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Live reports / 23.07.2009

PORRETTA SOUL FESTIVAL


J. Blackfoot © Alain Jacquet

Dès le concert d’ouverture du jeudi, une foule nombreuse se presse pour assister à la Rock'n'Roll Nite animée par l’excellent chanteur Andrea Mingardi. Lors de sa dernière apparition à Porretta, il nous avait présenté un hommage à Ray Charles qui tenait la route. Cette fois avec le Rosso Blues Brothers Band, il nous convie à un réjouissant voyage à travers 50 ans de rock'n'roll en interprétant des morceaux de Chuck Berry, Elvis Presley, Little Richard, Louis Prima et Bill Haley, entre autres. Le public apprécie le voyage. 
Le vendredi matin, ballade dans Porretta et arrêt à la Café Stage pour un concert donné par le CIV Soul Band. Cette formation de 20 musiciens est en grande partie composée des lycéens du Centre International de Valbonne. Le responsable de la classe de musique, Jean François Jacomino (qui officie lui-même au trombone dans l’orchestre), nous présente son nouvel ensemble (le band précédent c’est dispersé avec l’entrée à l’université de ses membres) dans un répertoire de classiques de la soul. Ils maîtrisent leur sujet, rien à redire de leur interprétation, par exemple de Lean on me  de Bill Withers. Si l’ensemble est très homogène, je suis séduit par les voix de Valencia Rakatomalal et de Marc Collette. Un petit bœuf avec Bobby Johnson sur Knock on wood termine cet apéro concert qui s’est déroulé pour partie sous le regard intéressé d'Oscar Toney Jr.


Andrea Mingardi © Alain Jacquet

Le soir, le programme est copieux – trop peut être – et c’est le chanteur saxophoniste James Thompson qui a l’honneur d’ouvrir. Un répertoire très rock d’où surnagent une reprise bien molle du Memphis soul stew de King Curtis et un famélique Shotgun de Jr. Walker. Sa prestation ne laissera pas un souvenir impérissable. Arrive ensuite Vaneese Thomas, la deuxième fille de Rufus. Autant elle semblait empruntée et intimidée six ans plus tôt au même endroit en compagnie de son frère Marvell et de sa sœur Carla, autant là elle apparaît totalement libérée et nous offre un excellent set composé majoritairement de reprises (mais très bien faites) telles que I can’t stand the rain, Nutbush City Limits et en rappel un beau Respect yourself. Elle obtient un franc succès auquel il faut associer ses accompagnateurs, les Soul Spinner.


James Thompson © Alain Jacquet


Vaneese Thomas © Alain Jacquet

Installation de l’Austin de Lone All Stars Band qui va accompagner les autres artistes de la soirée. Le premier d’entre eux n’est plus une surprise pour les habitués du festival puisqu’il s’agit de Bobby Johnson. Comme tous les artistes présents ici il peut "faire du Stax", mais il choisit pour son premier set de plonger dans un répertoire très éloigné du Memphis Sound, avec des titres puisés principalement chez Tamla Motown et chez James Brown. Ses interprétations très dynamiques de How sweet it is, Signed sealed delivered, I can see clearly now chauffent l’ambiance et en rappel sa très bonne version de Cold sweat avec une chorégraphie des plus suggestives remporte un triomphe.


Bobby Johnson © Alain Jacquet

L’artiste suivant est un nouvel "espoir" de la soul dans la lignée d'Eli "Paperboy" Reed. Jesse Dee, garçon originaire de Boston, vient de sortir son premier CD "Bittersweet Batch". Le point positif, c’est qu’il compose ses chansons. Pour le reste, je ne suis pas convaincu par sa voix de fausset et, scéniquement, ce n’est pas terrible : quand il esquisse quelques pas de danse, c’est avec la grâce d’un fer à repasser. Bon, il faut bien commencer un jour.
Après, ça ce gâte un peu avec un Oscar Toney Jr (en costume et chaussures roses du meilleur effet) qui visiblement n’est plus dans la course. Ses reprises d’Otis Redding (Can’t turn you loose, The dock of the bay et Mr. Pitiful) sont quelconques, sans saveur. Il s’en va ensuite prendre un long bain de foule, serrant des centaines de mains. A sauver du naufrage : The dark end of the street et For the good time. Un non show qui fait regretter sa précédente apparition à Porretta.


