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Live reports / 13.09.2018

Porretta Soul Festival (Part. 2)

Samedi 21 

Cette fois, ce n'est pas une exclusivité, loin de là, mais comment bouder son plaisir d'entendre Don Bryant en chair, en voix et en pleine forme en 2018 ! Accompagné par les Bo-Keys, le chanteur fait fi de ses heures de vol (a-t-il jamais autant voyagé depuis l'an passé et la parution de l'inespéré “Dont Give Up On Love”?) et nous offre ce que tout le monde attend : une heure digne du répertoire riche et brillant de celui qui, autrefois, n'a connu la gloire que comme “époux de” (Ann Peebles). Chaleureux, souriant et visiblement heureux, l'homme ne fait ni bla-bla, ni prêchi-prêcha : il envoie et chante “dur” comme peu de personne de nos jours.

 


Don Bryant 

 


Archie Turner

 


Scott Bomar

 


Dave Mason

 

Est-ce parce qu'il a économisé sa voix depuis tout ce temps qu'il est capable de chanter si fort et en permanence à la limite du cri ? Personnellement, j'aime autant les chanteurs plus suaves, mais là, chapeau, évidemment chapeau pour ce moment de soul brute. L'après-midi même, un violent orage s'était abattu sur la petite station thermale. Mais la pluie ne pouvait pas gâcher la venue de l'auteur de l'éternel I can't stand the rain. Ce soir, à l'heure du rappel, il fait bon et Don Bryant nous salue avec une belle version de la chanson qui a rendu célèbre sa chère Ann. La soirée commence fort. 

 


Joe Restivo, Don Bryant

 

 


Mark Franklin, Joe Restivo, Don Bryant

 

La suite me fait l'effet d'un long break bien agréable : c'est le retour de Mitch Woods, accompagné cette fois du groupe d'Anthony Paule (ce qui est un plaisir permanent) et de l'harmoniciste Fabrizio Poggi. Son titre, mentionné sur le programme officiel : « nominé aux Grammys en 2018 ». Pour ma part, je nommerais plutôt celui qui lui succède immédiatement sur scène, pour un trop court morceau : le saxophoniste Sax Gordon. Une valeur sûre, décidément. Qu'il mise davantage encore sur sa voix (parlée), et ce sera banco pour moi. 

 


Mitch Woods, Anthony Paule

 

 


Sax Gordon

 

Pourquoi j'aime Porretta ? Pour ces moments de soul sudiste improbables et c'est ce qui suit : inconnu au bataillon, Alvon Johnson, guitare en bandoulière et costume brillant de rigueur, nous surprend avec une originale version de Let's straighten it outde Latimore. Je ne l'ai même pas vue venir, avec sa longue intro à la guitare façon Carlos Santana ; elle n'est pas du goût de tout le monde (trop caricaturale ?) ; moi, j'adore, y compris la montée-descente au milieu du public dans les tribunes. L'homme n'aurait-il qu'un titre à son répertoire (il rejouera le même le dimanche) ? Un petit tour et puis s'en va, en tout cas. Dommage. 

 


Alvon Johnson

 

 

Pourquoi j'aime Porretta ? Pour ces parenthèses enchantées où l'une des choristes de l'Anthony Paule Orchestra, une certaine Sandy Griffith (qui auraient accompagné Whitney Houston, Maria Carey et Aretha Franklin !), met le feu au public en annonçant d'entrée qu'elle prendra son temps puisqu'elle vient ici pour la première fois. Proud Mary, suivie d'une ballade que je ne connais pas. Pas grave. Encore un bon moment. 

 


Sandy Griffith, Karen Richards, Larry Batiste

 

Jamais deux sans trois. Après être venus en 2009 et 2011, les frères Wiggins, anciens du label Goldwax notamment, sont de retour à Porretta. Percy est le plus jeune des deux et c'est lui qui commence, dans un registre de ballades à la Sam Cooke. C'est agréable, mais un peu trop pépère et cabaret pour nous enflammer. Belle version tout de même du I've never found a girl (To love me like you do) popularisé autrefois par Eddie Floyd. 

 


Percy Wiggins

 


Spencer Wiggins

 

Goldwax, disions-nous, le label fondé à Memphis par Quinton Claunch en 1964. Bon sang, mais c'est bien sûr : il y a cette année à Porretta deux anciens artistes Goldwax à Porretta. Voici donc Percy Wiggins rejoint sur scène non seulement par son frère, Spencer, mais aussi par Wee Willie Walker. Cela ne rajeunit personne, mais c'est un titre de 1965, I need a lot of loving, écrit par Dan Penn et Spooner Oldham pour les Ovations, qui réunit ce soir les trois septuagénaires. Bel hommage à un âge d'or que la plupart d'entre nous n'a pas connu mais que les labels Ace et Kent ont magnifiquement documenté ces dernières années. 

