à la basse, Olivier Cantrelle aux claviers, Sylvain Téjérizo et Alex Bertein aux saxophones et Pascal Mucci à la batterie, en mode “Nico Duportal & the Rhythm Dudes” lancent le concert avec des morceaux enlevés pour mettre le public sur le bon rythme. Le répertoire emprunte sans surprise aux disques des Dudes tout en introduisant de nouvelles compositions comme Isn’t it wrong, écrit avec Theo Lawrence ou No hate no pain. Suivent When I’m gone et Lost in the game, l’orchestre tournant à fond avec des solos de Nico à la guitare ou Sylvain au saxophone.
Nico Duportal
Sylvain Téjérizo, Alex Bertein
Olivier Cantrelle
Abdell “B Bop” Bouyousfi
Pascal Mucci
C’est ensuite l’entrée en scène de Benoit et Stan et le spectacle franchit une dimension supplémentaire. L’instrumental Benzola permet à Benoit de montrer qu’en matière d’harmonica, il peut toujours en remontrer à beaucoup. Il joue en amplifié de son diatonique avec un son énorme, proche de celui d’un chromatique et l’effet est saisissant. Le répertoire qui suit vient de “Boire Et Manger à Saint Germain des Prés”, T’es partie en socquettes, Et là-bas ?, Une petite salade avec de la mayonnaise, la version louisianaise de Je marche doucement, mais aussi des autres de disques de Benoit, Le blues au bout d’mon lit, Combien, Idiot ou bien crétin, autant de possibilités pour des vocaux à l’accent gentiment traînant, des multiples solos d’harmonica, amplifié ou non, de guitare, de saxophones ou de claviers. Un blues lent dédié en introduction par Benoit à George Smith et Lazy Lester est l’occasion d’un incroyable solo de guitare de Stan, on se dit que c’est déjà bien, mais Nico en prend un du même tonneau juste après ! Benoit parle, chante, apostrophe le public, le fait chanter avec lui, il est formidablement présent, jusqu’à la fin d’un concert qui laissera encore une fois un souvenir durable.
Benoit Blue Boy
Stan Noubard Pacha
Nico Duportal, Benoit Blue Boy
Il est l’heure de fermer la scène blues, de se séparer, de commencer à compter les jours d’ici l’édition 2019. Les rues sont encore pleines de monde, l’organisation du festival annoncera plus de 17 5000 visiteurs quelques jours plus tard, on n’a pas envie de rentrer, pour profiter jusqu’au bout de cet événement si particulier.
Texte et photos : Christophe Mourot