Jesse Dee © Alain Jacquet


Oscar Toney Jr © Alain Jacquet

Pour finir la soirée, le premier membre de la famille Wiggins. Hormis sa venue en Europe en 1965 avec une tournée qui se produisait dans les bases américaines, Percy Wiggins ne s’est jamais produit en soliste sur le Vieux Continent, alors il veut convaincre et ne prend pas de risque en commençant par Let’s stay together d'Al Green. Très bon vocaliste à la voix sûre, bien posée, il nous offre un medley de Sam Cooke (Cupid, Wonderful world, Having a party) du meilleur cru. Le moment fort de sa prestation reste l'interprétation de son titre de gloire, Book of memories. On oubliera le côté statique de son show qui le rend un brin rébarbatif. Une bonne surprise.
Parenthèse pour signaler que le samedi soir, le directeur artistique du festival, Graziano Uliani, nous offrait un mini set de 3 chansons par Irene Fornaciari qui semble très populaire en Italie ; mais qui a très peu à voir avec la soul.
Revenons à des choses plus sérieuses avec Spencer Wiggins. Le trésor de Goldwax venait pour la première fois en Europe. Avec son entrée en religion il y a presque 40 ans, on pouvait craindre, à l’instar d’un Joe Simon, un refus total de chanter un répertoire profane. Il n’en fut rien et l’on pu entendre quelques perles comme Take me just as I am, Uptight good woman, The kind of woman, distillées d’une voix parfois hésitante, laissant entendre un léger chevrotement. Comme son frère, sur scène Spencer Wiggins est très économe de ses gestes et en plus son visage est d’une impassibilité saisissante. Il semble se dérider pendant son interprétation de Key to the Kingdom, son morceau de bravoure. Set convaincant, même si on ne rigole pas sur scène chez les Wiggins !


Percy Wiggins © Alain Jacquet


Spencer Wiggins © Alain Jacquet

Robe blanche au profond décolleté, la diva de ce festival prend possession de la scène. Toni Green est une chanteuse adulée par certains pour sa voix et son côté entertainer, et décriée par d'autres qui pensent qu’elle mise avant tout sur son physique et ses tenues vestimentaires pour pallier à la banalité. Qu'en est il exactement ? J’ai entendu une bonne chanteuse, qui bien sûr n’égalera jamais une Aretha Franklin ou une Etta James qui ont l’air d’être ses références musicales, mais qui s'en sort pas bien quand elle interprète des titres qui ont fait la gloire des précitées comme Dr. Feelgood, I say a little prayer ou At last. Elle a aussi un remarquable sens de la scène et se montre très séductrice… Elle chante aussi plutôt bien A change is gonna come, même s'il manque à mon goût un supplément d’âme. Mais le public lui réserve une longue standing ovation, d'autant plus qu'elle y ajoute des larmes… Une vraie pro.


Toni Green © Alain Jacquet

L’ex-leader des Soul Children J. Blackfoot n’était pas venu à Porretta depuis 1998. Il avait laissé le souvenir d’un artiste au punch incroyable et c’est bien avec une version survitaminée de 634-5789 qu’il entame son spectacle qu’il fera suivre de I am in love, deux titres de Wilson Pickett dont il rappelle parfois la gestuelle. J. Blackfoot est l’archétype du soulman, à la fois grand vocaliste et showman accompli, parcourant la scène dans tous les sens, haranguant le public. Il poursuit avec un  titre des Soul Children (Hearsay), des reprises de Sam & Dave (Soul man/You don’t know like I know) et de Johnnie Taylor (Who’s making love). Il interprète ensuite d'une manière magistrale Taxi, le grand tube de sa carrière solo, et fini par une bonne version de Can’t turn you loose. Un show assez court avec trop peu de titres originaux, mais J. Blackfoot, c’est la grande classe : le public, pas avare de standing ovation, lui en offre une.