 


Percy Wiggins, Spencer Wiggins, Wee Willie Walker

 

Des trois voix, c'est celle de Spencer Wiggins qui était autrefois la plus marquante, la plus puissante et la plus touchante. À 76 ans, l'homme paraît désormais fort diminué et désorienté. Sa présence, debout sur scène, tient du miracle. Est-ce bien raisonnable, se demande-t-on ? En tout cas, impossible de quitter des yeux ce chanteur chancelant qui parvient, une fois de plus, à nous donner la chair de poule. S'il ne lui restait qu'un seul souffle, ce serait à coup sûr un souffle soulful. Grognements, coups de gorge, vibratos : merci, Spencer Wiggins, de nous avoir gratifiés de votre grand talent ce soir. 

Swamp Dogg, lui aussi, vient pour la troisième fois à Porretta. En 2011, à la tête d'un groupe avec lequel il avait sérieusement préparé son tour de chant, le chanteur, claviériste, compositeur et producteur nous avait éblouis : l'un de mes meilleurs souvenirs ici. Cette fois, quelle déception ! Le plus excentrique et roublard des soulmenencore en activité ne prend pas la peine de s'asseoir au piano. Mauvais présage. À l'évidence, à l'heure où il s'apprête à effectuer un comeback discographique via l'album “Love, Loss, And Auto-Tune”, notre ami ne tient pas, ce soir, à trop se fouler. De son fabuleux répertoire, il ne nous offre que de maigres aperçus et préfère nous raconter quelques anecdotes et autres réflexions dont l’essentiel nous échappe. Peu en voix et bougon, Swamp Dogg est décidément un (drôle de) caractère. Cela fait toujours très plaisir d'entendre Total destruction to your mind, mais on s'attendait vraiment à mieux. 

 


Swamp Dogg

 

 

Du coup, la méconnue Lacee nous fait en comparaison bonne impression. Dynamique, chaussée de pantoufles à paillettes impressionnantes, la jeune femme vient clairement du Sud et ne doit pas manquer de faire les beaux soirs des clubs de Jackson, Memphis et alentours. Elle ne ménage pas sa peine et nous rappelle une autre habituée des lieux, Toni Green. C'est aussi pour ces moments de découverte que l'on aime Porretta. 

 


Anthony Paule, Lacee

 

L'artiste chargé de clore la soirée est, lui, assez bien connu des lecteurs de Soul Bag. Venu à plusieurs reprises en France, Ernie Johnson a publié une petite dizaine d'albums d'excellente facture. Pilier de la scène de Dallas, il évolue dans un registre 100 % soul blues, dans la veine de ses mentors Bobby Bland et Tyrone Davis. Ses points forts : un répertoire personnel attachant et un registre vocal marqué par d'étonnantes envolées dans les aigus. Tout de rouge vêtu (comme lors de ses performances enflammées filmées autrefois pour le compte du label Malaco), Ernie est ce soir encore en pleine forme. Le blues et la fête (party) : le chanteur est venu pour nous rassasier de ces deux ingrédients indispensables à tout festivalier présent à Porretta. Mission largement accomplie, jusqu'assez tard dans la nuit. L'esprit tranquille, c'est l'heure d'aller déguster une pizza ou une glace au clair de lune.

 


Ernie Johnson

 

Dimanche 22

Le dimanche, à Porretta, on bat le rappel. Malgré l'absence surprenante de conférence de presse et de photo de famille générale à la mi-journée, la soirée réunit tous les talents entendus depuis quatre jours. En dehors de Don Bryant et des Bo-Keys, engagés dans une tournée, ils sont tous là, prêts à donner le meilleur d'eux-mêmes le temps d'un ou deux titres. Spectacle étonnant, un rien chargé, surtout quand un chanteur japonais vient s'ajouter au programme pour une version speedée et dispensable de Take me to the river. Certains moments sont charmants : c'est le cas du duo Terrie Odabi-Wee Willie Walker sur Lovey dovey, vieux titre Atlantic des années cinquante. D'autres passages sont frustrants : Swamp Dogg, guère plus inspiré que la veille, réussit la performance d'obtenir moins de succès que Booker Brown, qui lui succède sur scène.

 


Sax Gordon, Charles McNeal, Bill Ortiz, Derek James, Anthony Paule, Derrick Martin

 


Wee Willie Walker, Terrie Odabi

 

 


Terrie Odabi

 


Derrick Martin

 


John Ellison

 


Roger Heijster

 


Anthony Paule, Derrick Martin, Swamp Dogg

 


Booker Brown

 


Missy Andersen

 


Ernie Johnson

 


Lacee

 


Wee Willie Walker, John Ellison, Missy Andersen, Ernie Johnson, Terry Odabie, Lacee

 


Sax Gordon, Rick Hutton, Ernie Johnson, Derek James, Wee Willie Walker, Booker Brown

 


John Ellison, Missy Andersen

 


John Ellison, Missy Andersen, Booker Brown

 


Avlon Johnson, Roger Hijste, Missy Andersen, Mitch Woods, Tony Lufrano

 


Derrick Martin

 

L'ensemble s'achève sur une longue version du Bring it on home to me de Sam Cooke. De l'amour, des cris, de gentilles bousculades : de 7 à 77 ans, on s'amuse beaucoup scène et, dans le public, on est un peu triste que la fête soit finie. 

Texte : Julien Crué
Photos © Brigitte Charvolin

 


Ernie Johnson, Larry Batiste, Booker Brown