;
Hommages / 12.04.2021

Quinton Claunch (1921-2021)

Bien que l’essentiel de sa carrière soit resté concentré sur une grosse quinzaine d’années, du milieu des années 1950 à la fin des années 1960, Quinton Claunch a fait partie, à l’égal de Sam Phillips et Jim Stewart, des architectes majeurs de la scène musicale de Memphis. 

Né à Tishomingo dans le Mississippi, il s’installe au début des années 1940 à Sheffield, dans l’Alabama, et s’impose rapidement comme guitariste sur la scène country locale, se produisant notamment sur la radio WLAY, basée à Muscle Shoals, puis, avec les Blue Seal Pals, sur WSM à Nashville. Il déménage à Memphis en 1948 et combine sa carrière musicale avec un job de vendeur d’outillage. Fin 1954, il fait ses débuts discographiques sur Meteor, avec un single crédité à Bud Deckelman with the Daydreamers. Le petit succès de Daydreamin’ attire l’attention de Sam Phillips, dont il a déjà croisé la route et qui lui propose de travailler occasionnellement pour Sun. Claunch participe à des séances de Charlie Feathers, Warren Smith et Carl Perkins, et commence à se faire remarquer comme auteur-compositeur : plusieurs de ses titres sont enregistrés par Charlie Feathers et Carl Perkins, mais aussi par Eddie Bond, Wanda Jackson, Dale Hawkins… Quelques années plus tard, les Beatles intégreront Sure to fall, une composition créée pour Carl Perkins, à leur répertoire.

En 1957, il décide de se lancer dans l’aventure d’une maison de disques, et cofonde avec quelques partenaires Hi Records. Le label publie dix-sept singles en deux ans, essentiellement dans un registre rock ‘n’ roll, sans grand succès, et Claunch décide de vendre ses parts – quelque temps avant que le label connaisse ses premiers tubes avec le Bill Black’s Combo. Le goût de l’industrie musicale ne l’a cependant pas quitté et, après quelques années à se consacrer à son magasin, il relance un nouveau label, Goldwax, avec pour partenaire un pharmacien local, Rudolph “Doc” Russell. Cette fois-ci le label est clairement orienté vers la soul et le R&B – même si quelques singles country font leur apparition ponctuellement. Le premier succès majeur vient d’un chanteur issu du gospel, O.V. Wright, qui grave en 1964 son premier single séculier avec l’immense That’s how strong my love is. Le succès est cependant de courte durée, car Wright est en fait déjà en contrat avec Don Robey, qui le récupère rapidement pour son label Back Beat. Mais Goldwax a un autre atout en la personne de James Carr, qui fait ses débuts discographiques en 1964 et enchaîne jusqu’à la fin de la décennie à la fois les chefs-d’œuvres et les succès avec des titres comme You’ve got my mind messed up, Pouring water on a drowning man, A man needs a woman, To love somebody et l’insurpassable The dark end of the street. Aux manettes de la production, Claunch est également l’auteur d’une partie du répertoire. Compilée au début des années 2000 par Ace, l’œuvre de James Carr pour Goldwax est un des sommets des musiques populaires, tous genres confondus, et Claunch en est largement responsable, d’autant qu’il est un des rares à pouvoir travailler avec le très instable Carr, dont il prendra soin jusqu’à la fin de sa vie, produisant en particulier ses deux derniers albums dans le courant des années 1990.

Si Carr est l’artiste phare de Goldwax, le label attire de nombreux talents, parmi lesquels Spencer Wiggins, les Ovations, Willie Walker ou George Jackson, et quelques-unes des plus grandes faces de la soul sudiste, de I’m living good à Uptight good woman, portent la patte de Claunch, à l’écriture et/ou à la production. L’instabilité croissante de James Carr et des désaccords avec Russel marquent la fin de l’aventure Goldwax à la fin des années 1960. Une relance dans les années 1990, toujours sous la présidence de Claunch, aboutira à la sortie de quelques albums, dont un de James Carr produit par Claunch. 

Quinton Claunch se montre discret après la fin de l’aventure Goldwax, ne travaillant dans la musique que ponctuellement, le temps par exemple de produire un disque gospel d’Al Green dans les années 1980. Des séances de la même époque avec Willie Hightower et Ollie Nightingale restent inédites jusqu’aux années 2000. Outre le revival éphémère de Goldwax au début des années 1990, il lance dans la même décennie un nouveau label, Soul Trax, pour lequel il produit à nouveau James Carr. Malgré quelques publications de grande qualité – l’album “Last Word In Lonesome” du très obscur Jerry L est un des plus grands disques soul des années 2000 –, l’aventure est éphémère. Longtemps indisponibles, les enregistrements Goldwax font l’objet d’une campagne exhaustive de réédition grâce à Ace, avec notamment deux volumes de “Goldwax Story”, une intégrale des singles en trois doubles CD et des anthologies dédiées aux principaux créateurs, et remets en lumière le travail accompli par Claunch. Ses compositions ont, au fil des années, été largement reprises, notamment par George Jones & Tammy Wynette, Ringo Starr, Ry Cooder, Johnny Copeland, Toots Hibbert, Little Milton, Terry Evans, les Blasters et Nick Lowe. En 2018, alors qu’il est déjà largement nonagénaire, Claunch offre une magnifique coda à sa carrière en produisant l’album “Out Of The Blue” du vétéran Willie Hightower, mettant ainsi un terme en beauté à un parcours engagé sept décennies plus tôt… 

Texte : Frédéric Adrian
Photo d’ouverture © DR

Frédéric AdrianGoldwax RecordsJames CarrQuinton Claunch