J. Blackfoot © Alain Jacquet


Thomas Bingham © Alain Jacquet

Il faut souligner la formidable tenue de l’orchestre d'Austin de Lone renforcé pour l’occasion du guitariste Thomas Bingham qui a apporté un réel plus pour les sets de Toni Green et de J. Blackfoot. Soirée qui va crescendo avec la venue de Solomon Burke. Son arrivée sur scène est compliquée puisqu’il est en permanence dans une chaise roulante, l’installer dans son fauteuil-trône n’est pas une mince affaire… La lumière s’allume, Solomon chante et la magie opère, on n'entend plus et on ne voit plus que ce sublime chanteur à la voix inaltérée depuis des années. En cadeaux d'ouverture, trois titres qui figureront sur son prochain album, après nous avons droit aux classiques du maître : de Cry to me à Down in the valley en passant par un medley dédié à ses copains du Soul Clan et aux grands soul singers disparus (The dock of the bay/Fa-fa-fa-fa-fa/Stand by me). L’orchestre Soul’s Alive tourne à plein régime sous la férule de ses cadres Carle Vickers (saxo ténor), Rudy Copeland (orgue) et Sam Mayfield qui prendra quelques soli dévastateurs, un grand guitariste. Comme d’habitude, la scène est prise d’assaut par le public qui s'assoie sagement aux pieds de Solomon qui redouble d’ardeur pour chanter Tonight’s the night, I can’t stop loving you et la superbe chanson de Dan Penn Don’t give up on me. On passera rapidement sur la faute de goût de chanter Proud Mary en duo avec Irene Fornaciari. Final "easy" avec Everybody needs somebody et de When the Saints go marching in. Un concert sans surprise mais de haute tenue de la part de l’un des maîtres de la soul.


Solomon Burke © Alain Jacquet


Unkown (tb), Carle Vickers (ts), Dannie Hoffmann (bs) © Alain Jacquet


Rudy Copeland © Alain Jacquet


Sam Mayfield © Alain Jacquet

Dimanche matin, petit tour à la chapelle des Capucins pour un peu de gospel au milieu d’une messe très catholique romaine. Tour à tour nous aurons le plaisir d’écouter avant l’eucharistie Percy Wiggins et Vaneese Thomas et, juste avant la fin de l’office Spencer Wiggins et Oscar Toney Jr qui finiront en duo. Confirmation que le gospel est bien la meilleure école pour devenir soul singer.


Percy  Wiggins © Alain Jacquet


Vaneese Thomas © Alain Jacquet


Spencer Wiggins & Oscar Toney Jr © Alain Jacquet

Dimanche soir, derniers feux de cette 22e édition, les principaux protagonistes reviennent sur scène pour chanter deux ou trois titres. Les temps forts ? En premier lieu "les p’tits jeunes" du CIV Soul Band qui ouvrent la soirée, se montrent parfaitement à la hauteur de l’événement et finissent en beauté en compagnie de Bobby Johnson avec le numéro de téléphone magique 634-5789. Côté femmes, Vaneese Thomas donne de belles versions de Gee whiz et de Respect ; Toni Green chante elle Tell mama et Hold on. Côté hommes, J. Blackfoot décroche encore la timbale avec une version de Soul man particulièrement tonique. Quant à Spencer Wiggins, un peut plus décontracté que la veille, il nous refait Uptight good woman. Tout ce beau monde revient sur scène pour entonner l’hymne de cette édition, oui le numéro de téléphone que tout soul fan connaît par cœur. Le mot de la fin revient à Bobby Johnson qui termine avec Them changes.


CIV Soul Band © Alain Jacquet


Toni Green © Alain Jacquet


Toni Green, Spencer Wiggins, Percy Wiggins, J. Blackfoot, Oscar Toney Jr © Alain Jacquet

Une édition de bonne tenue avec une brochette d’artistes de talent et une pointure au-dessus du lot, J. Blackfoot. Solomon Burke, c’est une autre planète. Les gourmands peuvent déjà caler leurs vacances : Porretta 2010, ce sera du 22 au 25 juillet.
Alain Jacquet