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Live reports / 02.10.2025

Rendez-Vous de l’Erdre 2025

Nantes et alentours (Loire-Atlantique). Du 25 au 31 août 2025.

La 39e édition des Rendez-Vous de l’Erdre s’est tenue fin août à Nantes et ses environs. Affecté par un contexte financier difficile, le festival de “Jazz et Belle Plaisance” n’en a pas moins proposé comme tous les ans une palette d’événements musicaux et nautiques très riche. En continuité avec les Heures d’Eté et leurs événements insolites en juillet et août, un des attraits des Rendez-Vous de l’Erdre est d’écouter de la musique dans des endroits inhabituels, aussi bien en milieu urbain que rural.

La tournée des Batignolles au cœur des quartiers d’habitation du nord-ouest de Nantes, les concerts et les levers de soleil le long de l’Erdre et du canal de Nantes à Brest, avec de magnifiques vues superposant les musiciens et les bateaux, les événements en forêt, la scène nautique, les concerts sur des péniches, la navette fluviale qui dépose les spectateurs directement près de la scène dans le parc Germaine Le Goff à Sucé-sur-Erdre, les concerts “off” dans les bars partenaires, autant d’occasions de vivre la musique autrement.

Nous commençons le lundi 25 août avec la tournée des Batignolles dans le quartier Maisonneuve, au pied d’immeubles entourant un espace vert. C’est déjà le quatrième concert de Dee & the Crawfismen, un nom sous lequel se présentent Denis Agenet au chant et à la batterie, Thomas Aubé à la guitare, Damien Cornélis aux claviers et Igor Pichon à la contrebasse. Cela ressemble fort aux Nolapsters, et le répertoire le confirme. Denis chante joyeusement et rythme le tout de façon dansante, Thomas et Damien distillent de beaux solos, le public réagit, c’est une bonne soirée.

Le lendemain soir, nous sommes à la Guinguette du Belvédère en bord de Loire dans Nantes pour une scène ouverte qui n’appartient pas à la programmation des Rendez-Vous de l’Erdre mais qui rassemble de nombreux musiciens qui y sont. Fabrice Bessouat en est l’instigateur, accompagné de Sean “Mack” McDonald, Julien Dubois et Sylvain Tejerizo. La présence de Sean attire le milieu blues local. Impossible de citer tout ce beau monde, qui livre une succession de moments musicaux et vocaux d’exception. Sean impressionne par son spectre stylistique à la guitare, la fluidité de son jeu, sans céder à la facilité, et la justesse de son chant.

Dee & The Crawfishmen
Sylvian Tejerizo, Sean McDonald, Hugo Deviers, Julien Dubois, Jakez Rolland

Le mercredi matin, nous sommes à la Chevalerais au nord de Nantes, dans un bois bordant le canal de Nantes à Brest pour voir Arnaud Fradin & his Roots Combo. Le groupe se produit tout au long de la semaine et séduit avec son blues de proximité, chaleureux, accessible, chanté et joué avec talent et humour. On ne se lasse pas du chant d’Arnaud, de ses guitares, acoustiques et électriques, car les nouvelles compositions s’électrisent, de l’harmonica de Thomas Troussier et de la rythmique impeccable d’Igor Pichon et Richard Housset.

Le soir, c’est au Ti Lichous dans Nantes que joue le Kévin Doublé Quartet. On retrouve ce qui nous a plus à Técou En Blues début juin et au Cahors Blues Festival en juillet. Les reprises de blues et de jazz unifiées, les compositions fortes, le gros son de l’harmonica amplifié combiné à celui plus doux et aérien du piano, tout ce que nous avons écrit alors reste valable ici. Eux aussi se produiront plusieurs fois dans la semaine. Un saut ensuite au Zygo Bar pour voir Byrd On A Wire, quatuor dédié à la musique hawaïenne et country à la lap steel guitar, et emmené par Vassili Caillosse. Si vous voulez terminer une journée en ondulant sur une musique apaisante, c’est là qu’il faut être.

