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Hommages / 13.09.2022

Ramsey Lewis (1935-2022)

Trop “facile” et trop “populaire” – y compris commercialement – pour la critique jazz sérieuse, le pianiste Ramsey Lewis n’en a pas moins mené une carrière au long court – presque sept décennies – particulièrement riche, avec pas loin de 80 albums à son nom, et influente, entre samples et utilisation de ses classiques dans des bandes originales de film et de série.

Originaire de Chicago, Lewis est considéré comme un musicien prodige dès sa petite enfance, qui choisit le jazz et forme son trio avec le batteur Isaac “Red” Holt et le bassiste Eldee Young. L’ensemble ne tarde pas à se faire remarquer sur les scènes locales et à signer avec Chess qui publie en 1956 un premier album, attribué à Ramsey Lewis And His Gentlemen Of Swing. Le succès est immédiat, et Lewis publie sur Argo puis Cadet une série d’albums – en général plusieurs par an, et rien moins que 4 sur l’année 1967 ! –, crédités à son nom ou au Ramsey Lewis Trio, jusqu’au début des années 1970. 

La formule de Lewis est simple – des classiques du jazz et des tubes du moment revisités en mode instrumental, avec un jeu nourri de gospel mais aussi de culture classique – mais irrésistible, et le public ne s’y trompe pas, réservant un succès commercial important au trio, tant pour ses albums que pour ses singles. Il réussit même à plusieurs reprises, au cours des années 1960, à installer quelques-uns de ses titres comme Hang on sloopy et sa version de Wade in the water dans le haut du tableau du Hot 100. Mais c’est avec sa reprise de The ‘in’ crowd qu’il triomphe réellement, battant même au hit-parade l’original de Dobie Gray en montant jusqu’à la 5e place du Hot 100 et remportant le premier de ses trois Grammys.

Qu’importe que, dans la foulée, sa rythmique historique prenne son indépendance : les remplaçants, Cleveland Eaton à la basse et Maurice White puis Morris Jennings à la batterie, se coulent dans le moule tout en permettant au trio de garder un lien avec le son du moment. Au début des années 1970, Lewis quitte Chess pour rejoindre Columbia, sans réduire le rythme de ses sorties. À cette époque, il fait évoluer sa musique pour y intégrer plus largement des éléments soul et funk, passant en particulier du piano au piano électrique et retrouvant régulièrement son ancien batteur Maurice White, désormais à la tête d’Earth, Wind & Fire, en particulier pour l’album à succès “Sun Goddess”.

Sans garder le niveau de succès du milieu des années 1960, ses disques restent populaires et il classe chaque année jusqu’en 1977 au moins un titre dans le classement R&B ou Adult Contemporary de Billboard. S’il retrouve Eldee Young et Redd Holt pour un album au début des années 1980, il ouvre aussi son univers musical, collaborant avec un orchestre symphonique pour ”Classic Encounter” et enregistrant “We Meet Again” en duo avec le pianiste Billy Taylor. Dans les années 1990, il signe avec le label GRT et continue à enregistrer régulièrement, même si c’est un peu moins fréquemment, dans un registre proche du smooth jazz alors très à la mode.

Ses disques des années 1960 et surtout 1970 sont redécouverts par les rappeurs, et nombre d’entre eux (A Tribe Called Quest, les Fugees, Gang Starr…) y puisent des samples mémorables. Lewis se lance également dans le rôle d’animateur radio, avec une émission qui dure pendant près de vingt ans et connaît même une déclinaison télévisée, sous le titre Legends of Jazz, en 2006. Si les enregistrements se font plus rares à partir des années 2000, il continue à se produire régulièrement, apparaissant même à deux reprises au New Morning en 2011 et 2016 ainsi qu’au Duc des Lombards en 2011 ainsi qu’à Jazz à Vienne en 2013.

Parmi ses enregistrements récents, “With One Voice”, son hommage au gospel de sa jeunesse, lui permet de décrocher le Stellar Gospel Music Award for Best Gospel Instrumental Album. Très actif sur Facebook pendant les récents confinements, il devait sortir un nouveau disque en novembre prochain, “The Beatles Songbook: The Saturday Salon Series, Volume One”, tiré de ses prestations en ligne, tandis que des mémoires sont annoncées pour 2023. 

Texte : Frédéric Adrian
Photo © X / Collection Gilles Pétard