Arnaud Fradin & his Roots Combo
Byrd On A Wire

Le jeudi 28 au soir, rendez-vous au port de Nort-sur-Erdre pour voir l’arrivée des bateaux et profiter du concert d’ouverture du festival avec Paloma Negra et le Kévin Doublé Quartet. Attardons-nous de nouveau sur ces derniers, avec leur invité de marque, Geoffroy Tamisier à la trompette. Présent sur quelques morceaux du disque récemment sorti, Geoffroy va ici participer à tous les morceaux, donnant une coloration jazz plus affirmée au répertoire. Kévin prend la lumière au chant, à l’harmonica, la guitare et à l’animation, en contact avec le public, malgré la pluie qui s’invite et la température qui baisse. Pierre Le Bot est impressionnant au piano, Anthony Muccio aussi à la contrebasse, Gabor Turi est, comme toujours spectaculaire, à la batterie, et on a voit apparaitre Mathieu Lagraula à la guitare et Jérôme Bossard aux percussions.

On retrouve le quartet le lendemain après-midi sur la place Royale du centre de Nantes. Lieu de passage important de la ville, avec encore les œuvres hyper réalistes du Voyage à Nantes sur sa fontaine, cette place génère automatiquement un public nombreux, et le quartet en profite pour propager sa bonne parole musicale.

Kévin Doublé Quartet

La scène blues à l’entrée de l’Ile Versailles lance sa programmation le soir avec Akène Bleu, vainqueurs du tremplin 2024. Cela gronde un peu dans les premiers rangs du public, mécontents de l’annulation du tremplin pour cette édition, en raison des restrictions budgétaires, mais le dialogue qui s’ensuit permet d’en partager les raisons. Le public est en tous cas ravi d’accueillir le duo composé d’Adeline Haudiquet au chant et à la guitare et Alex Mirey à la guitare, aux percussions et à la basse (aux pieds). À deux, ils occupent bien la scène, la voix forte, légèrement acidulée d’Adeline porte loin, l’engagement d’Alex est beau à voir, ses riffs sont secs, précis, c’est une belle confirmation.

La vedette de la soirée est Greg Izor, accompagné de Cesar Crespo à la guitare, dont le jeu sobre sera remarquable du début à la fin de la soirée, Matt Wanderscheid à la basse et Bastien Cabezon à la batterie. Du blues aux épices de Louisiane, joué en combo resserré par des cadors, chanté d’une belle et chaude voix par un artiste souriant et charmeur, qui en plus joue de l’harmonica avec expressivité, sans fioritures, c’est ce qu’on attendait et quand on réalise que c’est exactement ce qu’on reçoit, la sensation est extraordinaire. Greg jette des regards amusés à Bastien Cabezon, se rapproche régulièrement de Matt Wanderscheid pour partager l’énergie de l’instant, et invite Nicolas Deshayes à la guitare et Gaël Roul à l’harmonica, éminents membres des Mockingbirds qui ont inclus un de ses titres dans leur répertoire. Il donne ensuite le micro à Cesar Crespo qui prend le lead sur un morceau, tout est simple, humble, de bon goût, c’est une réussite.

La soirée se termine avec les String Breakers qui mettent le feu sur la péniche de La Casa, dont on peut difficilement s’approcher au milieu d’un public très dense.

Greg Izor
String Breakers

La pluie du samedi empêche malheureusement le concert de Jakez & The Jacks, programmé à 16 heures, de durer au-delà du premier morceau qui augurait pourtant d’une solide dose de Chicago blues électrique. D’autres événements vont être perturbés, mais, sur la scène blues, Arnaud Fradin & his Roots Combo vont passer entre les gouttes. La grande scène, le gros son chaleureux qui y est mis en place grâce à Pierre Fouré, donnent une dimension nouvelle au combo, augmenté sur la moitié des morceaux de Laurence Le Baccon et Julie Dumoulin aux chœurs. Les compositions, Good old days et surtout Singing with the breeze, prennent leur envol, c’est superbe, et cela va au-delà du blues vers un potentiel tous publics indéniable.

Jakez & The Jacks
Arnaud Fradin & his Roots Combo

Delanie Pickering et son gang, Denis Agenet à la batterie, Abdell B Bop à la contrebasse et Damien Cornélis aux claviers, complétés pour l’occasion de Thomas Troussier à l’harmonica, montent ensuite sur scène pour leur balance, sous une pluie de plus en plus forte, mais l’engagement de groupe et celui de l’équipe technique permettent de tenir le concert. On a déjà dit ici tout le bien qu’on pense de Delanie, son talent à la guitare, mélange de blues et de swing, son chant qui en impose sans forcer, et son relationnel humble et souriant. Denis, Abdell et Damien ont l’habitude de tourner avec elle, et sont au taquet. Thomas joue avec elle pour la première fois mais il se fond petit à petit dans le groupe, avec la justesse qu’on lui connaît. La pluie tombe, mais le blues de Delanie et son groupe réchauffe tout le monde.

Delanie Pickering

Le réveil du dimanche matin est tranquille, huîtres, Muscadet et blues brunch avec Kévin Doublé et Rémi Hervo en duo sur la péniche Lola. Caressés par de timides rayons de soleil, ou par les bateaux qui passent derrière eux sur l’Erdre, les deux compères jouent une musique à nulle autre pareille, faite de blues, jazz, swing, transfigurés par l’harmonica, les guitares, le oud et la contrebasse, pris tour à tour. Rémi propose des solos ahurissants, Kévin anime, le temps passe vite.

Pas de tremplin sur la scène blues de Nantes, on part donc pour Sucé-sur-Erdre, où on arrive pour Iker Piris & his Dual Electras, soit Kris Jefferson à la basse et Andy Martin à la batterie. Instrumental à la Freddy King, jump blues, rumba blues, soul blues mid-tempo, shuffle, Iker est sur tous les fronts et livre un set élégant, entraînant, sous un soleil enfin éclatant. Il communique bien avec le public, a un beau son, est prolixe dans ses solos mais sait leur donner la bonne durée.

La scène est bien chaude pour Delanie Pickering et ses boys. Eux aussi apprécient la météo favorable et leur concert sera encore plus chaud que celui de la veille, notamment du côté de Damien Cornélis qui fait des étincelles sur I wanna know I just gotta know, Denis qui chante sur Every whicha kinda way, Abdell qui se fend d’un solo de contrabasse, des reprises de Sugar Ray Norcia, Darell Nullisch, des compositions, du blues, de la soul, du rock ‘n’ roll, tout y est et c’est ce qu’on veut, ravis par cette double dose de Delanie dans le week-end. (CM)

Kévin Doublé & Rémi Hervo

Pendant ce temps à Carquefou…

Une autre scène des Rendez-vous de l’Erdre méritait l’attention des amateurs de musiques raciniennes. Celle de Carquefou qui s’était assurée l’exclusivité d’Izo FitzRoy,

Ses deux influences majeures, le chant gospel et le funk néo-orléanais, irriguent sa musique et lui valent une place unique dans le paysage de la soul britannique. Au piano électrique, face au public, elle enchaîne ses compositions personnelles d’une voix ample et incarnée, dans une veine digne des soul sisters afro-américaines. Elle est bien servie par son trio (guitare-basse-drums) et trois choristes remarquables qui crédibilisent encore son ancrage soul gospel, comme dans Everybody knows it ain’t right ou Red line. Elle n’oublie pas son séjour à New Orleans avec la reprise du Yes we can de Lee Dorsey où ses choristes font des prodiges. Issu de son premier album, Break the levee est le temps le fort de son set, par sa durée (près de 20 minutes) et son impact. Ce tourbillon gospélisant offre aussi à ses choristes (Nile Jay, Silla Mosley et Jude Elliott) de briller tour à tour. Le public n’a pas résisté, s’est levé et danse ! (JP)

Izo FitzRoy © Jacques Périn
Silla Mosley, Jade Elliot, Clarence Hunte © Jacques Périn

Pendant ce temps à Sucé-sur-Erdre et Nantes…

On dit au revoir à Delanie et son groupe et on retourne à Nantes où Stomp Stomp va clore le week-end sur la scène de l’Ile Versailles.

Jolie façon de le faire avec ce jazz swing blues de classe joué par un bel ensemble, David Avrit au chant et à la batterie, Thomas Croguennoc au saxophone, Franck Beele à la trompette, Quentin Mauduit au trombone, Jeff Vincendeau à la contrebasse, et Yannick Lestra qui succède à Irina Leach au piano. Tous jouent merveilleusement, avec le sourire, une joie visible de partager, leur répertoire grand teint (Duke Ellington, Joe Liggins, Louis Armstrong, Fats Waller, Erskine Hawkins, les Jazz Messengers, Elsie Carlisle) et de belles compositions. Le public est nombreux, tout en faisant de la place aux danseurs qui suivent fidèlement les concerts du groupe. On prend le A-Train jusqu’à la tuxedo junction, on se sent lucky so and so, avec le droit de pleurer mais quand Avid et son ensemble sourient, on sourit avec eux. Rendez-vous en 2026.

Textes : Christophe Mourot et Jacques Périn
Photos © Christophe Mourot (sauf mention)